Algérie : le navire Tarik Ibn Ziyad retenu en Espagne
Voilà une semaine que le ferry est bloqué à Alicante sur ordre des autorités espagnoles, officiellement pour des raisons techniques. Un incident qui met en lumière l’état déplorable de la flotte du transporteur algérien.
Le Tarik Ibn Ziyad, navire de la compagnie Algérie Ferries assurant les traversées vers la France, l’Espagne et l’Italie, est bloqué depuis le 14 novembre 2022, au port d’Alicante par les autorités espagnoles. Cette information révélée au quotidien El Khabar par le député algérien Ali Mounsi, président de la Commission des transports, transmissions et télécommunications de l’Assemblée populaire nationale (APN) n’a été ni infirmée ni confirmée par l’Entreprise nationale de transport maritime de voyageurs (ENTMV) qui garde un silence troublant sur cette affaire.
Le navire n’a pas effectué la liaison prévue à son programme le 15 novembre entre Alicante et Oran, et les voyageurs qui s’étaient présentés au port espagnol n’ont trouvé qu’une note laconique les informant de l’annulation de la traversée jusqu’à nouvel ordre pour « problèmes techniques ». Sur son site internet, la compagnie maritime annonce plusieurs reports et annulations ainsi que des bouleversements sur le tableau des horaires des traversées pour les mois de novembre et décembre. Ce 21 novembre, le Tariq Ibn Ziyad est toujours amarré au port d’Alicante où les autorités maritimes l’ont changé d’emplacement.
Rétention
Les raisons de cette saisie seraient motivées par les « conditions d’hygiène » du navire, ainsi que le « non respect des consignes en vigueur par le commandant du navire lors de l’accostage au port d’Alicante » selon le député Ali Mounsi qui demande aux autorités algériennes de faire toute la lumière sur cette affaire, car les raisons invoquées ne seraient « pas convaincantes ».
Cependant, la page Facebook des « Infos maritimes et portuaires en Algérie » précise qu’il ne s’agit pas de « saisie » mais de « rétention » par le Port State Control (PSC), c’est-à-dire le comité de sécurité portuaire et ce jusqu’à la levée des réserves émises. Sachant qu’une saisie ne peut être effectuée que par les autorités judiciaires d’un pays, tandis que la rétention est du ressort des autorités portuaires.
L’affaire du paquebot Tarik Ibn Ziyad survient quelques jours seulement après que le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a évoqué en conseil des ministres « le laisser-aller et les tentatives de sabotage ciblant l’ENTMV », et ordonné de « renouveler la flotte du transport maritime à travers l’acquisition de nouveaux navires ».
Anarchie
Le secteur du transport maritime en Algérie traverse une grave crise depuis la levée des restrictions de voyage entre l’Algérie et la France, au printemps dernier, lorsque des milliers de ressortissants algériens ont été pris dans une bousculade devant les guichets de la compagnie Algérie Ferries pour arracher un hypothétique billet retour pour le pays. Ces scènes d’anarchie ont scandalisé l’opinion publique, et entâché la réputation de la compagnie maritime algérienne au point de faire réagir le président de la République lui-même. Le PDG d’Algérie Ferries ainsi que des hauts responsables de la compagnie sont alors limogés pour leur « attitude attentatoire à l’image de l’Algérie et préjudiciable aux intérêts des citoyens».
Le 10 juin 2022, le dit PDG Kamel Issad, nommé en octobre 2021, est placé sous mandat de dépôt, ainsi que deux autres responsables pour « dilapidation de biens et fonds publics, abus de fonctions et enrichissement illicite ». Les services de sécurité avaient ouvert une enquête après l’arrivée, le 2 juin, du navire Badji Mokhtar 3 en provenance du port de Marseille, avec 72 passagers et 25 voitures à bord, alors que ses capacités sont de 1 800 passagers et 600 voitures et que beaucoup de passagers peinaient à avoir une place.
Ce 19 novembre 2022, c’est un autre changement qui a été opéré à la tête d’Algérie Ferries : Lekhel Ayat Ouahid a été désigné directeur par intérim en remplacement de Said Mohellebi qui dirigeait jusqu’alors la compagnie algérienne de transport maritime depuis le départ de Kamel Issad. Une information confirmée par le député Ali Mounsi contacté par Jeune Afrique.
État lamentable
La réalité est que, depuis des années, beaucoup de voyageurs se plaignent des conditions d’hygiène sur les bateaux de l’ENTMV, photos et vidéos à l’appui. Innombrables retards et reports, gestion chaotique des traversées, usure très avancée des navires, sanitaires collectifs immondes, sols recouverts de crasse, couchettes infestées de punaises : les navires d’Algérie Ferries seraient dans un état plus que lamentable. C’est particulièrement le cas du Tarik Ibn Ziyad qui a été mis en services en 1995.
En mai 2021, ce ferry d’une capacité de 1 276 passagers et 500 véhicules avait subi une opération de maintenance de deux mois au chantier naval de Béjaïa, « en raison de défaillances techniques et de l’expiration des certificats internationaux relatifs aux normes de sécurité ». Travaux de rénovation et de maintenance de la coque, des équipements électriques et mécaniques ainsi que de réhabilitation et d’aménagement des lieux réservés au repos à bord du navire : le ferry a fait l’objet d’un lifting complet. « Quand il est arrivé en 1995, ce navire faisait vivre toute la compagnie à raison de quatre rotations par semaine. Je l’ai commandé pendant 15 ans mais quand je suis arrivé le 3 octobre dernier, j’ai trouvé un navire abandonné, complètement rouillé mais j’ai refusé catégoriquement de le vendre », raconte le DG d’Algérie Ferries dans une récente interview à la presse.
Nouvelle feuille de route
En fait, ce n’est pas la première fois que des navires d’Algérie Ferries et des porte-containers de la Compagnie nationale de navigation (CNAN Nord, compagnie publique filiale de l’ENTMV) sont bloqués. En novembre 2021, le Timgad, le Tizirène et le Saoura, trois navires de la CNAN Nord avaient été immobilisés dans des ports espagnol, français et belge pour « non-respect de la réglementation liée à la sécurité maritime et aux droits du personnel navigant. À la même époque, deux porte-conteneurs, le Tamanrasset et le Saoura de la même compagnie, étaient immobilisés pour « des salaires impayés, des conditions d’hygiène insalubres et des défaillances techniques », tel que révélé suite à une inspection des autorités portuaires françaises.
Au port de Brest, le Saoura avait été épinglé pour non-paiement des salaires des marins et problèmes techniques. Des pannes de communication par satellite, du système de ballastage et du système LRIT d’identification et de suivi des navires à grande distance avaient été relevés par le Centre de sécurité des navires (CSN). La représentante syndicale des marins du Grand Ouest avait évoqué le cas de matelots vivant dans des « conditions inacceptables » avec des « matelas vétustes », des « douches insalubres » et des « canalisations fonctionnant mal ».
Une situation peu reluisante qui souligne l’urgence de mettre en place le fameux « Plan d’actions des transports 2020-2024 » prévu dans le Programme du gouvernement. La nouvelle feuille de route du transport maritime préconise un ensemble de mesures qui incluent, entre autres, la réorganisation des compagnies publiques de transport maritime de voyageurs et de marchandises, la modernisation des onze ports du pays, l’ouverture du marché du transport maritime des voyageurs à de nouveaux armateurs nationaux et étrangers, la cession des navires trop vétustes, l’acquisition de nouveaux bâtiments pour renforcer la flotte nationale dédiée au fret maritime, la fabrication de conteneurs, la construction et la réparation navale.
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