Togo : Gustave Akakpo, président par intérim

Cet acteur et dramaturge d’origine togolaise n’hésite pas à se glisser dans la peau des hommes politiques. Pour le meilleur et pour en rire.

Gustave Akakpo Acteur et dramaturge d’€™origine togolaise. © Véronique Besnard/J.A.

Gustave Akakpo Acteur et dramaturge d’€™origine togolaise. © Véronique Besnard/J.A.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 6 novembre 2012 Lecture : 4 minutes.

Un Africain, qui comme chacun sait n’est-pas-assez-entré-dans-l’Histoire, pourrait-il se glisser dans la peau de Nicolas Sarkozy ? L’acteur et dramaturge togolais Gustave Akakpo a osé, sans maquillage ni costume. Et tout y est, de la rhétorique aux tics de langage en passant par le mouvement de la main droite allant percuter le nez et les soubresauts d’épaules mesurables sur l’échelle de Richter ! Mais l’ancien chef de l’État français n’est pas le seul à faire les frais de l’humour ravageur qui donne sa dimension à la pièce Chiche l’Afrique, à l’affiche du Théâtre de Belleville (Paris) jusqu’au 22 novembre.

Non content d’égratigner l’élève alto-séquanais, Akakpo s’en prend aussi au maître – l’ancien ministre de l’Intérieur Charles Pasqua – dans une mise en scène qui n’est pas sans rappeler Le Parrain de Coppola. Et puisque l’on évoque l’un des fondateurs du Service d’action civique, signalons que l’ombre d’un autre – un certain Jacques Foccart – plane sur l’ensemble d’un spectacle auquel participent tour à tour Omar Bongo Ondimba, Blaise Compaoré, Gnassingbé Eyadéma, Paul Biya, Jacques Chirac et quelques autres. « En 2010, raconte Akakpo, il y avait une sorte d’injonction à fêter les indépendances africaines. Mais au Congo, au Togo, qu’est-ce que tu veux fêter comme indépendance ? C’est un club de privilégiés qui se retrouvent ensemble ! Ça me faisait tellement mal que je ne voulais pas parler. Valérie Baran, la directrice du théâtre Le Tarmac [à Paris, NDLR], m’a dit : « Pourquoi tu n’en parlerais pas, justement ? » J’ai répondu : « Chiche ! » »

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Hilarant

Le résultant est hilarant. Grinçant sans être gratuit, caustique sans être facile. « Ce qui m’a frappé, confie Thierry Blanc, le metteur en scène, c’est que le texte n’est jamais misérabiliste et permet de dresser de vrais constats sans accuser ni faire culpabiliser. Il tient compte de la complexité du monde tout en nous faisant rire. » Pas simple, pourtant, avec un sujet aussi éculé que la Françafrique, ses thuriféraires et ses gardes-chiourmes. Talentueux et modeste, riche de l’héritage bien acquis de ses mentors, Gustave Akakpo s’en sort avec habileté, sans jamais tomber dans la caricature. Défenseur d’une écriture « engageante » plutôt qu’engagée, le dramaturge de 38 ans rappelle volontiers que ses maîtres s’appellent Aimé Césaire, Sony Labou Tansi et Kossi Efoui. Le premier parce que sa phrase « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche / Ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir » l’a conduit à l’écriture. Le deuxième parce qu’il l’a conforté, lui qui a hérité du français et du mina, dans l’idée « qu’il fallait trouver une autre langue sans faire du petit-nègre ». Et le troisième, son compatriote qui « luttait pour sa liberté en faisant du théâtre de contrebande », parce que sa langue inimitable l’encouragea à digérer toutes ses influences et à trouver sa propre respiration, « comme le boxeur qui te renvoie dans les cordes ».

Né à Aného, ancienne capitale du Togo, délaissée parce que supposée être « la ville de toutes les oppositions », le jeune Akakpo a vécu entre les livres de sa mère et les contes de sa grand-mère, rêvant successivement de devenir explorateur, médecin, officier de police… La poésie l’embarque à l’adolescence et devient, pour ce solitaire, « une manière de se parler et de parler à quelqu’un ». À l’exception de l’année 1993-1994, qu’il passe au Bénin en raison de la répression sanglante visant les manifestants de l’opposition, le jeune homme un peu tête en l’air – ou « attentif à des choses au-delà de l’immédiat » – vit à Lomé, interrompt ses études de médecine pour se lancer dans le droit, tandis que l’écriture théâtrale s’impose peu à peu. « On ne se dit pas « Je vais faire du théâtre », on fait du théâtre parce que sinon on se flingue. »

Oppression

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De stages en chantiers d’écriture, le jeune auteur écrit une première pièce (« un plagiat ! »), puis une deuxième (Catharsis) et obtient une résidence d’artiste en France, à Limoges. Acteur au sein de l’Ensemble artistique de Lomé (Enal), il adapte son écriture au jeu, et, en 2003, sa pièce Ma Férolia est mise en scène par Banissa Méwé lors des Récréâtrales, au Burkina Faso. Peintre, illustrateur, auteur de textes pour la jeunesse, le Togolais fait des allers-retours entre son pays et la France, mais le comité de lecture du Tarmac (Paris) devient sa maison : « Ma vie professionnelle s’est construite en France », dit-il. Pourtant, que l’on évoque le Togo ou la France, il affirme éprouver de la même manière des sentiments d’amour et d’amertume liés à l’histoire de chacun des deux pays, comme à leurs relations. « La Françafrique, on est encore dedans, dit-il. En tant que citoyens, on a besoin de se rencontrer sur cette histoire-là pour savoir de quoi on parle. La population opprimée de la France est proche de la population opprimée du Togo. Les oppresseurs se retrouvent entre eux. » Sa solution à lui ? L’humour, bien entendu.

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