Nord-Mali : l’attaque des drones

Ils sont précis, discrets et capables de voler vingt-quatre heures sans se poser… Les drones, ces avions sans pilote, pourraient jouer un rôle décisif dans une intervention au Nord-Mali. Leur déploiement est imminent.

Drones Predator stationnés sur une base américaine à Kandahar, en Afghanistan. © Sang-Hoon/Sipa

Drones Predator stationnés sur une base américaine à Kandahar, en Afghanistan. © Sang-Hoon/Sipa

Publié le 9 novembre 2012 Lecture : 6 minutes.

Dans le ciel du Sahel, et plus au nord dans le Sahara, on voit des drones partout en ce moment. Mais il est difficile de faire la part des choses : s’agit-il de mirages ou d’intrusions bien réelles ? Le 30 juillet, un Harfang (un drone de l’armée française) aurait été abattu par des combattants salafistes dans le nord du Mali. L’information évoquée par le site du Nouvel Observateur, un hebdomadaire français, a bien fait sourire l’état-major des armées à Paris. « Savez-vous combien de drones nous possédons ? interroge un officier. Quatre. Cela se saurait si on en perdait un ! »

Un mois plus tôt, selon un site maghrébin, c’est un Predator américain qui aurait été neutralisé, toujours par des salafistes, près de la frontière entre le Mali et l’Algérie. L’US Air Force est restée muette. « Si c’était confirmé, ce serait la première fois qu’un drone américain serait abattu au Mali », précisait Bill Roggio, journaliste vedette d’un site particulièrement bien informé en la matière, The Long War Journal (LWJ). Plus récemment, le quotidien Libération a affirmé que l’armée française venait de déployer « au moins un drone dans la zone », dans la perspective d’une intervention militaire dans le Nord-Mali.

Des appareils très demandés

Les drones sont l’avenir de la guerre. La preuve ? Les États-Unis envisagent de doubler les dépenses consacrées à leur acquisition dans les dix prochaines années. En France, où l’on a pris du retard, leur renouvellement est considéré comme une priorité absolue par l’armée. Un think-tank anglo-saxon, Teal Group, estime que, à l’échelle mondiale, plus de 94 milliards de dollars (72 milliards d’euros) seront consacrés à l’achat de drones d’ici à 2020. D’ores et déjà, 76 pays (deux fois plus qu’en 2005) disposent de ces véhicules aériens sans pilote, indique un rapport du Congrès américain. Dans cette liste figurent une dizaine d’États africains, mais la plupart possèdent des drones de petite envergure, capables de voler à basse altitude seulement. Pour l’heure, trois pays seulement ont déjà utilisé des drones armés : les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël. R.C.

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Surveillance

Un chef d’état-major d’un pays sahélien dit ne rien savoir à ce propos. « Je ne dis pas qu’il n’y a pas de drones dans la région, je dis que je n’en ai pas été informé. Et donc que cela m’étonnerait. » Un officier français, tout aussi dubitatif, rappelle que ce type d’aéronefs, dont l’envergure se rapproche de celle d’un avion de chasse, passe difficilement inaperçu. « Il leur faut des pistes longues pour décoller. Il n’y en a pas tant que cela dans le coin. » Pour l’heure, les services de renseignements occidentaux se limiteraient, pour la surveillance de la zone, à l’utilisation de petits avions de tourisme, à l’image des Pilatus américains qui décollent en toute discrétion depuis l’aéroport de Ouagadougou.

Un autre officier de l’armée française admet toutefois que l’arrivée des drones dans la région ne saurait tarder. Dans l’entourage de Blaise Compaoré, le président burkinabè, on reconnaît que s’il n’y en a pas encore, « c’est pour bientôt ». Le chef d’état-major ouest-africain déjà cité dit attendre cela avec impatience. « Nous avons fait une demande formelle auprès des Français et des Américains. Nous avons besoin de cet appui. Ce serait un outil essentiel en matière de recueil de renseignements, mais nous n’avons pas eu de réponse. »

Qu’il se rassure : selon toute vraisemblance, un ou plusieurs drones Harfang seront bientôt envoyés au Sahel. Au sein des troupes tricolores, « c’est un secret de polichinelle », convient un officier qui appartient à l’escadron de reconnaissance 1/33 (dit Belfort), celui-là même qui utilise les quatre drones Male (Moyenne altitude, longue endurance, comme le Harfang) que compte l’armée de l’air. Les engins sont prêts : après de longues et éprouvantes missions en Afghanistan (entre 2009 et 2011) et en Libye (en 2011), ils sont au repos dans le sud-ouest de la France. Quant aux États-Unis, ils y pensent sérieusement. Des réunions sont régulièrement tenues à ce sujet à la Maison Blanche. Selon le New York Times, le ciel malien a même déjà été survolé par des Global Hawks, des drones de surveillance américains de type Hale (Haute altitude, longue endurance).

