Bernard Membe : « Pourquoi les pays d’Afrique francophone ont-ils plus de problèmes que nous ? »
Dar es-Salaam veut s’impliquer davantage dans les médiations au sein de sa sous-région. Explications du ministre tanzanien des Affaires étrangères, Bernard Membe.
De la crise politique à Madagascar, où elle veut faire office de médiateur, à la guerre dans l’est de la RDC, où elle se dit prête à intervenir avec la « force neutre », la Tanzanie s’implique de plus en plus dans les crises sous-régionales. Pour son ministre des Affaires étrangères, Bernard Membe, de passage à Paris fin octobre, la barrière de la langue ne doit plus être un obstacle à l’intervention de Dar es-Salaam.
Jeune Afrique : Vous avez rencontré votre homologue français, Laurent Fabius. Sur quoi vos discussions ont-elles porté ?
Bernard Membe : Je suis venu en tant que représentant de la SADC, la Communauté de développement de l’Afrique australe, dont nous présidons l’organe de politique, de paix et de sécurité depuis août. La SADC compte quatre pays francophones : la RDC, Madagascar, Maurice et les Seychelles. Nous devons régler les crises que traversent certains d’entre eux et nous pensons qu’impliquer la France est impératif. Sur la crise malgache, nous sommes convenus d’une rencontre avec Laurent Fabius et MM. Ravalomanana et Rajoelina [l’ex-président renversé et son successeur, NDLR]. La date et le lieu n’ont pas encore été fixés.
Êtes-vous d’accord sur la méthode pour mettre fin à la guerre dans l’est de la RDC ?
Une partie de la RDC est occupée par le M23, une force militaire qui a des origines rwandaises. La zone où il sévit est peuplée de personnes qui ont émigré du Rwanda il y a plus de un siècle. Comment reconquérir ce territoire occupé illégalement ? Une Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo [Monusco] de 17 000 hommes existe déjà. Mais elle n’a pas de mandat pour mener une guerre de libération. Si elle pouvait l’obtenir, nous serions d’accord pour la laisser faire. Mais puisque ce n’est pas le cas, la SADC et la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) ont proposé d’envoyer des troupes. La communauté internationale continue de préférer la Monusco, mais si celle-ci n’intervient pas nous devrons le faire.
La Tanzanie est prête à envoyer des troupes au Kivu.
La Tanzanie enverrait-elle des troupes ?
Oui, un bataillon, soit environ 800 soldats.
L’ONU affirme que le Rwanda et l’Ouganda soutiennent le M23. Ces deux pays étant membres de la CIRGL, celle-ci n’est-elle pas disqualifiée pour mener l’intervention ?
C’est un risque, et c’est pour cela que la force devra être neutre, c’est-à-dire qu’aucun de ces deux pays n’en fera partie. Si le Rwanda offrait 1 000 hommes, nous répondrions : « Non merci ! »
C’est votre troisième voyage à Paris depuis avril. C’est rare pour un pays d’Afrique anglophone…
C’est vrai, mais il faut changer cela. Sur nos huit voisins, trois sont membres de la Francophonie : le Burundi, la RD Congo et le Rwanda. Certains de nos problèmes sont liés à ces pays : les 300 000 réfugiés présents sur notre sol, par exemple, viennent essentiellement de ces trois nations. C’est très regrettable, mais la plupart des coups d’État et des crises sur le continent se déroulent en zone francophone. Pourquoi le Mali, la RD Congo ou Madagascar ont-ils autant de problèmes ?
La présidentielle kényane aura lieu en mars. La dernière échéance avait causé d’importants affrontements ethniques. Êtes-vous inquiet ?
Oui, un peu. Mais le président Jakaya Kikwete s’y est rendu en septembre pour voir si les ingrédients de la crise de 2008 étaient toujours là. Il nous a semblé que les candidats faisaient campagne sans attiser les sentiments tribaux ni appeler à la violence. La commission électorale sera neutre et composée de personnes compétentes. Les conditions de la paix paraissent réunies.
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Propos recueillis par Pierre Boisselet
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