Sahbi Othmani : « Nous devons davantage nous ouvrir »

Sortir de l’autarcie, tel est le credo de Sahbi Othmani, le directeur général de NCA-Rouiba, leader national de la fabrication de boissons fruitées. Sa stratégie : développer les exportations.

Slim Othmani a transmis en 2010 la direction générale du groupe à son cousin, Sahbi Othmani (photo). © Ammi Louiza

Slim Othmani a transmis en 2010 la direction générale du groupe à son cousin, Sahbi Othmani (photo). © Ammi Louiza

Publié le 23 décembre 2013 Lecture : 6 minutes.

Né en 1977 à Tunis, Sahbi Othmani s’installe en 2001 en Algérie, son pays, et devient responsable des ventes au sein de l’entreprise familiale, la Nouvelle Conserverie algérienne de Rouiba (NCA-Rouiba), leader national de la fabrication de boissons à base de fruits. La société a réalisé 60 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012, avec une croissance moyenne de 30 % par an de 2010 à 2012.

Au côté de Slim Othmani, son cousin germain, qui lui a transmis en 2010 la direction générale du groupe pour prendre la présidence du conseil d’administration, Sahbi a participé à l’introduction en Bourse de la société, en juin 2013. Comme son cousin, le jeune patron s’implique dans les travaux des instances patronales, notamment au sein de la tripartite, à laquelle participent également le gouvernement et les partenaires sociaux.

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Propos recueillis à Rouiba par Ryadh Benlahrech

Jeune Afrique : Quel regard portez-vous sur l’évolution du climat social et économique du pays ?

Sahbi Othmani : Après les années noires du terrorisme, le chemin parcouru depuis le début des années 2000 est considérable. La situation économique et sociale s’est clairement améliorée, le contexte politique est stable. Les instruments d’aide au développement sont nombreux, la vision macroéconomique est plutôt plébiscitée par les entrepreneurs. Mais il reste de vraies difficultés dans l’exécution des décisions.

Prenons l’exemple des mesures, inédites à l’échelle régionale, prises en faveur de l’insertion des jeunes dans le monde du travail. L’État continue d’allouer des budgets colossaux aux programmes de l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej), ce qui est une excellente initiative. Mais le suivi et l’accompagnement dans la vie professionnelle demeurent insuffisants, et la plupart des entreprises créées dans ce cadre meurent au bout de deux ou trois ans. Avec tous les créneaux porteurs qui existent, il y a franchement matière à mieux faire.

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Un véritable dialogue s’est établi avec le gouvernement

Que préconisez-vous ?

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Au-delà des aides, il faut faire en sorte que ces mécanismes structurants soient gérés de façon globale, de bout en bout. C’est un enjeu stratégique. Par ailleurs, les opérateurs économiques, en particulier les PME-PMI, doivent pouvoir accéder au foncier à des prix raisonnables et obtenir des crédits bancaires sans avoir à fournir des garanties démesurées.

Enfin, le poids du marché informel constitue un véritable fléau. Cela tient à des causes historiques, mais pas seulement. L’exemple le plus frappant est celui de la taxe sur l’activité professionnelle (TAP) de 2 %, qui doit être revue sans pour autant créer un manque à gagner pour l’État. Actuellement, près de 80 % des grossistes ne la paient pas, mais si demain tous les acteurs économiques acquittaient cet impôt, le consommateur final subirait une inflation d’au moins 3 % (2 % de TAP et 1 % de droit de timbre) et sûrement beaucoup plus, selon le nombre d’intermédiaires présents dans la chaîne de distribution. En effet, puisqu’une TAP est censée s’appliquer à chaque « passage de propriété », imaginez l’impact direct sur le coût final d’une marchandise ! Il y a donc là un sérieux problème technique à résoudre. Par ailleurs, cette taxe a des effets pervers comme la corruption, la sous-facturation ou l’évasion fiscale.

La traditionnelle défiance de l’État à l’égard du secteur privé persiste-t-elle ?

Notre modèle nous a fait évoluer dans une logique de suspicion, nourrie par un manque de compréhension. C’est un point sur lequel associations patronales, pouvoirs publics et syndicats doivent travailler afin de rétablir la confiance. Un véritable dialogue s’est établi avec le gouvernement, comme l’illustrent la tripartite d’octobre et les différentes commissions qui ont été créées depuis. Par ailleurs, quelques signaux positifs très concrets parviennent aux entrepreneurs, comme la prise en charge par l’État, en 2011, des impayés bancaires des PME-PMI en difficulté, ou encore les aménagements fiscaux pour les entreprises introduites en Bourse.

