Sénégal : la concentration des médias, une arme à double tranchant
Les groupes Walf, Sud, Avenir Communication, Futurs Médias, D-Média réalisent l’essentiel du tirage et des audiences au Sénégal. Reste à savoir s’ils sont plus indépendants pour autant.
Médias : l’autre révolution
Sidy Lamine Niasse est peut-être l’un des hommes les plus influents du Sénégal. Il faut dire qu’en matière d’opinion ce patron, dont on a bien du mal à dire si c’est un homme d’affaires ou un homme politique, est à la tête d’une véritable machine de guerre. Son quotidien, Walfadjri, créé en 1984, a l’un des plus forts tirages du pays (12 000 exemplaires par numéro). C’est aussi l’un des titres les plus repris à l’extérieur. Walf Grand Place, quotidien people, et Walf Sports sont aussi en bonne place dans les kiosques, tandis que Walf TV et Walf FM tutoient les sommets de l’audimat. Le groupe Walf est également présent sur la toile et, depuis peu, dans les smartphones. Impossible donc, à Dakar, d’échapper à la « marque » de l’ancien conseiller d’Abdou Diouf à la présidence, reconverti en patron de presse et commentateur – il squatte les studios de télévision pour livrer ses analyses.
Est-ce la clé du succès ? Difficile à dire. À en croire les journalistes qui y travaillent, les finances du groupe ne sont pas florissantes et, plus généralement, la santé de la presse sénégalaise « n’est pas bonne », soutient le président du Conseil des diffuseurs et des éditeurs de presse, Madiambal Diagne, directeur général du groupe Avenir Communication. Selon lui, « la plupart des journaux se portent mal, et les chaînes de télévision ne sont pas encore rentables ».
Peut-on être propriétaire à la fois d’un journal et d’une agence de publicité ?
Pourtant, le modèle inventé par Niasse a fait des émules. « Ça devient la règle », déplore Diagne. Le groupe Sud Communication avait ouvert la voie avec un journal (Sud Hebdo, devenu Sud Quotidien), une radio (Sud FM), créée en 1994, et le portail SudOnLine. Sud communication est par ailleurs propriétaire de l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication (Issic), créé en 1996. Il a aussi à son actif la défunte société Marketing Presse, qu’il espérait développer dans la distribution de presse.
Puis la star du mbalax, Youssou Ndour, est arrivée avec ses gros moyens : création de Radio Futurs Médias (RFM) en 2002, d’un quotidien, L’Observateur (de très loin le plus fort tirage du pays, avec 95 000 exemplaires), en 2003, de Télé Futurs Médias (TFM) en 2010 et, bientôt, d’un site internet à vocation sous-régionale.
Quand les patrons de presse prennent le pouvoir
Le président sénégalais, Macky Sall, vient d’accéder à une vieille doléance du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics). Le 7 septembre, il a nommé à la tête du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) Babacar Touré, journaliste et PDG du groupe Sud Communication, en remplacement de Nancy Ngom Ndiaye, magistrate, qui le dirigeait depuis 2006. C’est la première fois, depuis sa création en 1992, que l’institution est présidée par un professionnel des médias et non plus par un magistrat ou un juriste. Cécile Manciaux
Succès
D’autres s’y sont risqués. En vain pour Madiambal Diagne, dont la société, Avenir Communication, n’a pas réussi à percer dans le monde de la radio. Avec succès pour le publicitaire Bougane Guèye Dani, dont le groupe, D-Média, possède un quotidien, La Tribune, ainsi que la télé (Sen TV) et la radio (Zik FM) les plus dynamiques du paysage audiovisuel sénégalais – Zik FM ayant dépassé l’audience de sa rivale Walf FM sur la région de Dakar.
Selon Mamoudou Ibra Kane, directeur général du groupe Futurs Médias, propriété de Youssou Ndour (devenu ministre de la Culture en avril), « le modèle de concentration marche très bien ». « C’est un succès sur le plan financier », assure le journaliste, tout en reconnaissant « qu’il peut aboutir, si l’on n’y prend garde, à des dérives », notamment à des conflits d’intérêts. « Aujourd’hui tout le monde, en plus de vouloir son journal, sa télé, sa radio, veut son agence de communication, son imprimerie et, parfois même, son agence de publicité », explique-t-il. Il ne cite pas de noms, mais d’autres ne s’en privent pas. Dans leur viseur : Bougane Guèye Dani, qui, avant de se lancer dans la presse, avait fait fortune dans la publicité. « On ne peut pas imaginer qu’un propriétaire de journal soit également à la tête d’une agence de pub. Il y a forcément conflit d’intérêts », estime un journaliste de L’Obs, qui craint que cet exemple « ne donne de mauvaises idées ».
Garde-Fou
Ibrahima Fall, journaliste à Week-End (Avenir Communication), s’inquiète de ce que, désormais, la plupart des patrons de presse sont « des hommes d’affaires ou des hommes politiques en quête de pouvoir d’influence. Pour eux, l’objectif n’est pas la qualité de l’information, ni même la rentabilité, mais le pouvoir qu’elle leur donne ». Ainsi, « certains journaux voient leur ligne éditoriale évoluer au gré des besoins du patron », ajoute un confrère.
Un autre danger pèse sur la pluralité. « Si trois ou quatre groupes seulement se partagent les marchés, tous les petits journaux mourront », soutient un cadre de Walf. Une loi de 1996 stipule pourtant qu’un Sénégalais ne peut posséder plus de trois organes de communication (et un étranger, un seul). Madiambal Diagne estime qu’il s’agit d’un garde-fou essentiel… Mais un garde-fou qui semble d’ores et déjà dépassé.
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