Urbanisation : les dangers du modèle néolibéral en Afrique
Une implication plus forte des populations et une prise en compte plus aiguë de leurs besoins sont indispensables pour résoudre les challenges du développement urbain du continent, à rebours des pratiques actuelles.
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Nessan Akemakou
Nessan Akemakou est docteur en sciences politiques et président du think-tank l’Afrique des Idées.
Publié le 29 novembre 2022 Lecture : 2 minutes.
La Banque africaine de développement (BAD) rappelle que, depuis 1990, le nombre de villes en Afrique a doublé – passant de 3 300 à 7 600 – et leur population cumulée a augmenté de 500 millions de personnes. Des disparités importantes demeurent : selon ONU-Habitat, en Éthiopie, moins de 20 % de la population vit en ville, contre 50 % à 80 % au Cameroun.
Toujours est-il que l’urbanisation en Afrique est souvent définie comme anarchique (accès intermittent à l’eau et à l’électricité, pollution, embouteillages, logements précaires…) Il est estimé que les bidonvilles abritent jusqu’à 50 % de la population urbaine (soit 300 millions d’Africains). Les politiques urbaines – lorsqu’elles existent – ne profitent souvent qu’à une poignée de privilégiés. Lorsqu’il apparaît dans les « quartiers populaires », l’État ne le fait que sous forme de bulldozers ou d’agents en uniforme pour détruire les constructions, majoritairement illégales.
« Villes nouvelles »
Une meilleure planification est nécessaire, mais elle ne peut se faire que si les populations, les plus modestes notamment, sont placées au cœur des politiques. C’est-à-dire consultées en amont, avec une prise en considération claire de leurs besoins de base (santé, éducation, emploi, etc.) L’approche descendante (top down) manque d’efficacité car elle est éloignée des réalités des principaux intéressés. Les plans directeurs d’aménagement et leur cohorte de normes s’élaborent sans impliquer les populations ni songer au bien-être de toutes les composantes de la société.
Les « villes nouvelles » imaginées pour désengorger les mégalopoles s’inscrivent malheureusement dans la même logique. L’Égypte construit une nouvelle « capitale » inspirée des smart cities sur une zone désertique de 700 km² située entre l’« ancienne ville » et l’entrée du canal de Suez. Ce projet censé désencombrer Le Caire, surpeuplé, doit abriter des bâtiments administratifs, des représentations diplomatiques et des logements de haute ou moyenne gamme. Cela revient à dire que le tiers des 20 millions d’âmes cairotes, qui vit avec moins de 1,7 dollar (1,64 euro) par jour, sera donc de facto exclu… Cela illustre les errances du modèle néolibéral de développement urbain, qui accentue les inégalités sociales et les fractures spatiales.
Décentralisation et audace
Une approche ascendante (bottom up) apparaît plus indiquée, avec des chances de succès plus élevées, car elle intègre dès l’orée du projet les besoins des populations. Elle s’accompagne souvent d’une décentralisation et d’une audacieuse politique infrastructurelle. Les expériences asiatiques réussies dans ce domaine (Corée du Sud, Malaisie, etc.) donnent matière à penser. L’exemple de Diamniadio au Sénégal – qui doit décongestionner Dakar en accueillant à terme 350 000 habitants – semble aller dans la bonne direction.
En s’appuyant sur des partenariats public-privé, l’État a accordé les terrains à titre gracieux à des promoteurs immobiliers, qui doivent les valoriser sous réserve d’assurer une mixité sociale et fonctionnelle. Le projet a été couplé à la construction d’infrastructures d’envergure (aéroport, train régional…) Certes, tout n’est pas parfait. L’indemnisation adéquate des paysans, qui se plaignent de la réduction de terres agricoles, est un sujet majeur. Mais les premières observations sont plutôt positives. L’avenir nous dira si Diamniadio évitera le piège de ville-dortoir, dans lequel est tombée l’ivoirienne Yamoussoukro.
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