Covid-19, changement climatique… La francophonie crée son réseau de scientifiques

Alors que s’ouvre le 18e sommet de l’OIF à Djerba, le Réseau francophone international en conseil scientifique vient de démarrer ses activités. Sa vocation ? Offrir aux dirigeants des clés pour prendre des décisions bien informées.

Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec, lors du lancement du Réseau francophone international en conseil scientifique, à Montréal, le 3 novembre 2022. © Hombeline Dumas

Clarisse

Publié le 19 novembre 2022 Lecture : 5 minutes.

Au plus fort de la pandémie de Covid-19, en 2020, les pays du Commonwealth, dont le Canada, l’Angleterre, l’Australie et l’Inde, organisaient fréquemment des réunions de conseillers scientifiques pour tenter d’apprendre les uns des autres dans la gestion de cette crise. Une stratégie à laquelle les pays francophones semblaient quasiment étrangers, alors même que les connaissances scientifiques offrent des clés pour mener des actions politiques pertinentes face à des défis mondiaux comme la pandémie ou les changements climatiques.

D’où l’idée de créer le Réseau francophone international en conseil scientifique (RFICS), incluant notamment les scientifiques d’Afrique francophone, dont la vocation est de renforcer les capacités en conseil scientifique dans l’espace francophone. D’où l’urgence, selon Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec, de trouver les moyens de travailler avec le continent, d’accroître les échanges entre pays du Nord et pays du Sud qui utilisent le français comme langue première pour interagir entre chercheurs et gouvernements. Entretien.

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Jeune Afrique : Officiellement lancé ce 3 novembre, le Réseau francophone en conseil scientifique recevra un soutien financier des Fonds de recherche du Québec d’un montant de 1,5 million de dollars sur cinq ans, auxquels s’ajouteront  800 000 dollars alloués par des partenaires universitaires. Quelles seront les missions précises du RFICS? 

Rémi Quirion : Il y aura deux volets. Le premier consistera à augmenter les capacités en conseil scientifique dans la francophonie. Certes, ce conseil existe, mais – et c’est peut-être culturel – il y a manifestement peu de liens (en tout cas beaucoup moins que dans les pays anglosaxons et dans certains pays asiatiques) entre les chercheurs des milieux scientifiques ou universitaires et les décideurs politiques.

L’idée est donc d’aider les universitaires intéressés à mettre sur pied un conseil scientifique et de le conduire, notamment en instaurant des échanges avec les fonctionnaires et les autorités gouvernementales. Dans le second volet, il s’agira toujours de faire du conseil scientifique dans le monde francophone, mais en tenant compte des manières d’agir de chaque région ou de chaque pays, afin que le conseil soit le plus multiculturel possible. On n’agit pas de la même façon suivant que l’on est au Québec, en France, au Cameroun ou au Sénégal. Et on ne tient pas encore suffisamment compte de ces données culturelles.

Que signifie concrètement tenir compte des aspects culturels ?

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Il y a une forte présence de l’anglais dans les domaines de l’innovation, des technologies et dans les textes scientifiques. Cela ne changera pas de sitôt. Toutefois, il est possible de mieux valoriser les publications scientifiques en français. Il faudrait que les universités reconnaissent davantage la valeur des publications en d’autres langues. Le conseil essaie donc de développer ce que nous appelons la « découvrabilité » des contenus scientifiques en français. Très souvent, sur les moteurs de recherche, seules les publications en anglais ou en d’autres langues apparaissent, jamais celles qui sont rédigées en français. Il faut trouver le moyen de modifier la donne. Cela prendra nécessairement un certain temps, mais cela favorisera de meilleures relations avec les décideurs, les hauts fonctionnaires dans les gouvernements, qui, précisément, parlent peu l’anglais.

Quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour recueillir l’adhésion des politiques, en particulier sur un continent africain que l’on dit davantage préoccupé par sa survie au quotidien ?

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Nous espérons travailler avec les universités sur le continent, et réunir des jeunes doctorants prêts à développer ces liens entre scientifiques et décideurs. Plus concrètement, cela suppose que des scientifiques soient en résidence dans les ministères. Leur présence pourrait aussi permettre aux décideurs de mieux appréhender l’utilité de la science, comme cela a été le cas pendant la pandémie du Covid-19. On pourra en faire la démonstration pour les changements climatiques et bien d’autres grands défis de société. Notre challenge le plus immédiat est de faire en sorte que des départements gouvernementaux accueillent de jeunes scientifiques.

Investir dans la science reste une initiative payante

L’Afrique scientifique existe-t-elle vraiment ?

Il est évident que les publications tout comme les infrastructures scientifiques se trouvent plutôt dans les pays du Nord. Nous avons néanmoins eu la preuve qu’il existait bien une Afrique scientifique lors de la pandémie avec, notamment, le fabuleux travail de caractérisation des différents variants du virus en Afrique du Sud, ou encore avec l’impressionnant travail d’analyse de la pharmacologie de certaines plantes effectué au Sénégal en vue de développer de nouveaux médicaments. Ce sont des connaissances que l’on a peut-être ignorées au cours des dernières décennies et qu’il est temps de redécouvrir, notamment en incitant les nouvelles générations à embrasser des carrières scientifiques.

D’où votre idée, aussi, de suggérer aux États africains d’augmenter leurs investissements en recherche et développement ?

Oui, c’est vrai pour l’Afrique, mais aussi pour les pays du Nord et d’Amérique latine… Faire des choix budgétaires est toujours un défi pour les gouvernements, qui ont des priorités à plus court terme. Mais investir dans la science, que ce soit sur le long ou le court terme, reste une initiative payante. Nous allons tâcher de convaincre les décideurs d’investir en recherche et développement.

Cela signifie-t-il par ailleurs que la meilleure façon pour l’Afrique de rattraper son retard en matière de science, c’est de privilégier la coopération internationale ?

Sans doute. Mais il faudrait surtout que les projets soient portés et développés à partir de l’Afrique, en fonction des besoins locaux, les priorités pouvant y être différentes de celles des pays du Nord. Suivant les régions du continent, les pays se révèlent plus ou moins réceptifs à notre démarche visant à créer une Afrique scientifique. Nous avons de bons retours du Bénin et du Sénégal, mais aussi des pays du Maghreb. Nous espérons qu’avec la création du Réseau francophone international en conseil scientifique, tous les scientifiques francophones pourront interagir, les Sénégalais essayant, par exemple, de convaincre les Ivoiriens de la nécessité de développer ensemble un réseau plus dynamique en Afrique de l’Ouest, de manière à attirer des investisseurs dans la recherche et l’innovation. En dépit des difficultés économiques, les décideurs réalisent qu’il est important d’investir dans l’innovation.

Quels défis attendent ce réseau ?

Il ne faudrait surtout pas qu’il devienne un club privé. Il doit être inclusif, ouvert à tous les pays de la Francophonie, à toutes les personnes intéressées, quel que soit leur genre. L’autre défi sera de trouver des mentors, c’est-à-dire des personnes ayant une expérience du conseil scientifique en Occident ou sur le continent, et qui sont prêtes à aider la première génération d’experts en ce domaine à émerger. Les besoins sont de plus en plus nombreux. On l’a vu avec la pandémie et le changement climatique, qui génèrent de nombreux défis dans nos sociétés. Aucun pays ne peut y répondre tout seul.

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