France : Rachid Djaïdani, caméra au poing

Prix de la critique internationale à Cannes, « Rengaine » est le résultat de l’incroyable persévérance de son auteur, Rachid Djaïdani. Une histoire de volonté, de sueur et de talent. Beaucoup de talent.

Un réalisateur prometteur, qui s’attaque au racisme entre communautés. © Vincent Fournier pour J.A.

Un réalisateur prometteur, qui s’attaque au racisme entre communautés. © Vincent Fournier pour J.A.

Renaud de Rochebrune

Publié le 21 novembre 2012 Lecture : 4 minutes.

« Je vis cela comme un boxeur qui s’est entraîné pendant longtemps dans sa cave et qui, le jour du combat, arrive avec sa fraîcheur, sa naïveté. Et ça marche ! C’est la magie des accidents. » C’est surtout « un truc de dingues », car Rachid Djaïdani n’imaginait « pas du tout avoir entre les mains une pépite ». Rengaine, son premier film de fiction, qui sort en salle le 14 novembre, a soulevé l’enthousiasme lors de sa présentation en mai dernier à la Quinzaine des réalisateurs pendant le Festival de Cannes. Considéré comme un film phénomène, il a reçu le prix de la critique internationale, catégorie sections parallèles, comme avant lui ceux d’immenses pointures telles que Nanni Moretti ou Michael Haneke.

Rengaine, c’est l’histoire de deux jeunes, le « renoi » Dorcy et la « rebeu » Sabrina, un Noir chrétien et une jeune musulmane maghrébine, qui s’aiment et veulent se marier. Un projet qui suscitera l’hostilité quasi générale de leurs deux entourages. Un scénario traitant de l’intolérance virant au racisme entre communautés facile à résumer, mais qui ne rend guère compte du foisonnement d’un film tourné… sans scénario. Djaïdani a travaillé de façon très improvisée au fil des inspirations et de « la sueur » dépensée.

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En résultent trois cents à quatre cents heures de rushs pour une heure et quart de joutes incessantes, réjouissantes et inquiétantes entre les protagonistes. Le tournage s’est étendu sur neuf années, faute de trouver un producteur, avec une petite caméra numérique et des acteurs débutants ou peu connus. Lesquels ont accompagné l’interminable aventure par amitié. « Sans la légitimation de Cannes, où je suis arrivé sans distributeur, j’aurais au mieux présenté le film dans un tout petit festival et fabriqué à l’arrache des DVD que j’aurais essayé de vendre à l’aide de deux, trois Pakistanais ou de deux, trois sans-papiers avant de tenter de les installer dans un bac à la Fnac, où on aurait eu bien du mal à les trouver ! » assure Djaïdani en plaisantant à peine.

Loulou

L’artiste ne sort pourtant pas de nulle part. Loin de là. Le succès qu’il connaît aujourd’hui à 39 ans, aussi inattendu qu’il soit, s’inscrit dans une belle trajectoire. Ayant abandonné tôt ses études par refus de « se fondre dans la norme scolaire », l’enfant de la cité des Grésillons à Carrières-sous-Poissy, dans la banlieue ouest de Paris, fils d’un ouvrier algérien de chez Peugeot et d’une mère soudanaise – il sait de quoi il parle dans Rengaine ! -, a commencé son parcours professionnel dès la fin de l’adolescence comme maçon. Très vite, celui pour qui « tout est combat, que ce soit dans la rue ou sur le ring du septième art, où on ne te laissera pas mettre les gants comme ça » se dirige vers la boxe. Là, comme toujours, il « ne lâchera rien », disputant 30 combats en poids léger. Avant de découvrir en 1994 l’atmosphère d’un tournage quand Mathieu Kassovitz, qui réalise La Haine, le prend dans son équipe comme homme à tout faire de la régie.

Cette rencontre avec le cinéma n’aura duré qu’un temps. Mais elle se révélera décisive pour infléchir sa destinée. Car, à cette époque où « c’était facile, puisqu’il n’y avait pas internet, pas Google », il envoie de faux CV à des directeurs de casting, prétendant avoir déjà joué dans quelques films et au théâtre. Il réussit ainsi à se faire embaucher pour de « petits rôles de loulou ou de "kaïra" » dans des films comme Ma 6-T va crack-er ou des séries comme Police District. Jusqu’au jour où un ami de son père assure à ce dernier que son fils « vend de la drogue à la télé ». Impossible d’expliquer à celui qui lui ordonne de ne pas « salir [s]on nom » qu’il ne s’agit pas d’un documentaire mais de cinéma. Qu’à cela ne tienne, il commence alors « avec un pote, puis seul quand celui-ci ne supporte plus que ce soit l’imagination de son ami qui envahisse tout », à écrire un texte. Pour le terminer, il « s’enferme un an ou deux » et peut ainsi bientôt proposer à un éditeur un livre à la fois tragique et jubilatoire, publié au Seuil en 1999 avec ce titre bien dans son style : Boumkoeur.

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Viscéral

Un premier succès, un premier bonheur, couronné par un passage dans l’émission « Bouillon de culture », de Bernard Pivot. Et qui est suivi d’un retour au métier d’acteur, cette fois sous la direction de l’immense homme de théâtre Peter Brook, qui lui fera jouer pendant quelques années des rôles qui ne le relèguent plus dans un emploi de jeune de banlieue. L’écrivain non plus ne chôme pas, avec en 2004 et 2007 deux livres aux titres – Mon nerf et Viscéral – une nouvelle fois évocateurs du caractère ultrasensible et survolté de leur auteur. Lequel a entrepris en même temps, depuis 2003, de réaliser Rengaine, ce film radical, « comme un uppercut », qui lui vaut aujourd’hui un triomphe au cinéma, une activité qu’il conçoit bien sûr – tout comme l’écriture telle qu’il la pratique – comme une variante du noble art.

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Et après ? Il tourne en ce moment, sans moyens, un documentaire sur un homme qu’il admire, le peintre d’origine algérienne Yassine Mekhnache, dit Yaze. Un nouveau rendez-vous improbable pour Rachid Djaïdani, un artiste tout-terrain qui a toujours envie « d’être à l’heure, mais là où on ne l’attend pas ». En attendant peut-être un nouveau roman, qui se passerait à New York – « mais peu importe le décor, comme me l’a appris Peter Brook, c’est l’humain qui compte ».

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