Libye : enquête sur les dernières heures de Kadhafi
À l’occasion de l’anniversaire de la mort du « Guide » libyen, Mouammar Kadhafi, l’ONG Human Rights Watch a publié une enquête choc sur l’exécution du dictateur et de ses proches.
Mouammar Kadhafi couvert de sang, le regard perdu d’angoisse, au milieu d’un essaim de miliciens qui le bousculent, le frappent, lui arrachent des poignées de cheveux. Kadhafi traîné à terre, un pistolet sur la tempe, entouré de la même foule en liesse. Kadhafi mort, étendu sur le sol à côté du cadavre de Mouatassim, son fils, sous les yeux incrédules, haineux ou rieurs des habitants de Misrata. Des vidéos visionnées des millions de fois depuis leur mise en ligne, en octobre 2011. Un an plus tard, la mort du « Guide » reste entourée d’un halo d’horreur et de mystère, même en Libye. Le 17 octobre, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport sur les circonstances de cette fin violente. Il contredit la thèse pour le moins fragile du gouvernement libyen selon laquelle le dictateur aurait péri lors d’un échange de tirs, le 20 octobre 2011.
L’enquête de l’ONG a pu débuter le jour même du drame : l’une de ses équipes se trouvait sur place à Syrte. Elle se fonde sur des investigations poussées et sur l’interrogatoire de dizaines de témoins directs. Parmi eux, Mansour Dhao, chef de la Garde populaire, et les deux fils d’Abou Bakr Younes Jaber, le ministre de la Défense, tué ce même 20 octobre ; et, côté rebelle, Khaled Ahmed Raid, commandant de la brigade de Misrata qui tenait le front fatal au dictateur.
Le 29 août, son fils Khamis a été tué dans une attaque aérienne de l’Otan alors qu’il tentait de fuir de Tripoli.
Ce matin du 20 octobre, quand s’ébranle le convoi d’une cinquantaine de pick-up où ont pris place Mouammar Kadhafi et son cercle rapproché pour tenter de forcer le siège de Syrte, cinquante-deux jours se sont écoulés depuis qu’il a fui sa capitale. Une retraite à haut risque. Le 29 août, son fils Khamis a été tué dans une attaque aérienne de l’Otan alors qu’il tentait de fuir de Tripoli. Cinquante-deux jours pendant lesquels nul ne sait où se trouve le « Guide ». On le croit dans la région méridionale de Sebha, ou dans un État voisin. En réalité, il a décidé de regagner sa Syrte natale pour s’y battre jusqu’à son dernier souffle. Accompagné d’un noyau de fidèles, il y a retrouvé Mouatassim, chargé du front oriental.
Caravane
La cité loyaliste qui résiste aux insurgés est soumise à un déluge de feu. Sur son flanc occidental se déploient les guerriers de Misrata la martyre. Son flanc oriental est tenu par la milice de Benghazi la rebelle. Obus et roquettes pleuvent. La ville se vide. Tels les rats qu’ils avaient juré d’exterminer au début de la révolution, Kadhafi et ses partisans se terrent, changeant d’abri tous les quatre ou cinq jours. Ils échouent dans le « quartier numéro deux ». Certains sont blessés, mais il n’y a ni médecin ni matériel médical. L’électricité est coupée, l’eau manque. Les reclus s’alimentent avec les rares denrées glanées dans les habitations vides : du riz, des pâtes. Réfugié dans la prière et la lecture du Coran, le « Guide » semble plus que jamais déconnecté de la réalité. Son irascibilité ne cesse de croître. « Pourquoi n’y a-t-il pas d’électricité, pas d’eau ? » rugit-il.
Mouatassim a pris en main la direction des opérations. Il n’habite pas avec son père, mais lui rend régulièrement visite. Le 19 octobre, alors que le quartier numéro deux subit un bombardement intense, il juge que la position n’est plus tenable. Les derniers combattants et partisans de Kadhafi, quelques blessés et civils s’entassent dans une cinquantaine de pick-up remplis d’armes, pour certains équipés de mitrailleuses lourdes ou de canons antiaériens. Les civils embarqués doivent-ils servir de boucliers humains ? HRW n’a trouvé aucun élément qui permette de l’affirmer. Le départ devait se faire à la faveur de la nuit, vers 3 h 30-4 heures. Mais son organisation prend plus de temps que prévu et le jour se lève sur une caravane au point mort. La chance qu’elle puisse passer inaperçue dans les ténèbres s’évanouit.
Un missile, tiré par un drone de l’Otan, pulvérise un véhicule du convoi juste devant lui.