Les engins sont prêts : après de longues et éprouvantes missions en Afghanistan et en Libye, ils sont au repos dans le sud-ouest de la France.

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L’utilité du drone n’est plus à démontrer. « Sans drone sur les champs de bataille, vous êtes aveugle », résume un expert. « Dans une zone désertique comme celle du Nord-Mali, où il est malaisé de suivre des hommes au sol, mais aisé depuis le ciel, il sera d’un grand secours », estime un officier français. Tant pour repérer les endroits où se trouvent les six otages français détenus par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) que pour suivre les chefs jihadistes ou, plus facile encore, les déplacements de leurs hommes lorsque les combats auront commencé. C’est « un moyen de pression » important sur les groupes terroristes, indique la capitaine Océane Zubeldia dans son ouvrage Histoire des drones (Perrin, 2012). D’ailleurs, affirment des sources concordantes, les nouveaux maîtres du Nord-Mali s’en inquiètent.

Ultraperformants

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Capable de voler vingt-quatre heures sans se poser, peu bruyant et difficilement repérable à l’oeil nu du fait de sa capacité à voler haut (jusqu’à 7 000 m d’altitude), le Harfang dispose de capteurs vidéo et radars ultraperformants qui permettent à ses pilotes (installés dans une cabine située au sol à des milliers de kilomètres de l’engin) de suivre des cibles humaines. Avec des drones plus sophistiqués (comme les américains), il est parfois possible de dire si ces cibles sont armées. En Afghanistan, sur un terrain en de nombreux points comparable au désert malien, « les drones ont été d’un grand secours, témoignait récemment le lieutenant-colonel Daniel Chabbert, à l’occasion d’un salon consacré à ces engins. Tous les jours, toutes les task forces demandaient à être soutenues par des drones Male. Mais il n’y en avait pas pour tout le monde ».

Si les drones français ne sont pas armés de missiles, les engins américains, eux, le sont.

Reste à savoir quelle mission sera donnée aux drones au Mali. Seront-ils limités au recueil de renseignements, comme en Libye lors de l’opération Harmattan en 2011 (quoique, sur ce point, le doute subsiste : selon l’ONG Human Rights Watch, qui vient de publier un rapport sur les circonstances de la mort de Mouammar Kadhafi il y a un an, un drone américain aurait tiré un missile sur le convoi du fuyard juste avant son exécution à Syrte) ? Ou serviront-ils, en sus, à tuer les principaux chefs de guerre comme en Afghanistan et au Pakistan depuis dix ans ? Si les drones français ne sont pas armés de missiles – « techniquement, c’est pour l’heure impossible », convient un sous-officier de l’escadron Belfort -, les engins américains, eux, le sont : l’armement du Reaper par exemple est comparable à celui d’un avion de combat de type F-16.

Le Washington Post a révélé récemment que les conseillers d’Obama envisageaient la possibilité d’effectuer des attaques ciblées dans le Nord-Mali. Un chef d’état-major ouest-africain évoque cependant une certaine frilosité chez ses partenaires. Lui-même n’est pas demandeur. Il sait les drames que les drones tueurs ont produits ailleurs.

L’armée américaine a en effet une longue expérience des attaques ciblées menées avec des drones. En Afghanistan et au Pakistan depuis dix ans, mais aussi – plus discrètement – au Yémen et en Somalie depuis cinq ans, Washington a recours à ce procédé désormais considéré comme « la meilleure arme contre les terroristes », indolore pour ses soldats, mais sanglant pour les civils des pays survolés. Durant les neuf premiers mois de cette année au Yémen, selon les statistiques régulièrement mises à jour par le site LWJ, les drones américains ont tué plus de 200 personnes, dont au moins 35 civils. Les informations en provenance de Somalie sont plus parcellaires. En août dernier, un site spécialisé recensait une centaine de combattants et plus de soixante civils tués par des drones qui avaient décollé d’Éthiopie et, peut-être, des Seychelles. Le drone « constitue une véritable menace pour les populations civiles », dénonce Louise Arbour, la présidente du think-tank International Crisis Group. Une menace qui prend forme dans le ciel du Mali.

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