Alstom : du Maroc à l’Afrique du Sud, parcours d’un leader du ferroviaire sur le continent
Au cours des prochaines années, le constructeur doit relever le défi de maintenir un rythme de contrats soutenu tout en confortant sa place de premier groupe industriel du secteur en Afrique.
Ports, rails, airs… Pour l’industrie des transports, le temps du changement
Malgré la désorganisation du secteur provoquée par le Covid-19, opérateurs traditionnels et nouveaux entrants continuent de renforcer leurs positions. Les politiques d’intégration sous-régionales et de développement du commerce intra-africain boostent les infrastructures et les services à destination de l’hinterland.
Treize millions de passagers neuf mois après la mise en service commerciale, le 18 février. En dépit des controverses, le TER de Dakar et ses quinze trains Alstom Regiolis révolutionnent la mobilité de la capitale sénégalaise. Dans ce projet de 36 kilomètres à 1 milliard d’euros, piloté par l’agence publique Apix, le matériel roulant ne pèse qu’une faible part, 10 % environ financés par un prêt du Trésor français. Mais l’infrastructure, bientôt étendue de 19 km vers l’aéroport AIBD (dotée de sept trains supplémentaires), fait figure de référence pour Alstom et l’avenir des transports urbains en Afrique.
Tout comme pour le futur métro aérien d’Abidjan, Alstom fournira vingt trains Métropolis, la signalisation et l’intégration système sur ce projet à 1,3 milliard d’euros, réalisé notamment par Bouygues et Colas. Longtemps immobilisé du fait des « déguerpissements », le chantier s’accélère. Et Olivier Becht, ministre français délégué au Commerce extérieur, a signé le 28 octobre dernier avec Adama Coulibaly, ministre ivoirien de l’Économie, un prêt de 250 millions d’euros pour le financement du matériel roulant et l’ingénierie.
« L’exemple de ces deux capitales, qui s’ajoutent à nos réalisations en Afrique du Nord et en Afrique du Sud, est scruté dans toute la région et au-delà. La mobilité propre est un enjeu majeur pour les métropoles africaines, et Alstom considère avoir une responsabilité particulière en la matière », soutient le Sénégalais Mama Sougoufara, qui dirige la région MENAT (Middle East, North Africa & Turkey) du constructeur (voir encadré).
Tramways, métros, TER, TGV
Avant Dakar et Abidjan, Alstom a accumulé les succès en Afrique ces dernières années, sans compter l’ajout des contrats de Bombardier, acquis au début de 2021. Au Maroc, les tramways Citadis Alstom équipent les quatre lignes de Casablanca (lignes 3 et 4 remportées fin 2020) et les deux de Rabat, où Alstom se tient prêt pour une extension. Dans le royaume chérifien toujours, le TGV Al Boraq Tanger-Casablanca, avec ses douze EuroDuplex, fait figure de référence africaine de la grande vitesse, alors que l’ONCF a tout juste lancé les études pour l’extension vers Marrakech.
En Égypte, le groupe vient de se voir attribuer, toujours sur financement français, la modernisation pour 876 millions d’euros de la ligne 1 du métro du Caire, et est bien placé pour la future ligne 6. Si Alstom a laissé passer le mégaprojet à grande vitesse, remporté par l’allemand Siemens en mai, il conduit dans ce pays un projet majeur hérité de Bombardier : le monorail du Caire en phase d’essais. Ce chantier de 4,5 milliards de dollars, dont le génie civil est réalisé par Orascom et Arab Contractors, comprend aussi l’exploitation par Alstom pour trente ans.
À cela s’ajoutent de nombreux tramways en Algérie (Alger, Oran, Constantine, Ouargla, Sétif, Sidi Bel Abbès et Mostaganem) et deux énormes contrats sud-africains. Plus anciens, ces derniers sont toujours en phase de réalisation, que ce soit les trains urbains pour la Passenger Rail Agency of South Africa (Prasa) ou les locomotives de fret Traxx pour l’office public Transnet. Des contrats qui ont conduit à un développement industriel africain sans équivalent.
>>> À lire sur Africa Business+ : Les chantiers du nouveau patron d’Alstom Égypte <<<
Une usine de 6 ha à Johannesburg
La particularité d’Alstom, à la différence de concurrents comme le chinois CRRC ou Siemens, est que le français ne se contente pas de vendre, mais qu’il est aussi devenu le premier fabricant du continent. Cette empreinte industrielle s’appuie sur trois pays. Au Maroc, son usine de Fès lancée en 2011 avec Nexans (sorti depuis) était une simple unité de câblage. Avec plus de 500 employés et un investissement en cours de 10,5 millions d’euros, le site se mue en usine de composants électrotechniques. Alstom commence à y fabriquer des transformateurs de moyenne puissance pour ses métros, ses tramways ou ses trains régionaux partout dans le monde.
Nous revendiquons fièrement la place de premier industriel ferroviaire en Afrique avec près de 4 000 collaborateurs
En Algérie, les contrats se sont accompagnés de la création de Cital, une coentreprise dont Alstom détient 49 % qui assure depuis 2015 l’assemblage des tramways avec environ 250 personnes. Troisième pôle, le plus important : l’Afrique du Sud. Alstom y a constitué un écosystème de cinq joint-ventures et filiales d’environ 2 000 salariés. Ce pôle est né après qu’Alstom a remporté, en 2014, un appel d’offres de Prasa pour 600 trains périurbains X’Trapolis, le plus gros contrat de l’histoire du groupe avec 4 milliards d’euros. Ce qui a entraîné notamment la constitution de la JV Gibela (Alstom 70 %, Ubumbano Rail 30 %) et la construction d’une usine de 6 ha près de Johannesburg.
Le contrat Prasa prévoit une part très importante de contenu local qui conduit le groupe à s’intégrer industriellement et à développer un réseau de fournisseurs. « C’est un travail de longue haleine. Nous approchons l’objectif fixé de 70 % [de part locale] par des partenariats ou des investissements », indique Bernard Peille, directeur pour l’Afrique australe. En ce sens, en septembre, Alstom a acquis l’usine TMH Africa (105 salariés), qui fabrique des caisses de train.
Concurrence
En Afrique du Sud, le rachat de Bombardier a élargi ce pôle. Le groupe canadien y avait vendu le train régional Gautrain, accompagné du site de maintenance Bombela. Bombardier avait aussi remporté en 2015 un important marché de 240 locomotives électriques de fret Traxx auprès de Transnet, qui les assemble à partir notamment de composants produits dans une usine près de Johannesburg. Autant d’actifs qui ont renforcé l’assise manufacturière locale du numéro deux mondial du ferroviaire dirigé par Henri Poupart-Lafarge.
« La place de premier industriel ferroviaire en Afrique avec près de 4 000 collaborateurs, nous la revendiquons fièrement. La marque de fabrique réside dans notre approche du continent. Notre vision n’est pas seulement commerciale. Il s’agit d’apporter notre contribution à la création d’écosystèmes industriels», pointe Mama Sougoufara. Une conception bien dans l’air du temps. S’il n’est pas question de créer une usine de trains ou de métros dans chaque pays, les États africains exigent de plus en plus une intégration locale.
L’extension du TGV marocain dans une compétition qui s’annonce féroce, notamment face aux constructeurs chinois, comprendra dans l’appel d’offres de l ‘ONCF une part significative de contenu local. Ce qui est déjà le cas pour le contrat signé entre l’Égypte et le coréen Hyundai Rotem pour les lignes 2 et 3 du métro du Caire. Si Alstom a un train d’avance dans l’industrie en Afrique, il ne lui faudra pas rater le prochain aiguillage.
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