Ghannouchi, l’illusionniste
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 15 octobre 2012 Lecture : 2 minutes.
Le doute a longtemps plané, il n’est aujourd’hui plus de mise. En tout cas plus concernant Rached Ghannouchi, chef emblématique des islamistes d’Ennahdha, qui s’était pourtant évertué jusqu’ici à rassurer ses compatriotes et la communauté internationale. À longueur d’interviews ou de déclarations, il n’avait que les mots « tolérance », « ouverture », « modernité » et « liberté » à la bouche. Vantait sans cesse les mérites du modèle turc, jurait qu’il ne voulait rien imposer à qui que ce soit et que l’islam prôné par son mouvement ne devait inquiéter personne. Mais voilà, il s’est pris les babouches dans le tapis. Internet a fait le reste : il tombe le masque dans deux vidéos qui font désormais le tour de la Toile.
Dans la première, il s’entretient avec deux salafistes. La seconde est un enregistrement téléphonique avec le cheikh Béchir Ben Hassen, figure des extrémistes religieux. En guise du « serrage de vis » à leur égard annoncé, Docteur Rached y cède la place à Mister Ghannouchi, et ses propos font froid dans le dos. En résumé, il reconnaît que les islamistes ne sont pas encore assez puissants pour imposer leurs vues, malgré le chemin parcouru depuis la révolution. Qu’il convient donc de « compléter ce capital en envahissant le pays avec des associations, des écoles. Partout ! » Il enjoint les salafistes à la patience : « Maintenant, on n’a pas une mosquée, on a le ministère des Affaires religieuses ! On n’a pas une boutique, on a l’État ! Donc il faut attendre, ce n’est qu’une question de temps. […] Mais pourquoi êtes-vous pressés ? » Et de citer l’échec du Front islamique du salut (FIS) algérien, qui aurait dû faire de même. Alger appréciera… Les laïcs ? Des suppôts de l’ex-RCD de Ben Ali. La police, l’armée, l’administration ? Aux mains de ces derniers. La charia ? Bientôt… Son projet ? Une théocratie à bâtir pierre par pierre et en catimini.
Un discours aux antipodes de celui tenu dans les interviews qu’il nous a accordées en août dernier (J.A. no 2692-2693) ou en janvier… 1990, il y a plus de vingt ans (J.A. no 2653). Mais Ghannouchi n’est ni Janus ni atteint de troubles de la personnalité. L’homme le plus influent du pays est peut-être aussi le plus malin, un véritable Houdini de la politique. Il a longtemps su cacher son jeu. Mais la modernité, qu’il ne semble guère goûter, vient de lui jouer un bien mauvais tour. Une caméra, qui n’était pas cachée – tous les entretiens de Ghannouchi sont filmés par son staff -, internet, les réseaux sociaux et patatras ! Le cheval de Troie s’est transformé en éléphant dans un magasin de porcelaine. Et c’est tant mieux : le fond de la pensée de Ghannouchi ne sera plus jamais ce triangle des Bermudes où tant de ses détracteurs se sont perdus. Maintenant, les choses sont claires. Et les Tunisiens pourront enfin choisir en toute connaissance de cause. Merci l’artiste…
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