Huit heures du matin, le 20 octobre. Le « Guide » a revêtu sa tenue de combat : casque, gilet pare-balles, fusil d’assaut et pistolet plaqué or. La colonne de 4×4, ouvrant un feu nourri sur les forces miliciennes qui tentent de l’arrêter, file sur la route qui longe le littoral vers l’ouest avant de bifurquer vers le sud, dans la partie de la ville tenue par les milices de Misrata. Soudain, une explosion secoue la voiture où se trouve le « Guide » : un missile, tiré par un drone de l’Otan, a pulvérisé un véhicule du convoi. Celui-ci tente d’échapper à la menace en empruntant des chemins de terre. En vain. La piste mène les Kadhafistes droit sur une base adverse, qu’ils attaquent pour forcer le passage. Deux nouvelles déflagrations déchirent l’air au-dessus de la colonne, l’embrasant et la criblant de shrapnels : des chasseurs de l’Otan viennent de larguer deux bombes GBU-12 à guidage laser qui sèment la mort dans le convoi. Le lendemain, HRW dénombrera 14 véhicules détruits et 53 cadavres sur le site de l’attaque. En tout, 103 corps seront retrouvés dans cette zone, la plupart tués dans les combats, d’autres ayant été victimes d’exécutions sommaires.
"Trouver une sortie"
Après la neutralisation du convoi par l’Otan, les Kadhafistes survivants sont obligés de se séparer sous le feu milicien. Kadhafi et ses proches se réfugient dans une villa ceinte de murs. Sous le feu des mortiers et des canons anti-aériens, Mouatassim, son fils, tente le tout pour le tout avec une dizaine de combattants. « Je vais te trouver une sortie », lance-t-il à son père. Ils ne se reverront plus. Mansour Dhao propose à son tour un plan : atteindre un groupe de fermes situées de l’autre côté de la route qui court à une centaine de mètres de la villa. Avec six ou sept gardes du corps, Kadhafi, Mansour Dhao, Abou Bakr Younes Jaber et ses deux fils s’y dirigent au pas de charge et plongent dans une buse sous la route. Mais, repérés par les miliciens, ils y restent piégés. Un garde du « Guide » jette des grenades par-dessus la buse, mais l’une d’elles rebondit sur le béton et revient exploser entre Kadhafi et Younes. Touché à la tempe, Kadhafi saigne abondamment. Younes, criblé d’éclats, est mortellement atteint.
Les miliciens extirpent les rescapés de leur cache. Kadhafi est hagard, mais vivant. « Dieu est grand ! », « Misrata ! » hurle une nuée de miliciens qui se jettent sur lui. L’un d’eux lui introduit sa baïonnette dans l’anus. Combien de temps a duré le lynchage ? A-t-il causé le décès du dictateur ? HRW mentionne une vidéo montrant son corps « apparemment sans vie » en train d’être chargé dans une ambulance, « suggérant qu’il aurait pu être mort au moment où il a quitté le lieu de sa capture ». Deux heures plus tard, quand sa dépouille arrive à Misrata, le décès du « Guide » ne fait plus de doute.
Plaie à la gorge
Sur la zone des combats, plusieurs des 103 corps retrouvés présentaient des signes d’exécution sommaire.
Exécuté, également, son fils Mouatassim, pris lorsqu’il avait tenté de briser l’encerclement de la villa où s’était retranché son père. Trois vidéos attestent pourtant qu’il était blessé mais vivant après sa capture. Sur la dernière d’entre elles, Mouatassim est assis sur un matelas, buvant de l’eau, fumant et demandant posément à ceux qui le filment d’arrêter de se comporter comme des gamins. Un milicien : « Tu crois qu’il s’agit d’un jeu d’enfant ? Tu vas voir quand nous en aurons fini avec toi, chien ! » L’après-midi du 20 octobre, son cadavre est filmé par la télévision libyenne. « HRW a vu le corps de Mouatassim le 21 octobre […] et constaté qu’il avait une large plaie à la gorge qui n’apparaît pas sur les images vidéo prise après sa capture. »
Abattus, également, de nombreux prisonniers. Sur la zone des combats, plusieurs des 103 corps retrouvés présentaient des signes d’exécution sommaire. Plus inquiétant, les dépouilles criblées de balles de 66 des 140 Kadhafistes faits prisonniers ont été retrouvées le 21 octobre dans le jardin de l’hôtel Mahari, à quelques centaines de mètres du champ de bataille. L’herbe était imbibée de sang et jonchée de douilles. Quelques cadavres avaient les mains entravées dans le dos par des liens en plastique. Certaines des victimes étaient apparues sur une vidéo, alors qu’elles étaient prisonnières à la base de la brigade de la côte Est encore en vie. Interrogé par HRW, Khaled Ahmed Raid, commandant de la brigade de Misrata, concède : « Nous ne pouvions contrôler tout le monde. »
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