Rwanda : Kofi Annan, ou la mémoire courte

Silas Lwakabamba est recteur de l’université nationale du Rwanda.

Publié le 5 novembre 2012 Lecture : 2 minutes.

« Chacun a un livre au fond de lui-même […], endroit où je pense que dans la plupart des cas il devrait demeurer », écrivait le regretté Christopher Hitchens. Cela résume bien le sentiment de la plupart des Rwandais, moi y compris, envers Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies qui est actuellement en pleine campagne de relations publiques pour promouvoir sa nouvelle biographie*.

En effet, il convient de rappeler le rôle essentiel qu’il a joué dans le blocage d’une action préventive de l’ONU pour empêcher le génocide qui fit 1 million de morts entre avril et juillet 1994. Dans les premiers mois de cette année-là, le chef de la mission de maintien de la paix des Nations unies basé à Kigali, Roméo Dallaire, avait reçu des renseignements précis au sujet de l’extermination planifiée de la minorité tutsie. Dallaire raconte dans ses Mémoires, J’ai serré la main du diable [Libre Expression, 2003, NDLR], qu’il a envoyé une série de fax à ses supérieurs au siège de l’ONU, à New York, pour leur transmettre ces informations urgentes. Le principal destinataire était le patron de Dallaire, alors chef des opérations de maintien de la paix de l’ONU : Kofi Annan.

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Que se serait-il passé si Kofi Annan avait choisi une autre voie ? S’il avait affronté le Conseil de sécurité, les fax à la main, refusant de sortir jusqu’à ce que l’on comprenne la gravité de la situation ? S’il avait activé son vaste réseau de journalistes et de leaders d’opinion pour forcer le monde à voir ce qui était sur le point d’arriver ? Combien d’âmes auraient pu être sauvées si Kofi Annan avait choisi l’obligation morale d’agir, ou celle d’exiger des mesures ? Et même si la réponse devait être une seule vie sauvée, sa défaite morale et sa culpabilité professionnelle devant la tragédie qui s’est déroulée sous ses yeux demeurent indéniables.

Et pourtant, dans les années qui ont suivi, Kofi Annan n’a cessé de gravir les échelons au sein de la direction de l’ONU, au point de bénéficier depuis d’un statut de célébrité à la retraite. Cela laisse les Rwandais perplexes. Plus récemment, sa nomination comme envoyé spécial en Syrie nous a semblé déraisonnable. Il nous est difficile d’imaginer un candidat aussi peu qualifié que Kofi Annan pour la prévention des crimes contre l’humanité.

En 1994, il s’était vu présenter des preuves convaincantes, émanant de sources sûres, selon lesquelles sans une intervention urgente de la communauté internationale tout un groupe ethnique était menacé d’extermination. Un professionnel irréprochable n’aurait pas fait fi de ces renseignements, il n’aurait pas, comme il l’a avoué plus tard, « péché par omission ». Il a lu les fax de Dallaire, examiné leurs implications, et a ordonné de ne pas agir – ce qui en d’autres termes était la voie la plus désastreuse qu’on puisse imaginer dans cette situation.

* Interventions : a Life in War and Peace, Penguin, Londres, 2012, 512 pages

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