Mauritanie : Mohamed Ould Ghazouani, l’homme de l’ombre

Le chef d’état-major de l’armée assure de facto l’intérim du président Ould Abdelaziz depuis « l’accident » de celui-ci à la mi-octobre. Portrait d’un général aussi secret qu’influent.

Au côté du chef de l’État, le 25 novembre 2011 à Nouakchott. © AMI

Au côté du chef de l’État, le 25 novembre 2011 à Nouakchott. © AMI

Publié le 20 novembre 2012 Lecture : 4 minutes.

Tenir le premier rôle, il s’en serait bien passé. Pourtant, à la demande du président mauritanien, en convalescence à Paris à l’heure où ces lignes sont écrites, le général de division Mohamed Ould Ghazouani, le très consensuel chef d’état-major de l’armée, a dû prendre les choses en main. Juste après l’accident dont a été victime Mohamed Ould Abdelaziz, le 13 octobre, officiellement blessé par balle à l’abdomen à la suite d’une méprise d’un jeune lieutenant de l’armée de l’air, cet homme de l’ombre a tout géré : l’allocution du ministre de la Communication, l’intervention d’« Aziz » à la télévision, ainsi que son transfert en France.

Depuis, aucun intérim n’a été décrété en Mauritanie. Le Conseil des ministres a été reporté trois fois, mais, officiellement, le président est toujours aux commandes. Le très secret Ould Ghazouani – il fuit la presse comme la peste – lui rendrait compte quotidiennement des affaires du pays. Il aurait également demandé à la garde nationale de patrouiller dans la capitale et de surveiller de près les hauts gradés et les personnalités en vue. Rien d’étonnant à cela : experts en coups d’État pour en avoir fomenté ou déjoué, mais au caractère diamétralement opposé – Aziz est réputé sanguin et Ould Ghazouani, plus réfléchi -, le président et son chef d’état-major se connaissent bien. Et se considèrent comme des frères.

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Ascension

Originaire de la wilaya (préfecture) de l’Assaba, dans le Sud, Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed, dit Ould Ghazouani, est le fils d’un chef spirituel de la tribu maraboutique Ideiboussat, des Berbères à qui l’on prête des pouvoirs mystiques. Entre soufisme et commerce d’importation (change de devises, vente de véhicules, thé, tissus, céréales…), ils ont acquis une grande – mais discrète – influence dans le pays. Ould Ghazouani, par ailleurs très bon connaisseur de la carte tribale mauritanienne, est à leur image : respecté (on ne lui connaît pas d’ennemi, chose rare à Nouakchott) et réservé.

À l’académie militaire de Meknès, il suit ses études avec un certain… Mohamed Ould Abdelaziz.

En 1980, il s’inscrit à la prestigieuse académie militaire de Meknès. Il y rencontre… un certain Mohamed Ould Abdelaziz, qui a alors 22 ans. Leur formation terminée, ils sont promus lieutenants. Ould Ghazouani multiplie alors les postes à l’état-major et les stages à l’étranger, en Syrie et en Jordanie surtout. Devenu commandant, il prend, en 2003, la tête de l’ultrasensible bataillon blindé (BB). Le 8 juin 2003, lors de la tentative sanglante de putsch contre Maaouiya Ould Taya perpétrée par ce qui allait devenir la rébellion des « Cavaliers du changement », Ould Ghazouani est en stage en Jordanie. Deux ans plus tard, désormais colonel, il se voit confier le deuxième bureau (renseignements militaires) de l’état-major de l’armée nationale. Le 3 août 2005, il est le véritable artisan du putsch contre Ould Taya, aux côtés d’Aziz, et remplace Ely Ould Mohamed Vall à la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Son rôle est alors déterminant dans l’intronisation de ce dernier à la tête du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), ainsi que dans l’élection de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, en 2007. La même année, Ould Ghazouani est promu général, Aziz, alors commandant du bataillon de la sécurité présidentielle (Basep), ayant usé de son influence auprès de « Sidi ». En avril 2008, il est nommé à la tête de l’état-major de l’armée.

À la mi-juillet 2008, Mohamed Ould Ghazouani est en tournée à l’intérieur du pays pour s’assurer de la loyauté des militaires. Le 6 août, aux alentours de 7 heures du matin, il apprend par téléphone qu’il est limogé par décret, puis, dans un deuxième temps, que son inséparable camarade Aziz a pris le pouvoir en déposant Sidi. Rentré deux jours plus tard à Nouakchott, il va s’atteler à une autre tâche : convaincre l’opinion internationale, qui rejette le putsch. Après une première visite à Alger – un échec -, il se rend au début de 2009 à Paris, il est reçu au ministère de la Défense. Il aurait été introduit auprès de Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Élysée, par le très influent homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, aujourd’hui en exil au Maroc depuis sa brouille avec Aziz. Alors que Sidi prônait le dialogue avec les islamistes radicaux, Ould Ghazouani promet de fournir aux Occidentaux des informations précieuses sur Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Le 18 juillet 2009, Aziz est élu président avec 52,47 % des voix et se refait ainsi une virginité. Il a désormais le soutien de la France.

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Réseau

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Depuis 2009, Ould Ghazouani dirige le Conseil supérieur de la défense nationale, avatar du Haut Conseil d’État, la junte créée par Aziz après son putsch, puis dissoute au lendemain de son élection. Devenu le général le plus gradé de l’armée, il est le missi dominici d’Aziz, notamment en France. Son réseau est extrêmement vaste, que ce soit au sein de l’opposition (Mohamed Mahmoud Ould Ghazouani, membre influent du parti d’obédience islamiste Tawassoul, est son cousin germain), du parti présidentiel (Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Lemine, secrétaire général de l’Union pour la République, est également son cousin), de l’administration ou de l’armée.

Sur sa vie privée, on ne sait rien, sinon qu’il est marié à Marieme Mint Mohamed Vadhel Ould Dah, conseillère à l’ambassade de Mauritanie à Washington. « Il a prouvé qu’il est loyal, il ne déposera pas Aziz, commente un observateur mauritanien. Il veut les avantages du pouvoir, sans les inconvénients. Il a hâte de reprendre sa place. » Mais pour le moment, la date du retour d’Aziz à Nouakchott n’est pas encore fixée.

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