Nord-Mali : sur la piste des jihadistes français
Ils seraient une vingtaine tout au plus. Certains se sont convertis à l’islam, d’autres sont issus des banlieues de l’hexagone et rejettent le soufisme de leurs parents… Enquête sur ces hommes qui veulent combattre au nom d’Allah, notamment au Nord-Mali, et qui inquiètent les services de renseignements.
Article publié le 20/11/2012.
« Ils sont entre dix et vingt », confie une source proche des services de renseignements français… Ce sont les jihadistes français qui ont rejoint Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) dans le Nord-Mali. La plupart – les quatre cinquièmes – sont des binationaux, notamment des Franco-Maliens. Profil : des jeunes de cités françaises qui rejettent le soufisme de leurs parents et veulent combattre au nom d’Allah. Mais il y a aussi quelques Français de souche convertis à l’islam. Les services français essaient de les suivre tous à la trace. Leur hantise : une nouvelle affaire Merah, du nom de cet islamiste franco-algérien qui, de retour du Pakistan, a froidement assassiné sept personnes, dont trois enfants, dans le sud-ouest de la France en mars dernier.
Fin août, Paris a récupéré une photo permettant d’identifier deux d’entre eux – des trentenaires. Le 7 octobre, un présumé Français apparaît à l’arrière d’un pick-up sur une photo prise dans la ville de Gao. L’homme, qui tient un kalachnikov en bandoulière, a les tempes dégarnies. Selon l’auteur du cliché, « il se fait appeler Mohamedou, et il est content d’être à Gao, chez ses frères de lutte. Il se sent chez lui ». Pour l’instant, le seul Français aisément identifiable est un prêcheur qui soigne sa communication. Dans une vidéo postée le 9 octobre sur le site mauritanien saharamedias.net, un dénommé Abdel Jelil apparaît devant un fond noir portant le sigle d’Aqmi, un kalachnikov posé à son côté.
Catastrophique
En réalité, c’est un Français de souche. Dans un français sans accent, il raconte ses vingt années de marine marchande – et même de travail humanitaire en Éthiopie avec Médecins sans frontières ! Il dit être installé à Tombouctou depuis deux ans avec sa femme (d’origine maghrébine) et leurs cinq enfants. Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il est d’origine bretonne et s’appelle Gilles Le Guen. Toujours de bonne source, l’ambassade de France à Bamako l’a contacté, fin mars, pour lui conseiller de quitter le Nord-Mali avant l’arrivée des islamistes. Réponse : « Non, je ne bouge pas. À Tombouctou, je suis en famille. » Aujourd’hui, il promet une « catastrophe humaine et humanitaire » en cas d’intervention militaire au Sahel.
À dire vrai, il y a quelque chose de folklorique dans la vidéo de ce quinquagénaire à la moustache teinte. « Le kalachnikov qu’il nous montre est un peu trop grand pour être vrai. Visiblement, il est en plastique ! » s’amuse un spécialiste de la lutte antiterroriste, et comme le soi-disant Abdel Jelil est fiché par toutes les polices, c’est le dernier jihadiste que ses chefs enverront en Europe. Mais au-delà de ce « paumé de l’Histoire », sa vidéo est une menace contre la France à l’heure où se prépare une opération internationale. Analyse de notre spécialiste : « Via ce converti, Aqmi dit aux Français : "Souvenez-vous de Mohamed Merah. Votre territoire n’est pas sanctuarisé. Si quelques-uns de vos compatriotes sont avec nous au Sahel, nous pouvons aussi les faire opérer sur votre sol." »
Beaucoup moins folklorique : le profil d’Ibrahim Ouattara. Comme l’a révélé RFI, ce Franco-Malien de 24 ans a été arrêté le 4 novembre à la gare routière de Sévaré, près de Mopti, alors qu’il tentait de rejoindre Tombouctou en bus. C’était l’élément précurseur d’un groupe d’une dizaine de jihadistes algériens, tunisiens, sénégalais et français qui vivent actuellement en Europe. L’homme est soupçonné d’avoir voulu tuer le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, en 2010. Comme il était sous contrôle judiciaire en France, il est passé par le Portugal en voyageant sous une fausse identité. Visiblement, il y a des failles dans le dispositif de surveillance de la police française.
"Gros gibier"
- Cédric Labo Ngoyi Bungenda, un Franco-Congolais (RD Congo) de 27 ans, a été arrêté le 7 août à Niamey (Niger)
- Originaire d’Asnières, il avait réuni une forte somme d’argent ; il comptait passer au Nord-Mali et rejoindre Aqmi
- La police française a exigé et obtenu qu’il soit expulsé vers Paris.
