Côte d’Ivoire : au Golf Hôtel, l’Histoire en marche
Construit sous Houphouët-Boigny, apprécié par les stars dans les années 1990, QG d’Alassane Ouattara pendant la guerre, le Golf Hôtel a été le témoin des fastes et des troubles d’un pays, la Côte d’Ivoire, qui peine à se réconcilier avec lui-même. Reportage.
Au Golf Hôtel, la terrasse du piano-bar surplombe un jardin tropical aux parterres bien entretenus. Des cris d’oiseaux, des rires d’enfants… Les armes se sont tues depuis longtemps dans l’agréable quartier de la Riviera, à Abidjan. Ici, à l’ombre des palmiers, la crise postélectorale qui a déchiré la Côte d’Ivoire entre décembre 2010 et avril 2011 semble n’être plus qu’un lointain souvenir. Alassane Dramane Ouattara ne séjourne plus dans l’établissement, mais dans sa résidence, située à une centaine de mètres de là. Ses proches, ses sympathisants, la plupart des ministres qu’il avait nommés alors que Laurent Gbagbo lui disputait la victoire à l’élection présidentielle…, tous sont rentrés chez eux après de longues semaines de réclusion dans la « République du Golf ». Seul vestige de cette période : au fond du jardin, une grande tente frappée du sigle des Nations unies abrite toujours des Casques bleus ghanéens.
L’hôtel, pourtant, n’a pas retrouvé son animation d’avant la guerre. Confortablement installée sur une chaise en fer-blanc, Marie-France affirme qu’« autrefois le stop au Golf Hôtel était une tradition ». Cette ingénieure commerciale de 30 ans explique qu’elle et sa meilleure amie avaient coutume d’y venir jusqu’à trois ou quatre fois par semaine « pour se raconter [leurs] journées et les ragots de la ville autour d’un verre ». « Avant, continue-t-elle, il y avait toujours du monde : des cadres, des hommes d’affaires, des stars de la télé… Aujourd’hui, ce n’est plus pareil. D’ailleurs, mes amies et moi, on n’y met quasiment plus les pieds. »
Suivez le guide !
C’est à la demande de Macky Sall qu’Alassane Ouattara est retourné au Golf Hôtel, le 19 octobre. Présent à Abidjan pour le 58e congrès de l’Internationale libérale, le chef de l’État sénégalais a souhaité que son homologue ivoirien lui fasse découvrir l’établissement où lui et ses proches ont vécu reclus de si longs mois pendant la crise postélectorale. Ouattara ne s’est pas fait prier et a lui-même dirigé la visite, montrant à son hôte ce qui avait été son bureau (c’est-à-dire le bureau du directeur de l’hôtel), la suite où il s’était installé, celles où se réunissaient ses conseillers… Un vrai pèlerinage ! M.G.-B.
Torpeur
C’est le « drame » du Golf Hôtel. Longtemps apprécié pour sa discrétion, dans une ville grouillante d’activité, propulsé sur le devant de la scène pendant la crise, il est retombé dans une torpeur que ne parviennent pas à rompre les mariages encore organisés dans les salons du rez-de-chaussée.
Propriété de l’État, via la Société des palaces de Cocody, le Golf Hôtel a évolué dans l’ombre de l’Hôtel Ivoire, son grand frère situé en plein coeur du quartier résidentiel de Cocody. Comme son aîné, il a été une illustration du miracle ivoirien, de cette époque bénie où le cacao se vendait au prix fort, où les stars internationales se pressaient à Abidjan et où les projets immobiliers fleurissaient le long des artères rénovées de la capitale économique.
Bâti en 1976 à la demande de Félix Houphouët-Boigny, soit une quinzaine d’années après l’Hôtel Ivoire, le Golf Hôtel, avec ses 306 chambres, a de faux airs de Rubik’s Cube. L’Ivoire avait sa patinoire (la seule de toute l’Afrique de l’Ouest), le Golf sa plage de sable blanc, au bord de la lagune Ébrié, et son parcours de golf (c’est lui qui a donné son nom à l’hôtel), un dix-huit-trous conçu par un ancien joueur italien, Piero Mancinelli – un must !
