Jihadisme : Yann Nsaku, itinéraire d’un enfant perdu

Il a failli devenir footballeur professionnel : une blessure l’en a empêché. Converti à l’islam, il s’est apparemment radicalisé en quelques mois. Français originaire de République Démocratique du Congo (RDC), Yann Nsaku se retrouve mêlé à une grave affaire de terrorisme.

Yann Nsaku tel qu’il apparaît dans une vidéo postée sur internet en décembre 2011. © DR

Yann Nsaku tel qu’il apparaît dans une vidéo postée sur internet en décembre 2011. © DR

Publié le 17 octobre 2012 Lecture : 4 minutes.

Le 30 décembre 2011, un jeune converti à l’islam nommé Yann Nsaku apparaît dans une vidéo postée sur internet. Il s’adresse à ses « frères et soeurs » musulmans : « Faisons en sorte d’avoir un bon comportement, d’appliquer le Coran et la Sunna (tradition du Prophète) comme il faut. Faisons en sorte d’avoir une bonne image et de refléter au maximum de nos capacités la véritable image de l’islam. » Neuf mois plus tard, le 6 octobre 2012, il est arrêté dans le cadre d’une enquête antiterroriste de grande ampleur. Neuf mois, c’est court. En l’occurrence, c’est une éternité. Que s’est-il donc passé dans la vie de Yann Nsaku entre ces deux événements ? Tous les scénarios sont envisageables.

Grenade

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Tout a commencé le 19 septembre par l’attaque d’une supérette casher à Sarcelles, dans la banlieue nord de Paris. Deux individus (selon les premiers éléments de l’enquête) lancent une grenade contre l’établissement. Sur les débris, les policiers dépêchés sur place retrouvent des traces d’ADN et identifient rapidement un premier suspect. Son nom : Jérémie Louis-Sidney, 33 ans. L’homme est connu des services de police et a déjà été condamné à deux ans de prison ferme pour trafic de cocaïne.

Louis-Sidney se rend souvent à Cannes, sur la Côte d’Azur, où vit une de ses deux « épouses ». Depuis sa conversion, il fréquente beaucoup la mosquée El-Médina, en plein centre-ville. En remontant le fil de sa vie, en se lançant à la recherche de ses fréquentations, les enquêteurs mettent en évidence l’existence d’un « groupe » basé à Cannes dont il serait le leader. Ils soupçonnent ses membres, aussitôt placés sous surveillance, d’être responsables de l’attentat antisémite de Sarcelles. Et de nourrir des projets terroristes de plus grande ampleur. Le 6 octobre, douze d’entre eux sont arrêtés dans quatre villes : Paris, Cannes, Torcy (en Seine-et-Marne) et Strasbourg. Louis-Sidney, qui se trouve dans cette dernière ville, choisit de ne pas se rendre. Armé d’un Magnum 357, il ouvre le feu à plusieurs reprises sur les policiers avant d’être abattu. Parmi les membres de cette présumée cellule terroriste figure un certain Yann Nsaku. 

Sans résistance

Plus que les autres, il focalise l’attention. Sa trajectoire intrigue. Âgé de 19 ans, il est le plus jeune des suspects et n’a pas de casier judiciaire. Cueilli au domicile cannois de ses parents, il n’oppose pas de résistance. Dans la foulée, Philippe, son père, originaire de la province du Bas-Congo, en RDC – il est gérant d’un restaurant -, et son frère Junior ne cachent pas leur incompréhension dans les médias. « Comme nos deux autres enfants, on l’a toujours élevé dans le droit chemin, il n’a jamais fait de mal à personne », déclare Philippe Nsaku, abasourdi. Mais il ajoute, amer : « Il passait de plus en plus de temps sur son ordinateur. On ne se faisait même plus la bise. »

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Très vite, sur internet, des éléments relatifs à sa vie émergent : photos, pages Facebook, sites web… Et surtout, cette vidéo capitale postée neuf mois auparavant sur YouTube. Ce petit film de quinze minutes est en réalité le premier épisode d’une série consacrée à des convertis. Son titre ? « Welcome to my Umma » – « Bienvenue dans ma Oumma » (communauté des croyants). Premier « invité », Yann s’emploie à décrire les différentes phases d’une vie coupée en deux : il y a, explique-t-il, un avant et un après sa conversion.

Au catéchisme, il se posait "beaucoup de questions sur la doctrine chrétienne".

Son enfance est à peine évoquée. On apprend quand même qu’il a suivi des cours de catéchisme. « Au début, j’y allais assez assidûment. Au fur et à mesure, j’ai délaissé ça, parce que je me posais plein de questions quant à la doctrine chrétienne. Par exemple, sur la question de la Trinité », raconte-t-il. Il y a aussi cette passion dont il aurait aimé faire un métier : le football. Enfant, il débute dans une équipe de jeunes de l’AS Cannes, club réputé qui forma naguère les stars Zinédine Zidane et Patrick Vieira. Entre autres. Doué, il se fait remarquer et, en 2009, est recruté par un club étranger. Il raconte : « Je m’entraînais dur jusqu’à l’âge de 16 ans, où j’ai atteint mon apogée. Je suis parti en Angleterre dans le club professionnel de Portsmouth, mais, pour diverses raisons, dont une blessure grave, ça n’a pas marché. » L’aventure anglaise ne dure que quelques mois. Bientôt, c’est le retour à la case départ. Yann Nsaku retourne vivre chez ses parents, avenue des Anglais, à Cannes. Une adresse qui, désormais, se teinte d’un léger goût d’amertume.

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Miracles

C’est à cette époque qu’il croise le chemin d’un « frère » qui lui montre des vidéos concernant les « miracles scientifiques » du Coran. « Ces vidéos sont très prisées et contribuent, parmi d’autres facteurs, à la conversion de personnes motivées par la dimension rationnelle, scientifique de l’islam », explique Samir Amghar, auteur du Salafisme d’aujourd’hui. Le jeune Cannois se laisse convaincre et, très vite, se convertit : Yann devient Idriss. Une conversion éclair qui ne surprend pas Samir Amghar : « Le mode de radicalisation a changé, dit-il. Auparavant, cela prenait des années ; aujourd’hui, il suffit de quelques mois. » « Ces versets m’ont mis des claques, ça a été le début d’une profonde recherche », commente pour sa part Yann Nsaku. Bientôt, il se consacre exclusivement à cette quête et, lui aussi, prie assidûment à la mosquée El-Médina.

Quand a-t-il réellement commencé à fréquenter Jérémie Louis-Sidney ? Quelle a été l’influence de ce dernier sur lui ? En a-t-il seulement eu une ? Nsaku était-il présent à ses côtés lors de l’attentat de Sarcelles ? Cette « profonde recherche » l’aurait-elle finalement transformé en un jihadiste prêt à tout pour imposer ses convictions ? C’est à toutes ces questions, et à beaucoup d’autres, que la suite de l’enquête va tenter de répondre.

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