Audiovisuel extérieur de la France : Marie-Christine Saragosse, la pacificatrice

Nommée le 7 octobre à la tête de l’Audiovisuel extérieur de la France, Marie-Christine Saragosse, l’ex-patronne de TV5 Monde, devra rassurer des équipes traumatisées par le projet de fusion de son prédécesseur.

Marie-Christine Saragosse, nouvelle patronne de l’AEF. © AFP

Marie-Christine Saragosse, nouvelle patronne de l’AEF. © AFP

Julien_Clemencot

Publié le 17 octobre 2012 Lecture : 6 minutes.

Vendredi 5 octobre. Pas encore à la tête de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF), société publique regroupant Radio France Internationale (RFI), la station arabophone Monte Carlo Doualiya et la chaîne France 24, Marie-Christine Saragosse reçoit au huitième étage du siège parisien de TV5 Monde. Elle vient d’achever un marathon de quatre semaines où elle a été successivement auditionnée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le Sénat et l’Assemblée nationale, tout en continuant à gérer les affaires courantes de sa chaîne. En cette fin de semaine, les batteries de la « Wonder Woman », par ailleurs mère de trois enfants, commencent à flancher. Mais même sur la réserve, la dynamique quinquagénaire est fidèle à sa réputation, et c’est pied au plancher qu’elle entame la discussion. Elle avait prévu de révéler sa part africaine, on l’interroge sur son projet pour l’AEF. Peu importe, elle n’est pas du genre à refuser l’obstacle.

Mi-juillet, Marie-Christine Saragosse avait pourtant poliment décliné l’invitation de Michel Boyon, président du CSA, qui voyait en elle la candidate naturelle pour succéder à Alain de Pouzilhac, dont le départ constitue à cette heure l’une des rares promesses tenues par le pouvoir socialiste. Pas question pour elle de couper le cordon avec TV5 Monde alors qu’au même moment le gouvernement annonçait la sortie de l’AEF du capital de la chaîne pour la rattacher à France Télévisions. « Au cours de l’été, je me suis tellement fait engueuler, notamment par des femmes, que cela m’a ébranlée », explique-t-elle. Alors quand, à la rentrée, ses directeurs lui tiennent le même discours, la patronne tourne casaque et endosse les habits de candidat. « Ils m’ont convaincue en me disant que je pouvais faciliter les collaborations entre les chaînes et restaurer la confiance », explique-t-elle.

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Demandes communes

Faut-il y voir un signe ? Pour la première fois, TV5 Monde, RFI et France 24 ont fait des demandes communes pour interviewer les présidents François Hollande et Joseph Kabila lors du sommet de la Francophonie à Kinshasa. Pourtant, à l’heure où nous échangeons, Marie-Christine Saragosse n’a pas encore mis un pied dans son nouveau bureau. C’est finalement le dimanche 7 octobre que le décret présidentiel annonçant sa nomination sera publié au Journal officiel.

Une culture du dialogue puisée dans les racines algériennes de celle qui est née à Skikda.

Un mois s’est écoulé entre le choix du CSA en faveur de sa candidature et sa prise de fonctions. « Une période étrange » pendant laquelle cette fille unique qui craint tant la solitude n’a pas pu rencontrer ses équipes. « Heureusement, j’ai pu échanger avec certains journalistes [de RFI et France 24, NDLR] venus assister à mes auditions », sourit-elle. Des rendez-vous préparés comme un grand oral, parce que l’énarque promotion Fernand-Braudel (1987) sait que rien ne remplace une première impression. Alors elle soigne ses réponses : « On a fusionné en divisant, il est temps de rassembler en identifiant. » À l’opposé du projet de son prédécesseur, promoteur d’une rédaction unique entre RFI et France 24 où les journalistes devaient travailler indifféremment pour la télévision ou la radio, elle veut « réaffirmer les ADN » (généraliste pour RFI, chaîne d’info pour France 24) et valoriser les marques, en insistant sur le potentiel humain et l’expertise. Quand on l’accuse de faire de l’anti-Pouzilhac pour calmer les esprits, l’intéressée s’agace. « Mais quel était son projet, au juste ? »

Pour autant, les salariés de France 24, pressés comme des citrons, et de RFI, rincés par deux plans de départs volontaires, ne doivent pas non plus s’attendre à une câlinothérapie. Le but est « de se projeter et de se caler sur nos ambitions », assure celle qui a promis l’écoute et la concertation aux représentants du personnel. Concernant la méthode, Marie-Christine Saragosse devrait satisfaire une grande partie du personnel en créant des directions distinctes pour chaque média et en nommant aux postes clés des gens qui incarnent le changement (lire encadré).

