Les gens, l’art et l’argent
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Nicolas Michel
Romancier et journaliste, il est responsable des pages consacrées à la culture et auteur d’une dizaine de romans et albums illustrés.
Publié le 17 octobre 2012 Lecture : 3 minutes.
C’était il y a quelques semaines, quand paraissait dans chaque numéro de Jeune Afrique une rubrique consacrée aux artistes africains contemporains intitulée « À l’oeuvre ! » Alors que je pensais avoir rendu hommage au travail d’un plasticien internationalement reconnu, voilà que je reçois un coup de fil courroucé de ce dernier. Aurais-je écrit une bêtise ? Me serais-je trompé ? Aurais-je mal interprété sa démarche ? Non, il ne s’agit pas de cela. L’homme s’emporte en réalité parce que j’ai mentionné la valeur de son oeuvre, achetée par un grand musée pour une somme rondelette. Je me défends, bien sûr, le prix est une information, un fait avéré, et son importance confirme la reconnaissance du marché de l’art pour cet artiste du continent, à une époque où ils ne sont pas si nombreux à pouvoir se vanter d’atteindre une telle cote.
Mais les arguments de l’homme en colère portent. En Afrique, dit-il en substance, ce n’est pas pareil. Dès qu’une somme est ainsi rendue publique, l’artiste doit non seulement affronter les services fiscaux de son pays, pour lesquels il y a anguille sous roche et matière à grappiller quelques deniers, mais aussi la marée des parents quémandeurs qui souhaitent toucher leur part… La rançon du succès peut se révéler coûteuse…
Depuis que le marché (occidental) de l’art existe – c’est-à-dire depuis que les artistes produisent des oeuvres pour des collectionneurs, des amateurs, des musées -, c’est lui qui fait ou défait des carrières. On peut le déplorer, mais à l’exception de quelques cas très particuliers – comme celui de Vincent Van Gogh -, les artistes restés dans l’histoire de l’art ont été reconnus de leur temps par le marché. Et si, en France comme dans d’autres pays, il est de bon ton de ne pas mélanger art et argent dans une discussion entre personnes bien élevées, cela n’empêche pas que tout un monde de marchands, avec ses règles propres, gravite autour des plasticiens, peintres et autres photographes. Une oeuvre se met à exister parce qu’il y a un créateur, bien entendu, mais aussi des galeristes, des critiques d’art, des collectionneurs, des musées, des maisons de vente aux enchères. Dans notre monde capitaliste, à de rares exceptions près, le temps de l’art pour l’art est bel et bien révolu. Ignorer ou feindre d’ignorer la valeur d’une oeuvre sur le marché, c’est donc oublier un élément d’appréciation essentiel.
Le temps de l’art pour l’art est révolu. Ignorer la valeur d’une œuvre sur le marché, c’est oublier un élément d’appréciation essentiel.
Cependant, comment ne pas comprendre les préoccupations de notre artiste énervé qui déclare que c’est fini, il ne parlera plus aux journalistes de Jeune Afrique ? Les services fiscaux comme les quémandeurs de tout poil ignorent sans doute que la valeur de marché d’une oeuvre ne correspond jamais à l’argent qui tombe dans la poche du créateur. Il faut en effet en déduire les coûts de fabrication, d’assurance et de transport, la commission du galeriste par le biais duquel elle a été vendue… Tout en sachant qu’un plasticien met des années à se faire connaître, qu’il ne peut multiplier les créations sans prendre le risque de s’autodévaloriser et qu’il doit jouer des coudes pour que sa tête émerge du flot.
Que taire ? Que dire ? Le mensonge par omission n’étant pas une qualité en journalisme, je continuerai – dans la mesure du possible – de donner la valeur d’une oeuvre sur le marché. Mais si les uns et les autres, services fiscaux y compris, voulaient bien se documenter sur les us et coutumes du marché de l’art et comprendre que les plasticiens appartiennent à la catégorie des espèces à protéger, cela simplifierait les choses. Et permettrait d’éviter, notamment, que nombre d’entre eux se domicilient en Europe ou aux États-Unis. La fuite des pinceaux est une terrible perte pour le continent.
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