Collectionneurs – Sindika Dokolo : l’art comme une arme
Né à Kinshasa en 1972, marié à Isabel dos Santos, richissime femme d’affaires et fille du président angolais, Sindika Dokolo est l’héritier d’Augustin Dokolo, banquier millionnaire. Jeune businessman à succès (ciment, mines, pétrole, télécoms…), il n’en est pas moins un collectionneur avisé et engagé.
Sa collection africaine d’art contemporain (qui n’est pas « une collection d’art contemporain africain ») et les actions qui y sont associées (Triennale de Luanda, expositions…) se veulent « actes majeurs de politique culturelle » permettant de replacer l’homme au centre de la stratégie de développement. Dans son Manifeste, Sindika Dokolo écrit ainsi : « Si nous ne disons pas au monde ce que nous sommes, si nous ne montrons pas le meilleur dont nous sommes capables, nous ne mettrons jamais un terme à l’incompréhension et à la condescendance. »
Entreprise commune
Fondation Sindika Dokolo
Nombre d’oeuvres : environ 500?Artistes : El Anatsui, Ghada Amer, Solly Cissé, Marlene Dumas, David Goldblatt, Chris Ofili, Yinka Shonibare…
Localisation : Luanda (Angola)
Activités : expositions « Transit-Brasília », jusqu’au 18 décembre à Brasília, Triennale de Luanda…
Directeur artistique : Simon Njami
Entreprises : membre du conseil d’administration de Nova Cimangola et d’Amorim Energia, propriétaire d’une filiale d’Endiama, etc.
Site internet : www.fondation-sindikadokolo.com
Constituée d’abord à partir des oeuvres ayant appartenu à l’Allemand Hans Bogatzke, la collection Dokolo rassemble environ 500 pièces signées par 140 artistes venus de 28 pays africains. Elle s’enrichit d’environ 100 oeuvres supplémentaires par an. L’objectif de ses trois promoteurs, Sindika Dokolo, Simon Njami et Fernando Alvim, est « d’inverser la tendance qui consiste à exposer l’art africain à l’étranger sans jamais l’exposer sur son propre continent ». En outre, « après la disparition de grands chefs-d’oeuvre africains, à cause de la colonisation, la collection prétend éviter que cela se reproduise avec les productions contemporaines ».
Le curateur Simon Njami (Revue noire, « Africa Remix », etc.) explique : « Il n’y a pas, entre nous, le collectionneur et son conseiller, mais des personnes qui ont décidé d’allier leurs forces pour une entreprise commune. L’Afrique que nous défendons n’est pas celle que l’on voit à longueur de journée dans les journaux télévisés ou la presse. Comme avec Revue noire, c’est l’Afrique qui pense, qui agit, qui bâtit. ». Dans la ligne de mire ? Les élites bien sûr, « qui pourraient, [il] le souhaite, suivre l’exemple de Sindika Dokolo et permettre aux artistes d’exister dans leur propre pays sans avoir à en passer par les fourches caudines du monde étriqué de l’art ». Pour cela, encore faudrait-il que certains « se mettent à collectionner autre chose que des résidences de luxe dans des paradis fiscaux ».
Sindika Dokolo : "Définir l’art africain est une gageure"
Jeune Afrique : Comment avez-vous décidé d’entamer une collection d’art ?
Sindika Dokolo : Mon père était un grand collectionneur d’art « primitif » (nous préférons dire classique). Ma mère m’a traîné dans tous les musées possibles depuis mon plus jeune âge. Collectionner des oeuvres d’art était donc une évolution logique. Il a fallu ma rencontre avec l’artiste angolais Fernando Alvim pour que je découvre et m’intéresse à la contemporanéité africaine. À la mort du collectionneur Hans Bogatzke, j’ai eu l’occasion de racheter sa collection, dont j’ai gardé les pièces essentielles. Grâce à cette acquisition, j’ai été propulsé au rang de « grand collectionneur ». J’ai eu subitement voix au chapitre sur des sujets tels que l’importance de l’art sur un continent en mutation, les travers du monde de l’art, la responsabilité politique des acteurs culturels ou encore les contradictions inhérentes au concept même d’art africain par opposition à l’art en Afrique. Tous ces thèmes sont passionnants et plus importants qu’il n’y paraît.
Comment qualifieriez-vous votre relation avec Simon Njami, curateur de la collection ?
Nous sommes amis depuis un fameux dîner de 2006 à Luanda et une nuit passée à échanger sur l’Afrique, l’art et la politique. Sa principale qualité est, à mon sens, qu’à la différence de tant d’autres il vit totalement son engagement et sa passion. Il est résolument dans l’être et dans le faire, fait rare dans le monde de l’art, où le paraître et la communication dominent. Je le considère comme l’un de ceux qui ont le plus fait pour l’art et les artistes en Afrique. Il se bat afin de promouvoir à travers le monde de l’art et au-delà un sentiment de responsabilité et un nouveau regard sur notre continent. Nous lui en sommes tous redevables.
Vous considérez-vous comme un collectionneur d’art africain ?
Définir l’art africain est une gageure. La réalité de la scène sud-africaine postapartheid est bien spécifique et n’a, a priori, pas grand-chose à voir avec l’Afrique du Nord des printemps arabes. Je suis cependant résolument africain et passionné d’art. Je suis en outre conscient de l’importance d’exposer le public africain à sa création contemporaine à l’heure où notre continent se détermine et se projette dans le XXIe siècle. Promouvoir une dynamique culturelle à l’instar du modèle brésilien est une vision résolument politique et panafricaniste. Fort de cet objectif, je me considère davantage comme un acteur politique dans le domaine de la culture que comme un mécène ou un promoteur d’artistes. Cela fait de ma collection un regard africain sur la création africaine, mais également sur le monde de l’art et sur l’esthétique de notre siècle en général
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Propos receuilluis par Nicolas Michel
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