La tripartite d’octobre a-t-elle eu des effets réels ?

Six groupes de travail ont été constitués. Je fais partie de celui chargé des questions fiscales, sous la tutelle des ministères du Commerce et des Finances. Nous sommes dans la phase d’identification des principaux problèmes, sur lesquels des commissions travaillent désormais en profondeur. Ce qui, nous l’espérons, permettra d’obtenir de réels changements sur le terrain dès 2014.

Nous devons résoudre le problème épineux de l’évasion fiscale et du commerce informel

Vous dites que l’un des principaux problèmes réside dans la mauvaise exécution des mesures gouvernementales par les administrations. Quelles en sont les causes ?

Dans certaines institutions, un problème de gouvernance interne freine l’application des décisions prises en haut lieu. Sans faire de procès d’intention à l’administration, nous constatons que le manque de compétence des fonctionnaires pose des problèmes récurrents. Or, c’est hélas le maillon le plus important de la chaîne.

Sans parler de la bureaucratie, qui handicape lourdement le développement économique et social. Sa pesanteur injustifiée décourage et dissuade l’entrepreneuriat : une démarche pour obtenir un papier, qui devrait prendre trente minutes, peut durer des mois, il faut attendre deux ans pour obtenir un agrément associatif, comme cela a été le cas pour l’Association des producteurs algériens de boissons, à laquelle nous sommes affiliés – qui pourtant est notoirement connue et reconnue par les pouvoirs publics… Tous ces faux problèmes créent une inertie contre-productive. Cependant, une pression naturelle et constructive des entrepreneurs et de la société civile commence à émerger. Les choses bougent dans le bon sens, mais beaucoup reste à faire.

Un exemple ?

Certaines lois sont mises en oeuvre sans qu’une véritable étude d’impact ait été menée au préalable par des experts. Résultat : nous nous retrouvons souvent pris au piège, contraints de solliciter les autorités compétentes pour qu’elles gèlent ou annulent certaines décisions dont les effets se révèlent ravageurs pour l’environnement économique. Ainsi, pendant les premières semaines de son application, en 2010, la question de la rétroactivité de la loi imposant les certificats de conformité pour les importations a été un épisode extrêmement difficile à gérer pour les opérateurs économiques.

La loi 51/49 ne constitue pas un obstacle aux investissements directs étrangers

Que pensez-vous de la loi 51/49 de 2009 régissant les investissements étrangers ?

Selon moi, elle ne constitue pas un obstacle aux investissements directs étrangers. C’est un faux débat. Aujourd’hui, beaucoup de partenariats sont de véritables success-stories. Ce modèle économique est en cours de stabilisation.

Mais les échanges internationaux entre opérateurs privés restent compliqués… L’Algérie n’a-t-elle pas trop tendance à l’autarcie ?

Il est clair que nous devons davantage nous ouvrir. Pour faire face à l’arrivée des multinationales, notamment dans le domaine des produits de grande consommation, il faut développer les exportations et promouvoir les marques algériennes à l’international afin de profiter de nos avantages comparatifs. Nous sommes dans une ère de globalisation, nous ne pourrons pas faire face à des géants internationaux en restant de petites marques locales.

Faites-vous allusion aux difficultés auxquelles les sociétés algériennes sont confrontées lorsqu’elles veulent investir à l’étranger ?

Oui. L’obligation d’obtenir une autorisation préalable de la Banque d’Algérie est une étape difficile à franchir. À NCA-Rouiba, nous bouclons un dossier d’investissement au Maroc. J’espère que nous y parviendrons, car nous avons les moyens de prospérer hors de nos frontières. Comme bien d’autres entreprises algériennes d’ailleurs.

Qu’attendez-vous du prochain quinquennat sur le plan économique ?

Nous devons résoudre le problème épineux de l’évasion fiscale et du commerce informel. Je le répète, l’une des décisions salvatrices serait la réforme de la TAP. Sur le plan extérieur, j’attends plus d’ouverture, avec des incitations à l’exportation, un contrôle intelligent des importations – qui soit à même de créer une dynamique de marché sans mettre en péril l’existence ou le développement de la production nationale. Nous devons également nous montrer innovants en créant des filières, notamment dans le secteur des services. Les créations d’emplois suivront.

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