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Tenace

Une approche basée sur la cohésion qu’elle a rodée au sein de TV5 Monde. D’abord directrice générale adjointe (1997) puis directrice générale déléguée entre 1998 et 2006, elle a notamment travaillé aux côtés de Serge Adda, fils de George Adda (militant communiste et anticolonialiste, compagnon de lutte de Bourguiba), avant de démissionner à la suite d’un profond désaccord avec Jean-Jacques Aillagon, alors à la tête de la chaîne. Lorsqu’elle revient en 2008 pour prendre le poste de numéro un, à la demande d’Alain de Pouzilhac, les équipes de la chaîne ont le moral en berne. TV5 Monde se voit déjà sacrifiée au profit du décollage de la chaîne d’information continue France 24, née en 2006. Tenace, elle s’appuie sur les actionnaires francophones (les télévisions suisse, belge et canadienne) pour préserver son indépendance, développe sa présence sur internet et n’oublie pas de défendre des causes qui lui tiennent à coeur, comme la parité à l’antenne ou la lutte contre l’excision. Au moment du départ, la patronne n’a pas beaucoup de détracteurs.

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Sa culture du dialogue, Marie-Christine Saragosse la puise dans ses racines algériennes : elle est née à Skikda, qui s’appelait alors Philippeville… Une saga familiale qu’elle raconte dans son premier roman, Temps ensoleillé avec fortes rafales de vent (édition Erick Bonnier), paru au mois d’août. « Chez moi, l’indépendance n’a pas été une blessure dont mes parents parlaient constamment », explique cette lectrice de Yasmina Khadra qui se définit comme une déracinée et a les larmes aux yeux quand les Algériens lui disent qu’elle est une fille du pays.

Coup de balai sur le passé

Début octobre, la méthode Pouzilhac aura fait ses dernières victimes. Cette fois-ci chez les collaborateurs directs de l’ancien patron de l’AEF. Avant même l’officialisation de la nomination de Marie-Christine Saragosse, on apprenait sans surprise le départ de Nahida Nakad et la mise à l’écart d’Anne-Marie Capomaccio (envoyée à Washington), respectivement directrices de la rédaction de France 24 et de RFI. Si, pour prendre les rênes de la chaîne d’information, la nouvelle patronne a choisi d’appeler Marc Saikali, ex-directeur de l’information régionale de France 3, elle a privilégié pour RFI un recrutement interne en confiant la maison à Cécile Mégie, jusqu’alors rédactrice en chef. Par ailleurs, l’AEF a aussi confirmé le départ de Frank Melloul, directeur de la stratégie et candidat malheureux à la présidence de la société face à Marie-Christine Saragosse. J.C.

Énarque

Installée avec ses parents à Nice puis à Cannes, elle poursuit ses études à Sciences-Po Paris afin de devenir journaliste. Attachée au service public, elle optera finalement pour l’École nationale d’administration (ENA), où elle rencontrera son mari, haut fonctionnaire au ministère des Finances. « Les épaules les plus larges de la promotion 1987. Il reste mon premier supporteur », s’amuse-t-elle.

Avant même la fin de son cursus, l’audiovisuel monopolise son attention. « La lucarne magique m’a toujours fascinée… À l’ENA, j’avais choisi une option sur le futur de la francophonie et je défendais déjà l’idée qu’il passait par de grands médias internationaux », se souvient-elle. Un point de vue qu’elle partage avec son ami le président de l’Organisation internationale de la francophonie, l’ancien chef d’État sénégalais Abdou Diouf, surnommé affectueusement Papa. Même si elle n’ignore rien des contraintes budgétaires du moment, la nouvelle patronne veut croire que l’État continuera à préserver, comme il l’a fait en 2013, les ressources financières de l’AEF. Parce qu’il faut avoir les moyens de ses ambitions. « Je vois dans le monde des médias des choses aux antipodes de nos valeurs. Il me semble que, dans ce magma, la France, sans être arrogante, apporte des points de repère stables, rigoureux et crédibles », explique-t-elle. Inutile de tenter de lui saper le moral en lui rappelant la domination des chaînes anglo-saxonnes. « Culturellement, on ne raconte pas les mêmes choses », rebondit-elle. Autrement dit : nous n’avons pas les mêmes valeurs.

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