Photographie : « Messi fait les poubelles, Ronaldo fait la guerre »
Sous les maillots siglés Messi, Ronaldinho, Drogba, Eto’o ou Torres, des hommes et des femmes qui se rêvent d’autres vies. Le photographe franco-suisse Michaël Zumstein les a photographiés.
À l’heure où démarre une Coupe du monde de football à haut degré de polémique, le photographe franco-suisse Michaël Zumstein propose un contrechamp radical avec Aka Zidane (pour l’anglais « Also Known As Zidane »). Son projet, décliné en un livre édité par Images plurielles et en une exposition à la galerie Guigon (Paris 12ème, du 16 au 20 novembre), consiste en une série de 60 photographies d’Africain(e)s portant des maillots de footballeurs célèbres.
Devenir son idole
À l’origine de cette démarche, il y a d’abord la passion du reporter pour le football. « J’ai adoré jouer au football, écrit-il ainsi dans l’introduction de l’album. De sept à quinze ans, j’ai occupé tous les terrains détrempés de banlieue. J’ai joué à tous les postes de l’équipe. Je vivais foot et les murs de ma chambre étaient recouverts des photos de mes héros : Platini, Mario Kempes, Gérard Janvion. Le jour de mes dix ans, on m’a enfin offert mon premier maillot de foot. J’ai reçu l’improbable maillot de l’équipe d’Écosse. »
Problème : personne, à l’époque, ne connaît le nom du moindre joueur écossais… « Moi, fils d’une juive oranaise et d’un Suisse allemand, je devais devenir Écossais, poursuit Zumstein. J’ai finalement trouvé la photo d’un joueur dans un album : Gordon Strachan. » Sur le terrain et à l’école, l’enfant s’est métamorphosé en sa nouvelle idole : « Je pouvais enfin devenir Gordon Strachan, et vivre une autre vie que la mienne. »
Anti-balaka
Michaël Zumstein n’est pas devenu une star du ballon rond. Diplômé de l’École supérieure de photographie de Vevey, il est devenu photoreporter, d’abord pour L’œil public, puis pour l’Agence VU. Ses missions l’ont, très souvent, conduit en Afrique, dans des zones de conflits comme en RDC ou en Côte d’Ivoire. Mais c’est dans un autre pays, au cours d’un autre conflit, que la série des maillots de foot s’est imposée à lui.
« À l’origine d’Aka Zidane, il y a un reportage en Centrafrique en 2014-2014, raconte-t-il. J’ai pris une photo d’un groupe d’anti-balaka qui a fait la Une du journal Le Monde. Sur cette image, l’un des soldats portait le maillot rouge de l’Espagne. Je me suis dit que c’était étrange de faire la guerre avec un maillot de football. Et à partir de ce moment-là, j’ai commencé à chercher dans mes archives… J’ai retrouvé de nombreuses images d’hommes et de femmes avec des t-shirts portant le nom de célébrités du foot. »
Par la suite, une bourse du CNAP (Centre national des arts plastique) lui permet de poursuivre sa recherche en Afrique, où il traque plus systématiquement les Drogba, Ronaldinho, Juninho, etc. « J’ai vu Lionel Messi, écrit Zumstein. Il avait huit ans, et accompagné de son âne, il ramassait des ordures sur un marché au Niger. Sur une charrette, j’ai aussi croisé Zinedine Zidane qui revenait de son champ de sorgho, trop petit et trop sec pour nourrir sa famille. »
Ronaldinho, Beckham, Shevchenko
Il faut le dire, les images de Michaël Zumstein sont à mille lieues des vestiaires aseptisés des grands stades de football. Ici, on ne roule pas en voiture de luxe et les maillots, plus que de sueur, sont parfois mouillés de sang. « Messi fait les poubelles, Ronaldo fait la guerre, Zidane ne parvient plus à nourrir sa famille », résume Zumstein dans l’un des courts textes qui accompagnent ses images. Aka Zidane n’est certes pas un livre très joyeux, mais c’est un livre qui raconte l’Afrique en offrant des pistes de réflexion sur la guerre, l’identité, l’économie, l’avenir…
En Centrafrique, Zumstein photographie « Ronaldinho, le buteur brésilien, qui vient d’amener à l’hôpital son ami mort dans ses bras » et « cet homme mort au milieu de la route portant les couleurs du maillot argentin ».
« David Beckham, l’attaquant anglais, et Andriy Chevtchenko [attaquant ukrainien] ne se connaissent pas, écrit encore le photographe. Ils sont pourtant traversés par une même question : qui est Ivoirien ? Cette question hante la Côte d’Ivoire depuis que le miracle économique a pris fin et que l’on regarde d’un mauvais œil ces familles venues des pays voisins et dont dépendent maintenant des pans entiers de l’économie. » Au Mali, « Lionel Messi et ses collègues ont installé leurs pupitres, leurs ordinateurs et leurs enceintes rue Fankalé Diarra. Contre 1 000 francs CFA, les habitants de Bamako viennent copier sur leurs téléphones portables des dizaines de titres et de vidéos que proposent les « téléchargeurs ». Un iTunes de la rue. »
Contraste
Au-delà du contraste évident entre le monde du football de haut niveau et la réalité quotidienne de l’Afrique, Aka Zidane invite – sans donner de leçon – à réfléchir sur la mondialisation, la célébrité, l’argent, la guerre, mais surtout sur les aspirations et les rêves de chacun.
Que signifie, au fond, le fait de revêtir un maillot portant le nom d’une personne qu’on ne rencontrera probablement jamais ? Que représentent ces « héros contemporains » payés des millions d’euros pour envoyer un ballon dans un filet ? Pourquoi avons-nous besoin de ces demi-dieux, ou à tout le moins de leurs costumes de scène, pour tenter d’exister ? Michaël Zumstein n’offre pas de réponses, mais « donne à voir la place et l’ampleur de vies d’hommes et de femmes cachées sous les maillots de foot ».
Aujourd’hui, le photographe, réalisateur de plusieurs documentaires (Il faut ramener Albert, Ils peuvent prendre notre soleil, Côte d’Ivoire : le tribunal militaire contre la police) a cessé de photographier les hommes en maillot de foot. Il est fort probable qu’il ne regardera pas la Coupe du monde 2022 : « Je me suis dit que je n’allais pas la regarder, mais bon, j’aurais pu me dire la même chose en 2018, quand elle se déroulait en Russie… »
Aka Zidane, de Michaël Zumstein, Images Plurielles Editions, 96 pages, 25 euros.
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