Les stars du business kabyles, véritables fleurons nationaux
Agroalimentaire, électronique, électroménager… À Akbou et à Bordj Bou Arreridj se sont développés des pôles industriels particulièrement dynamiques. Retour sur la saga d’Ifri, Soummam, Condor et autres stars locales devenues des fleurons nationaux.
Même si ses capacités industrielles se sont atrophiées, l’Algérie dispose de zones très dynamiques qui, en quinze ans, se sont considérablement développées grâce à la pugnacité d’entrepreneurs privés. La vallwée de la Soummam, en Kabylie, spécialisée dans l’agroalimentaire et l’emballage, et la plaine de Bordj Bou Arreridj, un peu plus au Sud, aux abords des Hauts Plateaux, devenue capitale algérienne de l’électronique et de l’électroménager, sont aujourd’hui les vitrines du savoir-faire industriel national. Des pôles de référence où l’essor de quelques grands groupes a entraîné dans son sillage celui de PME-PMI régionales. Mais il y a des ombres au tableau. Éclairage public et assainissement quasi inexistants, routes défoncées, chiens errants… Située à la sortie d’Akbou, à 70 km au sud-ouest de Béjaïa, la zone d’activité commerciale (ZAC) de Taharacht fait, à première vue, grise mine. Une impression qui est loin cependant de refléter son dynamisme et son importance dans la région. Depuis le milieu des années 1990, une cinquantaine d’entrepreneurs privés, pour la plupart spécialisés dans les secteurs de l’agroalimentaire ou de l’emballage, se sont installés et prospèrent sur cette ancienne décharge sauvage, devenue le plus grand pôle agro-industriel du pays.
Manne
Des leaders tels qu’Ifri, dans les eaux minérales et les boissons, Soummam et Danone, dans les produits laitiers, ou Général Emballage, le numéro un de la production de carton ondulé, alimentent les caisses de l’assemblée populaire communale d’Akbou – entre 70 % et 80 % des recettes de la municipalité. Une manne qui lui permet de se hisser au 23e rang des villes du pays en termes de ressources, avec un budget de plus de 10 milliards de dinars (91,5 millions d’euros). Sans compter les quelque 10 000 emplois directs que procurent les industries de la ZAC. Une bouffée d’air pour les 60 000 Akbouciens et pour la région tout entière, régulièrement en proie à des troubles sociaux et politiques.
S’il n’y a pas de statistiques officielles locales, les chefs d’entreprise assurent que le taux de chômage à Akbou et dans ses environs est bien inférieur aux 10,9 % de moyenne nationale. Il est vrai qu’ici les success-stories sont légion. Fondé en 1993 par Lounis Hamitouche (lire ci-contre), natif d’un village du mont Djurdjura, Soummam est devenu le numéro un du yaourt, devançant la multinationale Danone – ce qui fait de l’Algérie le seul pays où le groupe français est présent mais relégué à la deuxième place. La société emploie 1 350 personnes et a réalisé un chiffre d’affaires de 33,5 milliards de dinars en 2012. D’ici à 2015, elle compte doubler sa production, à 10 millions de pots par jour, pour répondre à une forte demande intérieure.
Lounis Hamitouche : le roi du yaourt
Après le lait UHT, le groupe Soummam, leader national du yaourt, vient d’annoncer son intention de s’attaquer aux fromages. Une belle réussite pour son PDG-fondateur, Lounis Hamitouche, un businessman atypique. C’est en 1969, à l’âge de 23 ans, que ce fils de paysans kabyles décide de quitter son village perché au sommet du mont Djurdjura pour faire fortune en ville. Il n’a que 50 dinars en poche, mais possède un bagou qui compense son manque d’instruction et qui, des années plus tard, fera de lui un redoutable homme d’affaires. Après avoir rejoint la capitale algérienne en autostop, il livre pendant des années toutes sortes de marchandises entre Alger et Tamanrasset. Ses premières économies sont investies dans l’achat de son premier camion, puis de quatre autres, jusqu’à ce qu’il vende sa société avec l’envie de changer de créneau. Il se lance dans la confection, fait faillite et rebondit « par hasard » dans le yaourt. En 1993, Lounis Hamitouche crée Soummam, qui, avec sa vingtaine d’employés, fabrique dès la première année quelque 20 000 pots par jour. Le groupe ne cesse de se diversifier. Il compte aujourd’hui plus de 1 350 collaborateurs, et sa production quotidienne de yaourts a été multipliée par… 250.
