Sénégal : l’humanité de Moussa Touré
Alors que « La Pirogue », saluée à Cannes, sort sur les écrans français, le cinéaste sénégalais sait qu’il n’a pas le droit de décevoir.
Seul Africain du sud du Sahara sélectionné pour présenter un film au dernier festival de Cannes, on pouvait imaginer Moussa Touré comblé par cet honneur. Lorsqu’on l’avait rencontré à la veille de la projection de La Pirogue, majestueux dans son boubou blanc, avec sur la tête son éternelle coiffe colorée, il nous avait surtout paru angoissé par le jugement des professionnels du septième art. Le « verdict » fut très favorable. Pourtant, ce faux décontracté raconte aujourd’hui de sa voix douce que ce n’est pas pendant mais après son séjour sur la Croisette que « la pression » a atteint son maximum. Même s’il a déjà une longue carrière derrière lui, il lui faut désormais « être plus exigeant encore » pour ne pas décevoir.
C’est tout jeune, alors qu’il vivait dans la médina de Dakar, que Moussa Touré est tombé dans le cinéma. Ses parents étaient d’incorrigibles cinéphiles. Et c’est tout naturellement que sa mère le présenta, encore adolescent, à l’une de ses connaissances, le cinéaste sénégalais Johnson Traoré (décédé en 2010), auteur de films engagés. Lequel laissa le très curieux Moussa passer du temps à observer comment se passait un tournage, avant de l’autoriser à s’occuper du matériel. Sa famille subitement ruinée, Touré quitte définitivement les études à l’âge de 14 ans pour gagner sa vie sur les plateaux de cinéma. Il choisit de devenir « machino-électro », car il peut ainsi participer au plus près à la fabrication des films et, surtout, accompagner le jeu des acteurs « entre ombre et lumière ». Lui, l’éclairagiste atypique qui lit les scénarios, se fait vite remarquer pour ses interventions tous azimuts derrière la caméra. D’où, rapidement, une réputation d’assistant hors pair qui lui permet de travailler avec les plus grands. Le Sénégalais Sembène Ousmane (décédé en 2007), le Burkinabè Gaston Kaboré, le Bissau-Guinéen Flora Gomes. Plus tard, il en sera de même avec les réalisateurs français François Truffaut et Bertrand Tavernier.
Risques
Refusant, à l’inverse de tant d’autres de ses collègues, d’aller se perfectionner à Moscou – l’URSS, le « pays de l’espionnage », ne l’attire pas -, il a profité d’une bourse gouvernementale pour passer un an dans les laboratoires Éclair, à Paris. C’est là, d’ailleurs, qu’il va entamer une carrière de réalisateur. Pendant son séjour, il a en effet écrit un scénario quelque peu autobiographique – le regard sur l’Hexagone d’un Sénégalais – pour lequel il a obtenu une avance sur recettes. Ce qui lui a permis de tourner Toubab Bi et de récolter au passage quelques commentaires élogieux : un critique le compare même à Jacques Tati ! Il tournera ensuite, avec l’aide de l’acteur français Bernard Giraudeau, TGV, un long-métrage évoquant avec humour un voyage épique entre Dakar et Conakry dans un taxi-brousse.
Arrive bientôt l’ère du numérique, qui lui permet de tourner avec de tout petits budgets une série de documentaires très remarqués : les femmes violées lors de la guerre civile au Congo-Brazzaville (Nous sommes nombreuses), la polygamie au Sénégal (5×5), la vie des immigrés en Catalogne (Nosaltres, « nous autres » en catalan). Point commun de tous ces films très politiquement incorrects : l’attention portée par le réalisateur aux personnes qu’il filme, le respect absolu qu’il leur manifeste. Pour son retour à la fiction avec La Pirogue, sur les écrans français le 17 octobre, il fait preuve de cette même empathie envers « ses » personnages – des hommes qui veulent à tout prix rejoindre l’Europe par la mer en prenant des risques insensés -, qui, du coup, crèvent l’écran. Ses projets déjà bien avancés – deux documentaires et un film de fiction – verront sans doute ce conteur peu banal privilégier encore une approche humaniste et caustique de la réalité.
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