Palestine : Gaza, la bombe à retardement

Selon les Nations unies, l’interminable blocus imposé par Israël depuis 2007 à Gaza, petit territoire palestinien surpeuplé, fait peser de graves menaces sur ses habitants à moyen terme.

Bidonville dans les environs de Gaza City, le 6 septembre. © Ed Ou/The New York Times – Redux – Rea

Bidonville dans les environs de Gaza City, le 6 septembre. © Ed Ou/The New York Times – Redux – Rea

Publié le 13 novembre 2012 Lecture : 5 minutes.

Au premier rang des priorités que devrait traiter la communauté internationale en 2013 figurent certainement la levée du siège cruel qu’Israël impose à Gaza depuis bientôt cinq ans et la fin du boycott contre-productif du Hamas, au pouvoir dans ce territoire palestinien. On peine à trouver dans le monde une situation aussi inique que celle subie par le 1,6 million d’habitants de cette bande surpeuplée où résident nombre de réfugiés poussés hors de Palestine lors de la naissance du nouvel État israélien, en 1947-1948. Les Gazaouis devraient se voir garantir leur droit à vivre normalement – à voyager, à produire, à commercer, à éduquer leurs enfants -, et être délivrés de la menace constante des frappes aériennes d’Israël.

Un universitaire français, Jean-Pierre Filiu, professeur au prestigieux Institut de sciences politiques de Paris, a publié une Histoire de Gaza, des temps anciens jusqu’aux convulsions actuelles (éd. Fayard, Paris, 2012, 400 p.). C’est la plus complète jamais écrite. Une lecture obligée pour tous ceux que la longue agonie des Palestiniens luttant pour l’existence de leur État préoccupe.

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Sombre tableau

Impossible, dans un article, de rendre compte des recherches exhaustives et méticuleuses de Jean-Pierre Filiu, comme de ses conclusions pointues, mais remarquons le doigt accusateur qu’il pointe vers les trois principaux acteurs de cette crise, non seulement irrésolue, mais qui ne cesse de s’aggraver. Tout d’abord Israël, obsédé par sa sécurité et indifférent au sort des Palestiniens. Puis le Fatah et le Hamas, ces vieux rivaux enferrés dans une lutte fratricide, qui font comme s’ils ne voyaient pas que leur cause nationale était en train de s’effriter. Enfin, la communauté internationale, dont l’aide humanitaire, tout en maintenant la population de Gaza en vie, a paradoxalement entravé son développement économique et ses efforts vers l’autosuffisance.

Les statistiques sur Gaza révèlent un sombre tableau. En cinq ans, de juin 2007 à juin 2012, près de 2 300 Palestiniens ont été tués et 7 700 blessés par les forces israéliennes, les deux tiers d’entre eux au cours de la meurtrière offensive Plomb durci de l’hiver 2008-2009. Près du quart des victimes étaient des femmes et des enfants. Pendant la même opération, les attaques venant de Gaza faisaient 37 morts et 380 blessés en Israël, dont 60 % de militaires. Le siège israélien a rendu totalement ou partiellement inaccessibles quelque 35 % des terres cultivables de Gaza et 85 % de ses zones de pêche.

Sans traitement, plus de 90 % de l’eau des nappes phréatiques est impropre à la consommation.

Les projections sont tout aussi préoccupantes. L’ONU a averti que les conditions de vie dans la bande pourraient devenir intenables autour de 2020, soit dans sept ans. Sa population devrait alors atteindre 2,1 millions d’habitants, soit plus de 5 800 habitants au kilomètre carré, faisant peser une menace considérable sur son approvisionnement en eau potable et en électricité. Sans traitement, plus de 90 % de l’eau des nappes phréatiques est impropre à la consommation. Les dégâts sur ces nappes sont en passe de devenir irréversibles. Quelque 90 millions de litres d’eaux usées ou partiellement traitées sont quotidiennement déversées dans la mer. Alors que 85 % des écoles fonctionnent déjà par roulements, l’ONU estime à 440 le nombre de nouveaux établissements nécessaires en 2020. De même faudra-t-il 800 lits d’hôpital et plus de 1 000 médecins supplémentaires.

