Dérives citoyennes

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  • Tshitenge Lubabu M.K.

    Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.

Publié le 10 octobre 2012 Lecture : 2 minutes.

Il règne une affluence inhabituelle au ministère où j’ai rendez-vous. La salle d’attente est pleine comme un oeuf. Dehors, quelques petits groupes attendent. Je préfère rester à l’écart, me disant que mon ami le ministre – un ami de très longue date -, qui m’a invité à déjeuner, doit avoir quelques soucis avec les agents de son département. Je flaire un problème de salaires non payés depuis de longs mois, une promesse non tenue. Mais il n’y a aucune agitation. Curieux. À intervalles réguliers, des hommes et des femmes entrent dans le bâtiment où se trouve le bureau du ministre. Le temps passe. Je finis par m’annoncer. La secrétaire est étonnée : « Le ministre vous attend depuis longtemps. Venez », dit-elle. « Mais je vais le déranger… » « Non, non ! Venez ! » J’accepte. Me voici dans l’antichambre, elle aussi bondée. Le ministre arrive, me sourit franchement et me fait entrer dans son bureau. Quelques personnes s’y trouvent déjà. Mon ami m’explique que c’est la journée « portes ouvertes ». Il reste debout et continue à discuter avec ses hôtes.

Ce que j’entends est édifiant. Chaque visiteur a un problème à soumettre. De jeunes diplômés au chômage demandent une recommandation du ministre auprès de l’un de ses collègues pour être embauchés dans une entreprise dépendant de son département. L’ami leur explique que, de toutes les façons, cela ne sert à rien parce que l’entreprise en question est en difficulté. Ils insistent. D’autres sont venus déposer leur CV pour que le ministre leur trouve du travail. Ce dernier répond que c’est inutile, étant donné que l’État ne recrute pas, et leur propose d’attendre le moment où des investisseurs viendraient créer des entreprises. Ils insistent. Une mère plaide la cause de son fils. Les échanges s’éternisent. À chacun le ministre glisse dans la main un billet de banque plié en quatre. Pour le transport.

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J’ai assisté, bien malgré moi, dans un pays d’Afrique centrale, à cette rencontre entre un ministre et le peuple. Et cela me pousse à me poser beaucoup de questions. Partout où je suis passé sur le continent africain, j’ai toujours entendu le peuple critiquer sévèrement les dirigeants, les traitant de tous les noms : voleurs, fornicateurs invétérés, menteurs, corrompus, tribalistes et j’en passe. Mais là, j’assiste à une réunion où le peuple demande à un membre du gouvernement d’intercéder auprès de ses pairs pour obtenir une faveur. Si celui-ci avait été soudoyé, cela aurait un nom : trafic d’influence. Dans ce cas précis, il s’agit de clientélisme. Ou de népotisme. Ou encore de favoritisme. Comment ceux qui ont la dent dure, la critique féroce, peuvent-ils réclamer pour eux-mêmes ce qu’ils ont toujours reproché aux hommes politiques ? On me dira que la vie est difficile, que les gens n’arrivent pas à s’en sortir. Très bien. Mais cela suffit-il pour justifier ce recours à des pratiques qui maintiennent nos pays dans l’arbitraire, l’injustice, l’exclusion ? Des méthodes qui condamnent nos États à être des entités sans foi ni loi ? C’est ce que le peuple veut ? Enfin, le rôle d’un ministre est-il de trouver du travail aux sans-emploi, aux sans-espoir, aux sans-rien ? J’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi le peuple marche sur ses principes.

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