Algérie : les sept péchés capitaux
Bureaucratie, accès difficile au logement et aux soins, problèmes de transport, corruption… Le nouveau gouvernement promet de s’attaquer aux fléaux qui minent le quotidien des Algériens, dont la fameuse « chkara » (pot-de-vin). Un chantier colossal.
Algérie : ce qui a changé, ce qui doit changer
En répondant aux députés lors de la présentation du plan d’action de son gouvernement devant le Parlement, mi-octobre, le nouveau Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a eu recours à cette anecdote : « Quand nos gardes-côtes interpellent des harraga [candidats à l’émigration clandestine, NDLR] en haute mer, ils leur demandent pourquoi ils courent le risque d’une mort certaine pour fuir un pays où l’on ne meurt pas de faim, où l’on ne s’entretue plus, un pays caractérisé par sa stabilité politique et son aisance financière. Ils obtiennent toujours la même réponse : en Algérie, on étouffe. » L’air serait-il si pollué dans le pays de Bouteflika ?
Sellal poursuit. « Nos jeunes sont coincés entre la yadjouz [terme désignant « ce qui n’est pas permis », utilisé pour décréter l’interdit religieux] et la rigueur de la loi. Ne sommes-nous pas capables de les laisser vivre sans pour autant toucher à nos valeurs religieuses et traditionnelles, ni renoncer aux lois de la République ? » Il est vrai que le manque de loisirs est l’une des premières raisons citées par les jeunes Algériens pour dire leur « mal-vie ».
Le plus grand pays d’Afrique (près de 2,4 millions de km2), où vit une population de 37 millions d’habitants, compte en effet moins de cinquante salles de cinéma et une petite dizaine de théâtres. « Entre projections cinématographiques, pièces de théâtre, music-hall et concerts, on recense 800 spectacles quotidiens pour la seule ville de Paris. Chez nous, sur toute l’étendue du territoire, on peine à arriver à la moitié… en une année ! » déplore Najib, journaliste dans un quotidien privé arabophone. Sans compter que, sous la pression des riverains, les boîtes de nuit ferment les unes après les autres. Une activité nocturne, mixte qui plus est, ne peut être que suspecte.
Tracas
Pour remettre du baume au coeur de ses jeunes et moins jeunes administrés, le nouveau gouvernement a placé en tête de ses priorités l’amélioration des conditions et du cadre de vie des citoyens, laquelle passe par « le renforcement de tous les services publics, leur réhabilitation et leur redynamisation ». Les petits tracas quotidiens de l’Algérien – pris dans les méandres de l’administration et de la justice (lire p. 84), les problèmes de logement, de santé (lire p. 83), de sécurité, de transport, et la morosité du cadre de vie – tenant en effet en premier lieu aux péchés dont se rend coupable la houkouma, c’est-à-dire « le gouvernement » stricto sensu mais aussi, plus largement, « les pouvoirs publics » et les services qui leur sont attachés : administration centrale et locale, tribunaux, police, pompiers, hôpitaux, transports…
Un membre de l’équipe Sellal ayant une longue expérience gouvernementale et réputé proche d’Abdelaziz Bouteflika ne cache pas, en privé, son appréhension. « De tous ceux qui se sont succédé depuis l’indépendance – hormis le premier, qui a dû faire face à d’énormes difficultés -, l’actuel gouvernement dispose de la feuille de route la plus délicate. Un programme de développement bien mené peut remettre à niveau une économie ; en revanche, il est difficile de transformer les mentalités en quelques mois, de lutter contre l’incivisme et de réapprendre aux gens à vivre ensemble… » Car il est vrai que tous les maux de la société ne sauraient être imputés à la seule houkouma, les citoyens ayant eux aussi leur part de responsabilité dans cette dégradation du cadre de vie.
Les citoyens ont aussi leur part de responsabilité dans la dégradation du cadre de vie.