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Quand le Hamas a remporté les élections législatives palestiniennes en janvier 2006, Israël a fermé le point de passage d’Eretz, emprunté par 70 % de la population active de Gaza. Quand le soldat israélien Gilad Shalit s’est fait capturer par des militants palestiniens, Israël a fermé le check-point de Karni, principal point de passage pour les biens, et fait en sorte que le terminal de Rafah ne serve plus au transit des voyageurs. Quand le Hamas s’est emparé de la bande de Gaza au détriment du Fatah en 2007, l’Égypte a fermé à son tour le terminal de Rafah. En janvier 2008, après avoir divisé par deux l’approvisionnement alimentaire de Gaza, Israël a annoncé un blocus total sur le carburant. Gaza a abandonné ses voitures pour des ânes. À mesure que le siège s’est intensifié, le nombre d’emplois dans les usines gazaouies s’est effondré, passant de 35 000 en 2006 à 860 au milieu de 2008.

Privés de sources extérieures d’électricité, de nourriture et d’eau, les Gazaouis ont construit des tunnels clandestins vers l’Égypte. De une douzaine en 2005, le nombre de ces tunnels est passé à 500 en 2008. On en compte 1 500 aujourd’hui, première voie des importations gazaouies. Le coût humain en est élevé. Depuis 2007, au moins 172 civils palestiniens, pour la plupart des enfants, ont trouvé la mort dans les tunnels, et 318 y ont été blessés. Pour se faire une idée des récents développements de la situation de Gaza, on peut consulter deux articles remarquables parus dans l’édition été 2012 du Journal of Palestine Studies : « Le phénomène des tunnels de Gaza : les dynamiques involontaires du siège israélien », par Nicolas Pelham, et « La politique de l’aide internationale dans la bande de Gaza », par Tamer Qarmout et Daniel Béland.

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Un espoir nommé Morsi

Que faire face à un tel scandale ? Barack Obama réélu à la Maison Blanche aura à gérer le chaudron du conflit israélo-arabe et ses explosions sporadiques de violence qui empoisonnent les relations entre l’Occident et le monde arabo-­islamique. Comme Jean-Pierre Filiu l’écrit dans ses dernières pages, Gaza, « matrice des fedayins et berceau de l’Intifada », est au coeur de la construction nationale palestinienne. « Ce n’est qu’à Gaza que la paix entre Israël et la Palestine prendra son sens et sa substance… »

Le prolongement de ce siège est une souillure sur la conscience internationale.

Mais quelques motifs d’espoir demeurent, notamment avec l’arrivée au pouvoir du nouveau président de l’Égypte, Mohamed Morsi, un dirigeant qui a déjà donné des gages d’indépendance et de fermeté. S’exprimant en Turquie le 15 octobre, il a promis de maintenir ouvert le passage de Rafah entre Gaza et l’Égypte. « Les Égyptiens, a-t-il déclaré, ne peuvent rester passifs devant le siège imposé au peuple de Gaza. » La réouverture de Rafah au commerce bilatéral et la création d’une zone de libre-échange à cheval sur la frontière sont évoquées. Mais ce projet est à l’état embryonnaire, Morsi devant concilier ses promesses aux Palestiniens avec ses préoccupations sécuritaires dans le Sinaï tout en évitant de mettre à trop rude épreuve les relations délicates de l’Égypte avec Israël.

Ancien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohamed el-Baradei, qui a dû renoncer à se présenter à la présidentielle égyptienne, avait pour habitude de dire que la collusion entre Hosni Moubarak et Israël pour imposer ce siège aux Palestiniens était une tache sur l’honneur de tout Égyptien et de tout Arabe. C’est en fait une souillure sur la conscience de la communauté internationale, qui a permis au blocus israélien de se poursuivre sans qu’elle proteste ni qu’elle envisage de sanctions.

Des élections anticipées sont prévues en Israël en janvier prochain. Le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, devrait largement l’emporter. Un nouveau mandat lui donnerait toute latitude pour s’extraire de l’impasse du passé et lui offrirait l’occasion insigne de libérer Israël d’un fardeau de haine et de garantir son futur à long terme en faisant la paix avec les Palestiniens et l’ensemble du monde arabe. En se comportant comme un véritable homme d’État, il se grandirait et gagnerait sa place dans l’Histoire aux côtés des pères fondateurs de l’État d’Israël.

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