Autre candidat français au jihad : le 7 août, un Franco-Congolais de 27 ans, Cédric Labo Ngoyi Bungenda, a été arrêté à Niamey pour une pécadille : une tentative d’achat de faux permis de conduire. Mais très vite les policiers nigériens ont flairé le « gros gibier ». Sa tactique, c’était l’immersion au Niger, avant de tenter le passage au Mali. Arrivé à Niamey quelques semaines plus tôt en provenance d’Asnières, près de Paris, cet animateur scolaire avait loué une maison et acheté un véhicule 4×4. Au cours de son interrogatoire, il a avoué qu’il voulait se rendre à Tombouctou pour porter assistance aux combattants d’Aqmi. Entre-temps, son ordinateur et son téléphone portable ont « parlé ». L’homme a été rapidement expulsé vers la France, qui le réclamait avec insistance. Objectif : exploiter ses informations afin de démanteler un éventuel réseau terroriste.
Belle somme
Est-ce l’effet Mohamed Merah ? Les candidats français au jihad se multiplient. Plus inquiétant encore, ce ne sont pas des « loups solitaires ». Avant de quitter la France, Labo Ngoyi Bungenda avait sollicité discrètement sa famille et quelques amis de sa cité pour réunir une belle somme d’argent.
France : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
« Un Français parti s’entraîner dans un camp, même s’il n’a commis aucun acte répréhensible en France, même s’il n’a pas grandi sur le territoire français, pourra être poursuivi pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, punie de 10 ans de prison et de 225 000 euros d’amende. »
Adopté par le Sénat le 16 octobre dernier.
Comment tarir la source ? « S’il n’est pas passé par la case prison, ce type d’individu est difficile à détecter », confie une source bien informée. « D’autant qu’il appartient à une communauté sur laquelle les services français ont peu travaillé. Jusqu’à présent, ils donnaient la priorité aux Franco-Maghrébins. Ce n’est que depuis quelques mois qu’ils s’intéressent aux Franco-Africains. »
Invisibles au départ, ces candidats au jihad peuvent l’être aussi à l’arrivée. Grâce à leurs deux passeports, certains binationaux franchissent allègrement les frontières et peuvent envisager de faire des allers-retours meurtriers entre la France et le Sahel. « Pour brouiller les pistes, certains débarquent à Dakar ou à Abidjan, et rejoignent le Nord-Mali par des bus régionaux », explique une source proche d’un service de renseignements d’un pays d’Afrique de l’Ouest. « Pour l’instant, nous n’avons pas découvert de réseau qui facilite leur voyage. Mais plusieurs apprentis jihadistes partent avec une adresse en poche. C’est souvent un membre de leur famille qui est déjà au Nord-Mali et qui se porte garant de leur engagement pour le jihad. Sinon, Aqmi les soupçonne d’être les agents infiltrés d’un service occidental, et ils risquent de passer un mauvais quart d’heure. »
La mort de Mohamed Merah le 21 mars, la chute de Gao le 31 mars… A priori, ces deux événements n’ont rien à voir, mais aujourd’hui ils font sens dans la tête de quelques fous de Dieu. Y a-t-il actuellement au Sahel des « disciples » de Merah qui cherchent à commettre des attentats en France ? Un proche des services français confirme que « le potentiel est là ».
Des Français s’étaient déjà fait remarquer au Maghreb…
Les Français qui partent faire le jihad au Sahel, c’est nouveau. Mais au Maghreb, non. Le 24 août 1994, deux touristes espagnols sont assassinés dans un hôtel de Marrakech. Six mois plus tard, Stéphane Aït Idir (23 ans, Franco-Algérien) et Redouane Hammadi (24 ans, Franco-Marocain) sont condamnés à la peine capitale, et sont toujours aujourd’hui dans le couloir de la mort au Maroc. Trois de leurs camarades franco-marocains (Kamel Ben Akcha, Abdessalam Garouaz et Abderrahmane Boujdeli) purgent, eux, une peine de prison à vie. Tous venaient du même quartier de la banlieue parisienne, la cité des 4 000 à La Courneuve.
Le 16 mai 2003, quarante-cinq personnes périssent dans une série d’attentats-suicides à Casablanca. Quatre mois plus tard, Richard Robert, un Français de 31 ans, est condamné par la justice marocaine à la réclusion criminelle à perpétuité. « L’émir aux yeux bleus », fils d’un ouvrier en verrerie de la région de Saint-Étienne (est de la France), s’était converti à l’islam dès l’âge de 18 ans. En 2009, il déclarait à Jeune Afrique qu’il renouait avec « sa foi catholique et son identité française ». En mai dernier, il a obtenu son transfert dans une prison française, où il espère aujourd’hui une remise de peine. CBo.
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