Pour sa part, Danone Djurdjura Algérie, son concurrent direct, également implanté dans la zone de Taharacht, vit plutôt bien sa place de numéro deux. « Les relations sont bonnes avec l’ensemble des industriels, d’Akbou à Béjaïa. La concurrence est saine », affirme Jean-Yves Broussy, son directeur général. Avec ses 850 employés directs, dont seulement 8 expatriés, la société de droit algérien aux capitaux 100 % français recrute principalement dans la vallée de la Soummam et dans les wilayas environnantes. « Nous apportons notre expertise internationale tout en maintenant une dimension locale », poursuit Jean-Yves Broussy.
La marge de progression du marché des yaourts est encore grande. Les Algériens en consomment en moyenne 12 à 13 kg par an et par personne, contre environ 30 kg en France et en Espagne, d’après les estimations de Danone.
Autre succès régional : celui des frères Batouche. Mohand et Boussad sont les précurseurs de la ZAC de Taharacht. Avec Bouzid (leur frère décédé en 1995), ils ont fondé la laiterie Djurdjura en 1984, avant de former un partenariat avec Danone en 2001, auquel ils ont cédé la totalité de leurs parts en 2006 pour développer d’autres activités. Boussad dirige désormais STPA et Elafruits (lire p. 82) ; Mohand l’entreprise Transport&marchandises frigorifiques (TMF) ; son fils Ramdane est à la tête de Général Emballage (un chiffre d’affaires de 72 millions d’euros prévu pour 2013) ; Youssef, le fils de Bouzid, est l’actionnaire principal de la laiterie Ramdy, dont la croissance annuelle moyenne atteint 30 % depuis 2010, et son frère Madjid contrôle All Plast. Tous sont basés à la ZAC de Taharacht.
Fierté
Pendant ce temps, à 50 km au sud, le vent glacial qui souffle depuis les Hauts Plateaux n’altère en rien la cadence des déchargements de camions. La zone industrielle de Bordj Bou Arreridj (BBA) est réputée pour ses produits électroniques et électroménagers. Dans les années 1990, les entreprises privées locales spécialisées se sont regroupées sur ce site de 400 hectares pour y établir leurs usines et leurs entrepôts. C’est ici que sont conçus et fabriqués les téléviseurs, lecteurs DVD, ordinateurs, réfrigérateurs et climatiseurs de marques 100 % algériennes comme Condor, Cristor, Géant Electronics, Cobra, Pacific, etc. Des groupes qui font désormais de la « zone de BBA » un fleuron national en termes d’investissements et de production industrielle.
#000000;" />Condor, le plus emblématique d’entre eux, est parvenu à s’imposer face aux grandes marques internationales en proposant des produits de qualité à des prix compétitifs. Fondée en 1997 par Abdelmalek Benhamadi (lire p. 84), la petite entreprise spécialisée dans l’import s’est lancée dans la production en 2002. Dix ans plus tard, elle affichait un chiffre d’affaires de 31 milliards de dinars hors taxes, pour un résultat d’exploitation d’environ 2,5 milliards. Et elle table sur un chiffre d’affaires de quelque 40 milliards de dinars en 2013. Elle emploie 4 750 personnes, dont plus de 870 ont été embauchées cette année.
C’est avec une certaine fierté que le patron de Condor nous ouvre les portes de son usine de produits bruns (téléviseurs, hi-fi, récepteurs satellites, cartes mères, etc.). L’unité high-tech est totalement intégrée et contribue à plus de 30 % des ventes de l’entreprise. Dès le rez-de-chaussée, le visiteur est prié de passer des surchaussures, « pour éviter les charges statiques », explique Rida Boubetra, le directeur du site. Très vite, le bruit des lignes de production, la chaleur des fours et des machines envahissent l’atmosphère. Des ouvriers s’affairent à insérer les composants dans des cartes mères électroniques, avant de les transmettre via un monte-charge à la ligne d’assemblage manuel du premier étage. Chacun dispose d’une fiche d’instructions détaillée sur son poste de soudage, où domine l’odeur de l’étain. En bout de chaîne, des tests sont effectués. Puis on assemble les produits finis, au deuxième étage, là où se trouvent aussi les laboratoires de contrôle et de qualité. Enfin, on conditionne, on stocke, jusqu’au chargement pour des livraisons à travers le pays.