Le Golf n’avait sans doute pas le prestige de l’Ivoire, mais il a lui aussi accueilli son lot de célébrités. Les crooners Barry White et Isaac Hayes y sont descendus au tout début des années 1990. On a pu y croiser les acteurs américains John Travolta et Danny Glover. Aujourd’hui encore, les Éléphants de Côte d’Ivoire y logent lorsqu’ils préparent les compétitions. Et, comme l’Hôtel Ivoire, le Golf Hôtel a été un témoin involontaire mais privilégié de l’histoire du pays. Lieu de villégiature pour touristes en mal d’exotisme, le cinq-étoiles s’est mué, en dix années de crise politique, en refuge pour politiciens menacés.
En 2003, après la signature des accords de Linas-Marcoussis, il a servi de quartier général aux Forces nouvelles (FN, la coalition de mouvements rebelles) et à leurs chefs, notamment à Guillaume Soro, qui y avait élu domicile. Sept ans plus tard, en 2010, c’est là qu’Alassane Ouattara a installé son QG de campagne avant l’élection présidentielle. Là que lui et ses partisans ont vécu ensuite pendant plus de six mois au plus fort de la guerre. Là qu’ils ont dû apprendre à se rationner quand la nourriture a fini par manquer. Là que, après avoir été capturés dans leur résidence de Cocody, Laurent et Simone Gbagbo ont été amenés, hagards, le 11 avril 2011, tandis que leurs proches (dont les petits-enfants de Gbagbo et sa vieille mère) étaient conduits au piano-bar…
Camp de vacances
Saura-t-on jamais tous les secrets de l’hôtel ? « Un jour peut-être, commente un observateur de la vie politique locale. Déjà, certaines choses commencent à se savoir. » Comme le bras de fer qui a opposé Georges Angama, le directeur de l’établissement, au pouvoir de Laurent Gbagbo, qui a tenté « de lui imposer des FDS [Forces de défense et de sécurité, NDLR] à la place du personnel de l’hôtel, raconte un employé. Il a refusé et s’est retrouvé de fait dans le camp de Ouattara ». Parfois, au plus fort de la crise, quand l’hôtel et ses jardins abritaient jusqu’à 3 000 personnes (hommes politiques, militants, soldats pro-Ouattara et Casques bleus), l’endroit prenait des airs de camp de vacances et chacun tuait l’ennui comme il le pouvait. Adama Bictogo, alors ministre de l’Intégration africaine, se dépensait sur les cours de tennis. Malgré les risques d’attentat, Choi Young-jin, le représentant de Ban Ki-moon à Abidjan, continuait de jouer au golf (sa passion) sous l’oeil vigilant de ses gardes du corps. Et certains, le soir, dans le secret des suites, s’accordaient un privilège rare : partager un scotch Blue Label, l’un des whiskys les plus réputés au monde.
Depuis, des travaux ont redonné du panache à l’hôtel. Les traces de sang sur les murs ont été effacées, les tapis nettoyés. Les chambres abîmées ont été réhabilitées. La 468, où les époux Gbagbo avaient été hébergés quelques heures durant, est maintenant occupée par des proches de Guillaume Soro. Le week-end, on festoie à nouveau au bord de la piscine. Mais les clients doivent désormais faire un large détour pour venir : la résidence privée d’Alassane Ouattara est toute proche, et un barrage des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) en interdit l’accès.
Guillaume Soro est resté au Golf Hôtel, délaissant le logement de fonction mis à sa disposition par l’État à Cocody. « Pour des raisons de sécurité », explique-t-on dans son entourage.
Sécurité
Il en faut bien plus pour dissuader les habitués qui, accoudés au bar, commentent les derniers résultats de la sélection nationale de football. Parmi eux, trois hommes en armes. « Ils logent ici, précise un serveur. Ils sont avec le président. » Le « président », c’est celui de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro. Il est resté, délaissant le logement de fonction mis à sa disposition par l’État à Cocody. « Pour des raisons de sécurité », explique-t-on dans son entourage. Une centaine d’hommes de sa garde, des transfuges des FN, l’accompagnent. « Leur présence ne gêne pas les clients », assure notre serveur, qui affirme que « depuis quelques mois les activités ont bien repris ». Un couple sur son trente et un pénètre dans le hall climatisé. Direction la salle Anono pour un cocktail de mariage. Accoudé à son bureau, le préposé aux renseignements se redresse prestement avant de reprendre sa position. Il est maussade. L’air conditionné souffle à fond. Un hall d’hôtel, comme des milliers d’autres dans le monde. L’affluence en moins.
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