Journaux, télévision, radio… une révolution continentale
Créations de journaux, de radios et de chaînes de télévision, nouvelles exigences de citoyens-consommateurs surinformés, révision des lois sur la presse… En Afrique plus qu’ailleurs, le monde des médias, en pleine mutation, génère autant d’initiatives et d’investissements que d’enjeux politiques, économiques et culturels.
Médias : l’autre révolution
Du lynchage de l’ex-« Guide » libyen Mouammar Kadhafi, en octobre 2011, aux confidences fuitées de Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste tunisien Ennahdha, à des leaders salafistes, le 10 octobre dernier, en passant par le passage à tabac du président malien Dioncounda Traoré, en juin, rien ou presque de la vie politique n’échappe à l’oeil des médias. Même filmés en images tremblotantes, ces morceaux d’Histoire sont immédiatement relayés sur écrans de téléphone, d’ordinateur et de télévision, livrés en vrac ou décryptés, analysés, déclinés en reportages. Dans son ouvrage Les Médias arabes, confluences médiatiques et dynamique sociale (CNRS Éditions, décembre 2011), Tourya Guaaybess montre comment l’ère de la convergence numérique a engendré celle de la confluence médiatique, c’est-à-dire « l’imbrication des médias au sein d’un système "complet" permettant la coexistence de plusieurs formats (papier, audiovisuel, numérique) et de plusieurs médias (presse, audiovisuel, internet) ».
Sur le continent, cette mutation bouscule les frontières et déborde les censeurs, qui peinent à s’y adapter. Comme le souligne le politologue égyptien Tewfik Aclimandos, « chaque journal considéré isolément a ses tabous mais, dans l’ensemble, ces nouveaux médias, plus Twitter et Facebook, ont rendu impossible l’occultation de l’information ».
Influence relative
Si la presse occidentale a vu les médias comme des acteurs essentiels des révolutions arabes, leur influence est cependant à relativiser. « On a beaucoup parlé d’internet comme d’un facteur révolutionnaire majeur, mais son rôle a été aussi limité que sa présence dans les foyers », rappelle Salam Kawakibi, directeur de recherche au think-tank Arab Reform Initiative (ARI). Pour Alain Gresh, directeur adjoint du mensuel français Le Monde diplomatique, « avoir vu Ben Ali reculer en direct a joué un rôle majeur dans le déclenchement des événements en Égypte, en Libye, à Bahreïn, au Yémen et ailleurs », mais l’effet le plus notable des médias par satellite au Maghreb et au Moyen-Orient, la renaissance de l’idée arabe, s’était révélé bien avant 2011.
En fait, depuis les révolutions tunisienne et égyptienne, le changement le plus marquant est le retour de l’intérêt pour les médias locaux.
En fait, depuis les révolutions tunisienne et égyptienne, le changement le plus marquant est le retour de l’intérêt pour les médias locaux. « Les gens ont perdu confiance dans les médias du Golfe, analyse Hayat Howayek-Attieh, spécialiste des médias basée en Jordanie. Ils s’inquiètent pour l’avenir face à la crise économique et à l’islamisme. »
Constat similaire sur le reste du continent, lassé des contenus occidentaux dont il était abreuvé dans les années 1990 par les bouquets satellitaires naissants. « On n’y veut plus de succédanés de bouquets européens. Les télés africaines vont dans le sens de la proximité, et le paysage télévisuel subsaharien se caractérise par une grande effervescence », explique Jean-Christophe Ramos, directeur général de Canal+ Afrique.
Les années 2000 ont vu le succès des chaînes régionales, les productions locales se sont multipliées. Une effervescence qui, couplée aux progrès technologiques, a abouti à la prolifération de chaînes de télévision sur le continent – 1 600 actuellement.
Indépendance et pluralisme ?
Cette diversité est-elle synonyme de pluralisme ? C’est pour contrecarrer la qatarie Al-Jazira (fondée en 1996 par le cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani), qu’est créée la chaîne saoudienne Al-Arabiya (propriété de Middle-East Broadcasting Center, MBC), suivie en 2010 par Al-Arab, lancée par le Saoudien Al Walid Ibn Talal, et, en mai 2012, par Sky News Arabia (détenue à parité par Abu Dhabi Media Investment Corporation et British Sky Broadcasting, BSkyB). Toutes ces chaînes se targuent de produire une information neutre, mais leur sujétion aux intérêts des États hôtes ou des hommes d’affaires, proches des régimes, qui les contrôlent est évidente.
En Tunisie, nombre de médias privés étaient ainsi tombés sous la coupe d’affairistes de l’ancien régime, comme Mohamed Sakhr el-Materi, gendre du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali, qui s’était emparé en 2009 du premier groupe d’édition du pays, Dar Assabah. En Algérie, le politologue Mohammed El-Oifi explique que « le pluralisme de la presse est essentiellement dû à la structure du pouvoir. Chaque centre de pouvoir, qui peut être militaire, possède son bras médiatique ». Même schéma au sud du Sahara où, dans la plupart des pays, « il y a une liberté d’expression de façade, mais des pressions insidieuses qui aboutissent à l’autocensure. Le journalisme finit par s’y résumer à de la communication », remarque Pierre Martinot de l’Institut Panos d’observation des médias.
La mise en place d’instances de régulation viables, qui assurent l’indépendance des médias tout en encadrant le travail des journalistes, est l’un des plus grands enjeux. « Les processus de régulation menés dès les années 1990 en Afrique subsaharienne pourraient inspirer la réforme du paysage médiatique arabe », suggère Kawakibi. « De telles instances exigent un arsenal technique et des compétences très élevées dont ne disposent souvent pas les États », réplique Martinot. Celles existantes étant dans leur grande majorité peu efficaces et leur indépendance surtout théorique, professionnels des médias, gouvernement, parlementaires, juristes et société civile s’interpellent, débattent et se concertent pour établir de nouvelles règles du jeu.
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