Arts plastiques : Bazar contemporain
L’Institut du monde arabe célèbre un quart de siècle de création artistique du Maghreb et du Proche-Orient à travers une exposition disparate.
C’est un riche méli-mélo que propose jusqu’au 3 février l’Institut du monde arabe (IMA). Pour fêter ses 25 ans d’existence, le centre culturel parisien a souhaité réaffirmer son engagement auprès de l’art contemporain et offrir un panorama de la création arabe depuis un quart de siècle. L’exposition « 25 ans de créativité arabe » n’a pas été conçue autour d’une thématique particulière mais, explique Ehab Ellaban, l’un des deux commissaires de la manifestation, autour de quatre pratiques : l’investissement du terrain politique, le questionnement des phénomènes socioéconomiques, la recherche esthétique et la pensée de la mondialisation.
Des thèmes larges sous lesquels peuvent être regroupés des oeuvres disparates et des artistes aux préoccupations opposées. Résultat : le visiteur déambule au milieu des 1 200 m2 d’exposition, répartis entre le bâtiment conçu par l’architecte Jean Nouvel et celui de Zaha Hadid, le Mobile Art, sans trop savoir ce qui peut bien relier, par exemple, l’abstraction chorégraphique de la Marocaine Najia Mehadji (Mystic Danse II et III) à l’installation guerrière de l’Égyptien Khaled Hafez, Second Sonata for a Tomb in Archaeological Movements, si ce n’est l’origine de leurs créateurs.
En organisant cette exposition, le critique égyptien a voulu « mettre en évidence les traits constitutifs d’une figure artistique arabe ». Vaste projet, à l’heure où, reconnaît-il, « l’art contemporain arabe a franchi au cours de la dernière décennie les frontières du monde arabe pour devenir l’un des éléments essentiels de la scène artistique mondiale » et où les plasticiens, photographes et autres vidéastes issus du Maghreb et du Proche-Orient s’inscrivent de plus en plus dans un monde mondialisé « exerçant et subissant des influences de toute sorte ».
Censure
Parmi les 40 artistes présentés, un certain nombre vivent entre leur pays d’origine et l’étranger. Les questions de l’exil, du regard que l’Occident porte sur le monde arabe – et inversement -, de l’héritage et de la mémoire, de l’identité et de la religion se font cruciales. La Libanaise installée aux États-Unis Doris Bittar a « superposé des motifs islamiques au drapeau américain pour faire naître des narrations alternatives » (Baghdadi Bride 2). L’Irakien Mahmud Obaidi, vivant lui au Canada, propose un kit de maquillage afin de « ne pas passer pour un terroriste aux yeux des autorités dans les aéroports américains » (Fair Skies). Un travail qui trouve un écho avec celui du Saoudien Maha Malluh, dont la série Tradition et Modernité dénonce également le contrôle des individus dans les aéroports. Avec le gigantesque tampon de son compatriote Abdulnasser Gharem, il est également question de surveillance et de domination. « Chaque jour en Arabie saoudite, explique l’artiste, des milliers de coups de tampons sont donnés sur une mosaïque de documents par des bureaucrates, des officiels, des policiers, des soldats qui, tous ensemble, participent à un système collectif et inconscient d’imprimatur. Avec Le Tampon, je déclare, inch Allah, engagez-vous un peu plus, ayez un peu plus de rigueur intellectuelle, soyez plus braves, ayez davantage foi en vos convictions. Par cette action, je deviens ma propre autorité et le contrôleur de mon destin. »
Sombre tableau d’une humanité également tourmentée, avec la terreur que l’Algérie a connue dans les années 1990 (Tag’out, d’Ammar Bouras) et les sculptures de Mahi Binebine, des « silhouettes brisées, ligotées, endolories » mais « vivantes ». « Si la noirceur et le désespoir sont omniprésents, il y a toujours un espoir. Une renaissance des cendres. Un lendemain possible », confie l’artiste marocain. Le vent contestataire de 2011 n’est pas loin. Waheeda Malullah s’interroge sur « l’atmosphère tendue qui a régné à Bahreïn » (Red and White). La Tunisienne Meriem Bouderbala, l’artiste commissaire du « Printemps des arts » qui a soulevé la colère des salafistes à Tunis en juillet, à travers six tableaux montrant un drapeau tunisien emporté dans un tourbillon (Flag Nympheas), évoque sa tristesse et sa déception : « Mon pays s’enfonce et se noie. Il n’y a plus de révolution populaire, il ne reste que la récupération par une "mode révolutionnaire" que des élites en mal d’émotions se partagent avec avidité. »
Pour autant, pas d’oeuvre libertaire ou impie à l’IMA. Alors que le visiteur peut contempler les photographies de la Saoudienne Reem Al Faisal, louant entre ombres et calligraphie « la gloire de Dieu dans l’univers », il ne pourra pas découvrir Sleep, une vidéo de Mounir Fatmi représentant un Salman Rushdie endormi, à l’instar du poète John Giorno dans le film du même nom d’Andy Warhol. D’après Le Figaro, qui a révélé l’affaire, l’IMA, qui a pourtant financé la production de Sleep, a retiré cette oeuvre qu’il jugeait « trop sensible » vis-à-vis du monde musulman. C’est le même IMA qui, en juin dernier, renonçait à accueillir la cérémonie de remise du prix du Roman arabe décerné à Boualem Sansal, à la suite du boycott décidé par le Conseil des ambassadeurs arabes après le voyage en Israël de l’écrivain algérien. Heureusement Gallimard, plus courageux que l’IMA, permit à Sansal de recevoir son prix dans ses locaux !
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