[AFIS 2022] Mobile money, crypto, IA, Zlecaf… Quels enjeux pour le secteur financier africain ? La parole de l’industrie
Les 28 et 29 novembre, à Lomé, l’Africa Financial Industry Summit sera l’occasion pour les grands acteurs du secteur de débattre des enjeux actuels et des futurs défis de la finance africaine.
Publié le 27 novembre 2022 Lecture : 6 minutes.
Finance verte, guerre des prix dans le mobile money, innovation à l’heure de la Zlecaf, paiements numériques et trade finance, consolidation des assurances, intelligence artificielle, risques de crédit, inclusion financière, cryptomonnaies…
Durant deux jours de débats, panels, ateliers, tables rondes, keynotes, l’industrie financière s’attachera à aborder le large volet de thématiques qui animent son quotidien. Mais qu’en attendent vraiment ses acteurs qui seront réunis lors de la deuxième édition de l’Africa Financial Industry Summit (AFIS)* ? Jeune Afrique vous en donne un aperçu.
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Une industrie de classe mondiale
Comment développer une industrie financière de classe mondiale ? C’est l’une des questions que se poseront les participants du rendez-vous de Lomé. Large taux de bancarisation, participation au financement des individus non salariés (90 % de la population africaine) et des PME, et une meilleure résilience (régulation respectée et concurrence saine), voilà les trois ingrédients nécessaires à son avènement, estime François Jurd de Girancourt, associé chez McKinsey à Casablanca.
Selon la vision de l’expert, l’Afrique est divisée en quatre groupes distincts. « Le Maghreb et l’Afrique australe sont des régions à forte dominante bancaire, où la pénétration du mobile money est faible », indique-t-il. Reste à ce groupe de pays à progresser sur la définition de cadres favorables à l’innovation et sur la baisse des coûts des services proposés. L’Afrique de l’Est et le Ghana mêlent, quant à eux, une prépondérance du mobile money dans un contexte de bancarisation déjà bien développé.
« La bataille de demain se fera sur l’accès au micro-crédit, que les plateformes mobiles peuvent booster. De leur côté les régulateurs doivent une protection des consommateurs notamment par rapport au niveau des taux d’intérêts pratiqués », soutient François Jurd de Girancourt.
Les banques de l’espace francophone dépendent encore trop d’actifs publics,
L’Égypte et le Nigeria, deux géants du continent qui totalisent à eux deux plus de 300 millions d’habitants sont des marchés aussi bien bancarisés qu’innovants et où les régulateurs donnent une certaine liberté à l’écosystème fintech.
Enfin, les pays francophones dits « en transition » car leur marché ne connaissant ni véritable domination des banques (20 % de pénétration environ) ou des services de mobile money (50 % de pénétration). « Il leur reste beaucoup de travail à mener sur la pénétration des marchés et vont dans la bonne direction concernant le financement de l’économie réelle [individus non-salariés et PME, ndlr]. La croissance du crédit aux particuliers et PME via ces produits innovants est aussi une opportunité pour les banques de diversifier leurs bilans, où la dette publique représente souvent encore plus d’un tiers des actifs », prévient François Jurd de Girancourt.
Tirer parti de la Zlecaf
Plusieurs tables rondes et panels auront à cœur d’aborder la question du marché commun. Quelle place les institutions financières du continent doivent-elles occuper pour implémenter, accélérer, et rendre effective la réussite du projet de Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Et, surtout, comment tirer parti de cette avancée pour les échanges intra-africains et nourrir croissance et transformation du secteur financier ?
Pour Amediku Kwabla Settor, directeur du département des systèmes de paiement à la Banque centrale du Ghana (BoG), il faudra avant tout surmonter trois principaux obstacles au déploiement à grande échelle de la Zlecaf. À savoir, l’engagement des pays membres ; la gestion des aspects de politique économique de l’accord de libre-échange sans compromettre ses avantages économiques ; et l’état actuel de l’environnement macroéconomique mondial.
Dans ce cadre, le secteur financier doit pouvoir pleinement jouer son rôle pour s’attaquer à ces obstacles. « Le secteur des services financiers peut faire preuve de leadership en dirigeant le processus, par exemple à travers le réseau AACB [Association des Banques centrales africaines, en initiales anglaises], et en poursuivant des politiques monétaires saines », avance l’économiste de la BoG.
