Guinée : Aïssatou Boiro, seule contre tous
L’incorruptible directrice nationale du Trésor public, Aïssatou Boiro, a été assassinée le 9 novembre. Choqué, Alpha Condé a annoncé que les responsables seraient traduits en justice. S’ils sont retrouvés.
Le tueur ne lui a laissé aucune chance… Il est 21 heures, ce 9 novembre, dans le quartier chic de Kipé, dans le nord de Conakry. Il fait nuit. Aïssatou Boiro, 58 ans, rentre du travail à bord de son véhicule administratif – un 4×4 facile à identifier, avec une plaque de couleur verte. Assise sur le siège avant droit, elle bavarde au téléphone. Embouteillage. Elle dit à son chauffeur : « Sors-nous de là. » Ce seront ses derniers mots. À cet instant, un homme en uniforme de l’armée guinéenne descend d’une voiture toute proche et tire deux fois à travers la portière avant droite. Elle est tuée sur le coup, d’une balle en plein coeur. Le tueur remonte dans son véhicule, où l’attend un complice qui redémarre aussitôt. Pas de braquage, pas de vol… Tout laisse à penser qu’il s’agit d’un attentat contre la directrice nationale du Trésor public.
Ma femme m’a dit qu’elle était menacée ces derniers temps. Elle avait envie de tout abandonner.
Ibrahima Boiro, époux de la défunte
En Guinée, l’émotion est immense. Le 11 novembre, de retour de voyage, le président Alpha Condé se rend directement au domicile de la victime pour présenter ses condoléances à son mari, Ibrahima Boiro, professeur de biologie et directeur du Centre d’étude et de recherche en environnement de l’université de Conakry, et à leurs quatre enfants. « Choqué », il annonce que « les responsables de cet acte lâche et odieux seront traduits en justice ». Le ministre des Finances, Kerfalla Yansané, ajoute : « Elle est morte parce qu’elle refusait tout compromis entre l’intérêt public et les intérêts sordides des groupes mafieux. » À l’arrivée d’un proche, le mari d’Aïssatou s’effondre en larmes et lui confie : « Ma femme m’a dit qu’elle était menacée ces derniers temps. Elle avait envie de tout abandonner. »
Bandits en col blanc
Ce n’est pas par hasard que cette haute fonctionnaire avait été nommée au Trésor en février dernier. « Chez nous, c’était une personne rare, lâche un magistrat guinéen. Dans une fonction publique gangrenée par la corruption et l’impunité, elle était l’une des rares personnes qui bloquaient les bandits en col blanc. » Son nom avait été soufflé par les bailleurs de fonds. Et son ministre de tutelle, le professeur Kerfalla Yansané, lui-même fort respecté dans les capitales occidentales, lui avait demandé de mettre en place un système méticuleux de contrôle des dépenses publiques. En clair, elle ne décaissait pas de l’argent facilement. Et en mai dernier, elle avait joué un rôle décisif dans le démantèlement d’un réseau qui avait tenté de détourner 13 milliards de francs guinéens (près de 1,5 million d’euros). Plusieurs cadres du ministère des Finances, du Trésor public et de la Banque centrale avaient alors été interpellés.
En Guinée, la dernière réforme de l’armée conduit-elle d’anciens militaires à se faire braqueurs ou tueurs à gages ?
Aujourd’hui, Alpha Condé ne veut pas que ce crime reste impuni. Pour ses investigations, Sir Aboubacar Sylla, le procureur de Dixinn, une commune voisine de Conakry, peut mobiliser les meilleurs enquêteurs de la gendarmerie et de la police guinéennes. Les douilles des deux balles du tueur ont été retrouvées et devaient partir pour expertise à Abidjan ou Paris. Le 13, une battue a été organisée dans la forêt toute proche de Kakimbo, un site protégé qui sert de repaire et de cache d’armes aux bandits de tout poil. Vingt-neuf personnes ont été interpellées et trois fusils-mitrailleurs de type Uzi récupérés. La dernière réforme de l’armée conduit-elle d’anciens militaires à se faire braqueurs ou tueurs à gages ? Dans un communiqué de novembre, l’ambassade de France à Conakry constate « une augmentation du nombre d’attaques à main armée dans la capitale et sa banlieue ». L’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH) du vénérable Thierno Maadjou Sow demande à l’État de « sécuriser les citoyens qui, dans leur grande majorité, ont perdu le sommeil ».
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