La Corse, une île à la dérive

Petit paradis méditerranéen, la Corse est aussi le royaume des ténors du grand banditisme. Et ceux-ci ont la gâchette de plus en plus facile : déjà cent assassinats depuis 2008 !

Hommage à Antoine Sollacaro, l’avocat assassiné le 16 octobren devant le tribunal d’Ajaccio. © Pascal pochard/AFP

Hommage à Antoine Sollacaro, l’avocat assassiné le 16 octobren devant le tribunal d’Ajaccio. © Pascal pochard/AFP

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Publié le 31 octobre 2012 Lecture : 3 minutes.

Ah ! la Corse, ses criques aux eaux cristallines, son maquis exhalant des effluves de myrte et d’arbousier, son folklore façonné par des siècles de fierté exacerbée et d’irrédentisme… L’île de Beauté porte bien son nom. Mais derrière la carte postale, la réalité est tragique. Et la spirale de la violence s’emballe.

Le 16 octobre, Antoine Sollacaro, un célèbre avocat ajaccien (il a défendu, entre autres, le nationaliste Yvan Colonna, condamné pour le meurtre du préfet Érignac, en 1998), a été assassiné, alors que cette profession, à l’instar des médecins, des instituteurs ou des curés, était jusqu’ici épargnée. Avec 100 homicides depuis 2008 pour une population de 300 000 habitants, la Corse bat tous les records européens. Ici plus qu’ailleurs, les morts appellent les morts. Règlements de comptes, vendettas, guerre pour le contrôle des machines à sous, du racket des établissements touristiques et, plus généralement, de tout ce qui est susceptible de rapporter de l’argent (ou de permettre de le blanchir)… Les ténors du grand banditisme, qui font également leurs affaires en Afrique ou en Asie, ont la gâchette de plus en plus facile.

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Tout commence en 2006 avec l’assassinat de Jean-Jé Colonna, le parrain du Sud. Le fragile équilibre entre bandes rivales qui prévalait jusque-là est rompu. Celle de la Brise de mer, qui avait la haute main sur la Corse du Nord, se lance à la conquête de l’autre moitié de l’île, supposée « orpheline ». Mauvaise idée : la plupart de ses chefs trouvent la mort dans l’entreprise. Dans le Nord comme dans le Sud, les appétits s’aiguisent, les vendettas se multiplient, les deux grandes factions implosent en une multitude de gangs. Et comme personne ne prend le dessus…

Ingéniosité

Pour ne rien arranger, l’injection massive d’investissements publics ou privés et les profits considérables dégagés par l’immobilier ouvrent d’alléchantes perspectives. Les malfrats rivalisent d’ingéniosité : fraudes à la taxe carbone, détournements de subvention, cybercriminalité, paris en ligne…

Les nouvelles générations se montrent moins respectueuses du code d’honneur jadis en vigueur (les exactions sur les familles sont plus fréquentes), plus imprévisibles et, à l’occasion, plus chargées à la cocaïne. Même les petits crimes et délits sont en pleine expansion. Un adultère, un regard de travers, un manque de respect présumé… On peut se retrouver avec une balle entre les deux yeux ou une bombe sur le pas de sa porte sans vraiment savoir pourquoi. Même les puissants oligarques ou mafieux russes évitent de se heurter aux barons locaux.

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L’État, et Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur, en particulier, est en première ligne. Les effectifs de la police et de la gendarmerie ne sont pas en cause : ils sont, par habitant, les plus importants de tout le pays. Le problème vient plutôt des accointances avérées de certains « flics » avec les grands délinquants : il n’est pas rare que les seconds soient prévenus par les premiers de l’imminence d’une descente de police. Idem avec les politiques. Du cap Corse à Bonifacio, une seule règle : ne pas faire de vagues et éviter les problèmes. Autre difficulté, l’omerta, la loi du silence. Faute de témoins, les enquêtes s’enlisent souvent. Si le dalaï-lama était exécuté sur la place bondée d’un village par un chanteur d’I Muvrini (célèbre groupe local de chants polyphoniques), il est probable que personne ne verrait rien…

Il faudrait que les Corses eux-mêmes prennent conscience que cette dérive mafieuse nuit gravement à l’image de leur île, alors que celle-ci est très dépendante des investissements extérieurs. Dans le cas contraire, les rois de la gâchette auraient encore de beaux jours devant eux. 

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