Cambodge : Sihanouk, une vie au long cours
Cofondateur du Mouvement des non-alignés, Norodom Sihanouk, l’ancien souverain khmer, s’est éteint le 15 octobre à Pékin au terme d’une vie marquée par d’improbables rebondissements. Il avait 89 ans.
Quand il monte sur le trône, en 1941, adoubé par la France vichyste, il passe pour une marionnette de la puissance coloniale. Aujourd’hui, le monde salue la mémoire de celui qui a maintenu pendant un demi-siècle l’unité d’un Cambodge déchiré par les drames. Roi ou prince, Premier ministre ou chef de l’État, exilé ou prisonnier, cinéaste et musicien, Norodom Sihanouk n’a cessé de changer de casquette, de trajectoire et d’alliés, tout en gardant le cap de l’indépendance nationale.
Il a 18 ans lorsque l’amiral Decoux, gouverneur général de l’Indochine, lui remet la couronne. Le petit-fils du roi Sisowath Monivong fond en larmes : « Je suis trop jeune, je ne m’en sens pas capable. » Il sort du lycée après avoir fréquenté une école de filles, ses parents redoutant qu’il ne fût brutalisé par des enfants turbulents… Le journaliste Jean Lacouture, alors attaché de presse du général Leclerc, fait sa connaissance : « C’était un souverain d’opérette, très gentil, rigolo, qui nous accueillit un saxo à la main. Il vivait dans une ambiance très française. »
Mais le play-boy en costume blanc, s’il restera toute sa vie très francophile, a compris que la marche vers l’émancipation des peuples, que les Japonais lui ont fait miroiter pendant la guerre, est inéluctable. Brusquement, il quitte Phnom Penh, sa capitale, pour Angkor, celle de l’Empire khmer (IXe-XVe siècle), d’où il lance une campagne mondiale pour l’indépendance, qu’il arrache pacifiquement fin 1953.
Deux ans plus tard, nouveau coup de théâtre : il abdique en faveur de son père pour descendre dans l’arène politique et fonder le Sangkum, une formation socialiste. À la conférence de Bandung, il crée avec l’Égyptien Nasser, le Yougoslave Tito, l’Indonésien Sukarno et l’Indien Nehru le Mouvement des non-alignés.
Putsch
La guerre froide bat son plein. À la guerre d’Indochine succède celle du Vietnam. Tout en prônant la neutralité, Sihanouk laisse les Nord-Vietnamiens et leurs alliés du Viêt-cong établir des bases arrière sur son territoire, au grand dam des Américains. Plus tard, il expliquera avoir agi ainsi pour sauver sa monarchie et contrer l’influence des Khmers rouges – les communistes cambodgiens -, qu’il pourchasse.
Mars 1970. Il est en voyage lorsque le général Lon Nol, chef du gouvernement, le renverse avec la bénédiction des États-Unis. Réfugié à Pékin, Sihanouk accorde son patronage à l’insurrection des Khmers rouges contre le régime usurpateur. Cinq ans plus tard, les troupes de Pol Pot s’emparent de Phnom Penh. Sihanouk rentre au pays avec le titre de chef de l’État. Il est en réalité prisonnier dans son palais, où des gardes « polis et gentils » lui apportent des petits plats français et du foie gras, dont il raffole.
Il ne doit la vie sauve qu’à l’intercession de Mao et de Zhou Enlai, les parrains chinois de Pol Pot. Le Cambodge se transforme en mouroir. Les Khmers rouges vident les villes, ouvrent des camps d’extermination, massacrent près de 2 millions de personnes. L’intervention armée du Vietnam met fin à ce cauchemar en 1979. Évacué en Chine, Sihanouk lance alors avec l’appui de Pékin – ennemi juré de Hanoi – une campagne pour libérer son pays du joug vietnamien, faisant front commun avec ses anciens geôliers khmers rouges, qui avaient tué quatorze de ses enfants et petits-enfants.
En 1991, lorsque la Chine et le Vietnam normalisent leurs relations, un accord international avec les différentes factions cambodgiennes aboutit à une intervention de l’ONU, qui organise des élections. La monarchie constitutionnelle est restaurée. « Je suis incoulable », avait confié un jour cet épicurien qui a longtemps lutté contre un cancer. Sihanouk s’est éteint à Pékin à l’âge de 89 ans, sans rien laisser au hasard (il avait abdiqué en 2004 en faveur de Sihamoni, son fils préféré) et emportant avec lui les mystères d’une vie pleine de sinuosités.
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