Bakchichs
Prenons d’abord le cas épineux de la bureaucratie, considérée par la plupart des Algériens comme la principale plaie du pays. Survivance de la clandestinité au cours de la guerre de libération, l’administration se méfie de ses administrés. Une inscription scolaire ou une admission à l’hôpital nécessitent une tonne de paperasses, le meilleur raccourci pour nourrir la corruption et ses bakchichs, alias chkara (« sac bourré de billets de banque »). « On peut demander au gouvernement d’alléger les procédures, analyse Nabil, 30 ans, cadre supérieur dans un établissement financier, mais comment se débarrasser de l’écrasante majorité des fonctionnaires véreux qui réclament 10 000 dinars [environ 100 euros] pour un extrait de naissance et 50 000 dinars pour le « 12S » [acte de naissance obligatoire pour les dossiers d’obtention de passeport et de nationalité] si le demandeur veut éviter une longue attente ? » Bien que l’islam soit particulièrement sévère à l’égard de la corruption et que le pays connaisse un regain de religiosité, corrompus et corrupteurs se retrouvent le soir à la mosquée, comme si de rien n’était. « Chez nous, conclut Nabil, l’enfer ce n’est pas la houkouma. L’enfer de l’Algérien, c’est l’autre Algérien. »
Comment lutter en effet contre un voisin qui balance son sac d’ordures ménagères depuis sa fenêtre du sixième étage et transforme la rue en décharge publique ? Ne pensez surtout pas que ce dernier perd pied quand il est pris en flagrant délit : « Ce n’est pas de ma faute si l’ascenseur est en panne et que le vide-ordures est squatté par une famille qui attend d’être logée depuis des lustres. »
Incivilités
Résultat de ces petites libertés prises par les uns et les autres : les villes et les villages du pays sont devenus sales, insalubres, les rues et les espaces publics sont rendus irrespirables et infréquentables. « Les mutations sociales ont engendré une multiplication de maladies cardiovasculaires contre lesquelles la meilleure thérapie est l’activité physique, raconte Manar, vétérinaire à Blida. Mais où faire un jogging en toute sécurité ? Nos villes ne se sont pas dotées de parcours où l’on puisse courir à son aise. Quant à parler d’installations sportives, cela relève du fantasme… » Tout comme faire un tennis à Alger d’ailleurs, la capitale n’offrant qu’une dizaine de courts à ses 3,5 millions d’habitants.
Disparités
L’incivilité frappe aussi sur les routes algériennes, parmi les plus meurtrières du monde, avec des chauffards roulant constamment à tombeau ouvert, persuadés que le code est pour les autres et la route réservée à leur usage exclusif. Le problème est que, de leur côté, les piétons algériens sont eux aussi sûrs d’avoir tous les droits, y compris celui de traverser une autoroute l’oreille collée à un téléphone portable. Résultat des courses : les accidents de la circulation sont devenus la première cause de mortalité en Algérie et les services d’urgence des hôpitaux sont toujours débordés, d’autant que, et c’est l’un des autres maux du pays, ils sont encore loin d’être pourvus des moyens humains et matériels nécessaires.
En l’occurrence, si les vertus de la médecine gratuite sont incontestables, le secteur de la santé présente des disparités régionales qui le sont bien plus. Particulièrement dans les villes et les territoires du Sud. On y a bien construit des hôpitaux, parfois équipés de matériel de dernière technologie, mais, faute de personnels, d’encadrement et de moyens, ces infrastructures et équipements ne peuvent rien face au désarroi des populations locales, obligées de se déplacer au nord pour avoir une chance de se faire soigner… Car, là encore, tout dépendra des pots-de-vin qu’elles pourront verser pour obtenir un rendez-vous ou espérer subir une intervention chirurgicale.
Si le fonctionnement et les performances des services publics sont certes « engourdis » par la bureaucratie et la corruption, le seul changement qui vaille aujourd’hui en Algérie est, sans aucun doute, celui des mentalités. « La mère de toutes les batailles du développement », comme l’a souligné Abdelmalek Sellal.
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