France : l’imbroglio des 35 heures
L’allongement de la durée hebdomadaire du travail en France serait socialement insupportable et politiquement très risqué. Mais le recours à la fiscalité pour alléger les charges des entreprises et accroître leur compétitivité plomberait la consommation, et donc la croissance. Quelqu’un a une solution ?
C’est un faux pas pour le moins malheureux. Le 30 octobre, Jean-Marc Ayrault a commis l’imprudence de répondre aux lecteurs du Parisien qui lui demandaient s’il était d’accord pour revenir aux trente-neuf heures de travail hebdomadaires : « Pourquoi pas [un débat] ? Il n’y a pas de sujet tabou. Je ne suis pas dogmatique. » En donnant l’impression de vouloir renoncer aux trente-cinq heures, considérées par la gauche comme une avancée sociale majeure, le Premier ministre a déclenché une tempête politique. Il a par la suite tenté de rectifier le tir, mais le mal était fait.
Avant la remise, le 5 novembre, du rapport de Louis Gallois, commissaire à l’investissement et ancien patron d’EADS et de la SNCF, Ayrault semblait en effet résolu à sacrifier la réduction du temps de travail. Cela a failli compromettre le travail pédagogique de Gallois, qui, depuis six mois, plaidait pour une baisse de 30 milliards d’euros des charges sociales des entreprises et pour une amélioration de leur compétitivité hors coûts, afin de provoquer un « choc de confiance » et de relancer une économie mal en point. À aucun moment son rapport ne fait d’ailleurs des trente-cinq heures un obstacle au développement des entreprises.
Par principe, les patrons critiquent la loi. Mais ils s’en accomodent très bien.
Guerre de religion
Douze ans après l’adoption par le Parlement d’un projet de loi présenté par le gouvernement Jospin réduisant de trente-neuf heures à trente-cinq heures la durée légale hebdomadaire de travail, la guerre de religion n’est toujours pas terminée. Faut-il abroger ou réformer ladite loi, sachant que les uns la jugent calamiteuse pour les entreprises et les autres bénéfique pour les salariés ?
L’argumentaire patronal est impeccable. La réduction autoritaire du temps de travail a fait que les Français ne travaillent, en moyenne, que 1 679 heures par an. Soit moins que les Italiens (1 813 heures), les Britanniques (1 856) ou les Allemands (1 904). Incontestablement, la hausse du coût du travail qui en a résulté a contribué à dégrader la compétitivité des produits français par rapport à leurs concurrents allemands. Elle a du même coup, comme l’a d’ailleurs reconnu Ayrault, « causé des difficultés aux petites entreprises ».
Si les chefs d’entreprise protestent par principe contre les trente-cinq heures, ils ne demandent pas pour autant leur abrogation, peu désireux qu’ils sont de perdre les allègements de charges sociales qui les accompagnent : plus de 21 milliards d’euros par an, quand même… Ils ont d’autre part, en contrepartie des trente-cinq heures, négocié avec les syndicats des organisations du travail plus flexibles qui leur permettent de mieux s’adapter aux périodes de pointe et de creux de l’activité. Il serait dommageable pour eux d’y renoncer. Les patrons connaissent les conclusions de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), selon lesquelles « la diminution du temps de travail n’explique qu’environ 10 % de la hausse du coût horaire de la main-d’oeuvre entre 1996 et 2008 ». Ils savent que l’opinion est majoritairement favorable (à 57 %, selon un sondage Ifop d’avril 2012) au maintien des trente-cinq heures. Ce qui explique que, dans cette controverse, le monde économique se montre bien plus modéré que l’opposition de droite.
À gauche et chez les syndicats de salariés, le discours est à l’opposé. On met volontiers en avant l’étude de la Dares, le service statistique du ministère du Travail, qui a calculé que la réduction du temps de travail avait créé environ 350 000 emplois entre 1998 et 2002. On souligne que les cadres plébiscitent eux aussi à 62 %, soit davantage que les ouvriers (59 %), la réduction du temps de travail. Les salariés les plus satisfaits sont les femmes, auxquelles ce temps gagné a permis d’être moins stressées pour remplir leurs obligations familiales.
Mais, pas plus que les adversaires des trente-cinq heures, leurs partisans ne peuvent pousser très loin leurs arguments. Ils sont en effet obligés de reconnaître que la part de la France dans le commerce mondial est tombée de 4,9 % en 2003 à 3,3 % en 2011, et que l’augmentation du coût du travail y est naturellement pour quelque chose, certes à côté du manque d’innovation et d’un positionnement industriel sur des segments intermédiaires où les produits des pays émergents sont très compétitifs. Ils savent aussi que nombre de salariés accepteraient sans problème de travailler plus longtemps, à condition de gagner plus : c’est ce que leur avait proposé Nicolas Sarkozy lorsqu’il avait défiscalisé les heures supplémentaires. Ils connaissent les effets pervers des trente-cinq heures sur certains salariés contraints de faire le même travail en moins de temps qu’auparavant.
Inextricable
La situation semble inextricable. Les trente-cinq heures ne peuvent être abrogées en raison de l’imbroglio qui en résulterait. Si la durée du travail passait à trente-neuf heures pour un salaire inchangé, cela abaisserait de 10 % le smic. Si les trente-neuf heures étaient intégralement payées, les cadres devraient renoncer à leurs jours compensatoires de congé, les fameuses RTT. Socialement insupportable.
Il n’y a pas trente-six solutions pour requinquer une compétitivité en berne et alléger les charges des entreprises. Le retour aux trente-neuf heures ? Impossible, on l’a vu. Le transfert des charges sociales des entreprises vers la CSG (contribution sociale généralisée) ou la TVA ? Il amputerait le pouvoir d’achat et donc la consommation, qui est aujourd’hui l’unique moteur de la croissance. Patronat et syndicats ont donc entrepris de négocier des assouplissements et des aménagements des rémunérations et de l’organisation du temps de travail. Ces discussions sont délicates, car elles supposent, de part et d’autre, des sacrifices douloureux. Dans ce contexte, la gaffe de Jean-Marc Ayrault est particulièrement inopportune. Elle contribue à figer les positions. Elle incite les uns et les autres à se crisper sur des principes dont on sait bien qu’aucun d’entre eux n’a la moindre chance de s’imposer.
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