D’ailleurs, poursuit-il, les régulateurs financiers doivent « former des alliances au sein de la région pour faire avancer l’agenda ». À ce jour, l’AACB a déjà contribué à mettre en place des initiatives pour favoriser les paiements transfrontaliers par l’intégration des systèmes de paiement. Ce système fournira l’infrastructure nécessaire au commerce intra-régional.
Inclusion financière et finance durable
Trois grands sujets majeurs doivent et vont être abordés lors de l’Afis en ce qui concerne l’inclusion financière : l’innovation, la défragmentation entre les différents acteurs de l’industrie et la question du genre, estime de son côté Paul-Harry Aithnard, DG de Ecobank Côte d’Ivoire et directeur régional exécutif pour la zone Uemoa.
En ce qui concerne l’innovation, l’idéal serait une alliance entre tous les acteurs (banques, assurances mais aussi telcos) pour développer des centres d’innovation, avec des incubateurs et des accélérateurs qui permettent à des fintechs de venir se développer et, ainsi, proposer des solutions technologiques à bas coûts qui permettront de servir les populations, explique-t-il. « Nous avons par exemple formé Côte d’Ivoire Fintech Association (CIFA), que je préside, qui prépare un livre blanc, faisant l’état des lieux et des recommandations aux régulateurs ainsi qu’aux décideurs publics sur les leviers à utiliser pour accélérer le développement des fintechs en Côte d’Ivoire. »
Si on veut avoir de l’impact, il faut mutualiser nos forces, poursuit le dirigeant. « C’est ce qui s’est passé avec la « Silicon Savannah” autour de Nairobi. Il s’agit de collaborer entre acteurs de l’écosystème et non pas de fusionner nos activités. C’est ainsi qu’on pourra positionner les pays francophones comme une place de référence sur l’innovation ».
Le deuxième sujet est d’inciter les acteurs à défragmenter leurs propositions et de créer une chaîne de réponse à l’inclusion financière. « Je sais que banques, telcos et microfinance sont parfois en concurrence. Mais sur la question de l’inclusion financière dans le monde rural, en ce qui concerne les agriculteurs par exemple, il faut travailler ensemble pour régler des problèmes très pratiques », relate le banquier. Et de poursuivre : en zone rurale reculée, où il n’existe pas de banques mais où il y a des microfinances et des usagers du mobile, des partenariats peuvent se nouer avec du financement venu de la banque, mais déboursé dans des agences de microfinance et sur les téléphones des clients à travers des microcrédits. Dans des pays émergents comme l’Inde, cela existe.
Enfin, il faut avoir un biais marqué et assumé par rapport au financement des femmes, ponctue Paul-Harry Aithnard. « C’est ce que Ecobank essaie de faire à travers son programme Ellever, qui offre non seulement du financement, mais aussi de la formation et de la digitalisation. Si nous arrivons on arrive à inclure les femmes, on réglera plus de la moitié du problème de l’inclusion financière ».
Cadre réglementaire
Le sommet sera enfin une opportunité pour les acteurs de l’industrie financière de faire entendre leur voix sur la question de la régulation financière. Une thématique sensible au vu des critiques régulièrement émises à l’encontre de certaines normes internationales, jugées peu adaptées au contexte africain.
« Les règles définies au niveau des accords Bâle notamment sont trop restrictives », regrette ainsi Hakim Ben Hammouda, secrétaire général du Afis Supervisory Board. Pour cet ancien ministre tunisien de l’Économie et des Finances, il est temps que le continent s’émancipe sur ce point.
« L’objectif de ces deux jours est de se réunir pour structurer le débat afin que tous les Africains apprennent les uns des autres. Et cela est d’autant plus important en ces temps de crise, où il s’agit de maintenir des économies résilientes grâce à un secteur bancaire libéré des législations imposées par des institutions externes », analyse l’économiste.
*L’Africa Financial Industry Summit (AFIS) est la principale plateforme du secteur privé africain fondée par Jeune Afrique Media Group en 2021, avec le soutien d’IFC (groupe de la Banque mondiale), et « petite sœur » de l’Africa CEO Forum.
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