Boussad Batouche : boulimique du business
Ce patron autodidacte est à la tête de deux entreprises agroalimentaires de la zone d’activité de Taharacht : la Société de transformation des produits agricoles (STPA, spécialisée dans les surgelés, fruits secs, etc.) et, désormais, Elafruits. Mi-novembre, le groupe Batouche a racheté la totalité des actions détenues par son partenaire portugais dans la société Frulact Algérie, rebaptisée Elafruits. L’entreprise, dont le capital a été porté de 120 millions à 282 millions de dinars, ouvrira une nouvelle usine en février 2014. Un investissement de 10 millions d’euros. À 59 ans, Boussad Batouche n’en est pas à son coup d’essai. Ce père de sept enfants, qui a arrêté ses études à la fin du collège, n’a jamais cessé d’entreprendre pour créer des emplois et de la valeur ajoutée dans sa région natale. Après avoir monté une société de transport routier, il s’est lancé en 1984 dans les produits laitiers en créant Djurdjura avec ses deux frères Mohand et Bouzid. En 2001, la laiterie s’est alliée au géant français Danone, qui l’a finalement rachetée entièrement en 2006. Elle comptait déjà plus de 600 employés.
Citernes
Ces quelques exemples de réussite, qui ne sont pas exhaustifs, sont d’autant plus à saluer que, à Bordj comme à Akbou, les industriels sont confrontés à de nombreux obstacles perturbant la bonne marche de leurs activités. En été, des délestages récurrents obligent la plupart d’entre eux à recourir à des groupes électrogènes d’appoint. Ils doivent aussi s’approvisionner en eau. À BBA, les entreprises achètent des citernes pour subvenir à leurs besoins. Quant à celles de la ZAC de Taharacht, elles font réaliser des forages sur leurs propres deniers. Sur le site, seuls Général Emballage, Soummam et Danone ont accès au gaz de ville grâce à des investissements privés. Les autres opérateurs utilisent du fioul, trois à cinq fois plus cher que le gaz de ville et beaucoup plus polluant.
Débrouille
Le manque de terrains disponibles constitue par ailleurs un frein à l’extension des entreprises. Ce fut le cas pour Condor, à Bordj Bou Arreridj : « Nous avons dû acheter des terrains à 3 km de la zone industrielle, ce qui entraîne des coûts supplémentaires », déplore Abdelmalek Benhamadi. D’autant que, au sein de la zone industrielle, tout est mieux organisé : « C’est la société de gestion qui est chargée de l’éclairage, de l’entretien et de la sécurité de la zone, explique le PDG de Condor. Chaque entreprise paie sa part. »
Mais à Taharacht, la question est plus sensible. Là aussi, plusieurs entreprises ont dû acheter à des personnes privées des parcelles situées à quelques encablures de la ZAC. Malgré l’expansion des sociétés et l’arrivée de nouveaux opérateurs, certains bâtiments et usines (comme les unités de production Soummam 2 et celles d’Ifruit, appartenant à Ifri) ne sont donc pas inclus dans le périmètre de la ZAC, dont la superficie reste tout juste inférieure à 50 ha… la taille minimale pour prétendre au statut de zone industrielle. Ce dernier impose la création d’une société chargée de la gestion de la zone et dotée d’un budget. Ce qui permet de bénéficier de subventions (en particulier dans le cadre des plans de modernisation et d’aménagement adoptés l’année dernière). Tout ce dont aurait bien besoin la ZAC de Taharacht. Alors que celle-ci dépasse en nombre d’entreprises les zones industrielles de Béjaïa et d’El-Kseur, les patrons akbouciens sont contraints de se débrouiller seuls. En attendant que les pouvoirs publics veuillent bien leur faciliter la vie.
Abdelmalek Benhamadi : très très smart !
À 56 ans, le PDG de Condor, numéro un algérien de l’électroménager et de l’électronique grand public, poursuit la diversification de son entreprise. Cette dernière est devenue le vaisseau amiral du groupe Benhamadi Antar Trade, qui compte aussi des filiales dans la briqueterie et l’agroalimentaire. Après s’être lancé dans la production de panneaux solaires en juillet, le fabricant algérien va produire, dès l’année prochaine, des smartphones et des tablettes 3G, compatibles avec les milliers d’applications disponibles sur sa boutique en ligne, dont le GPS, véritable révolution en Algérie. Troisième enfant d’une fratrie de onze, Abdelmalek Benhamadi est issu d’une grande famille de commerçants originaires de Bordj Bou Arreridj. Diplômé de l’École supérieure de commerce d’Alger, puis de l’université d’Exeter (Royaume-Uni), avec une spécialisation en finance, cet amoureux de golf, de football et de voyages a commencé sa carrière comme assistant à l’université de Sétif, tout en travaillant avec sa famille dans les matériaux de construction. En 1997, il se tourne vers l’importation d’électroménager puis, en 2002, vers la production et l’innovation… avec le succès qu’on lui connaît. Depuis, Condor a réalisé un chiffre d’affaires de 31 milliards de dinars (environ 295 millions d’euros) hors taxes en 2012. Il détient 40 % de parts de marché, dans un pays où, sur ce créneau, l’importation est reine, et y a investi 2 milliards de dinars cette année.
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