RDC : mots et merveilles du franlingala
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 18 octobre 2012 Lecture : 4 minutes.
RDC : Mbote changement ?
L’inventivité des Kinois est bien connue et ne se limite pas à l’art de se tirer d’affaire en toute circonstance. Elle s’étend à un domaine peut-être bien plus vaste, celui du français ou, plus précisément, de la façon de marier la langue de Molière à celle de Kinshasa, le lingala, en donnant à certains de ses mots un sens inattendu. Ce franlingala, permettez, est absolument génial !
Prenons une « momie ». En français, ce glaçant vocable s’emploie pour désigner un cadavre embaumé ou, par analogie, une personne sèche, très maigre. Dans la bouche d’un Kinois s’exprimant en lingala, la « momie » devient la « fille, femme, maîtresse, épouse, copine… » Rien à voir, donc. Quant à la « mère supérieure », elle ne règne pas, comme vous pourriez le penser, sur un couvent, mais sur un homme. C’est tout simplement la femme légitime. Le « grand prêtre » n’est pas, lui non plus, un homme de Dieu ou un prédicateur. C’est juste un homme considéré, à tort ou à raison, comme aisé. Et si, en franlingala, le mot « mystique » revient souvent dans les conversations, il ne se réfère pas aux mystères de la religion, de la sorcellerie, ni à une quelconque quête d’absolu. Il s’agit juste de qualifier quelque chose ou quelqu’un d’insaisissable, d’extraordinaire. Aucun mysticisme dans tout cela.
Il n’est nullement question de vie après la mort non plus, ni même de simple trépas, lorsque le mot « bourreau » est employé en franlingala. Il ne s’agit pas de celui qui exécute la sentence. Encore moins de celui qui fait chavirer les coeurs. Mais d’une personne très grosse. L’« aventurier » cache lui aussi bien son jeu puisqu’il désigne celui qui raconte des histoires drôles et fait rire les autres. Le terme peut d’ailleurs être utilisé pour désigner un acteur comique.
Si la colère montre, on peut "gazer" (engueuler) son interlocuteur ou simplement lui intimer de "gazer", c’est-à-dire de dégager.
En revanche, le « farceur » est nettement moins amusant : ce n’est qu’un vulgaire menteur. Et un « esquiveur » (ou « skiveur ») ? C’est pire. Il est non seulement menteur, mais aussi peu fiable, pas du tout sérieux, et escroc par-dessus le marché. Bref, un sinistre personnage qui peut contrarier. Dans une discussion avec ce type d’énergumène, on peut donc être amené à manifester son mécontentement, voire à « varier », c’est-à-dire se mettre en colère. On peut aussi « gazer » son interlocuteur, autrement dit l’engueuler et, si la situation s’envenime vraiment, tout simplement lui demander de « gazer ». Dans ce cas, on lui intime de dégager. Après cela, libre à vous de « phaser ». Ce verbe n’existe pas en français, en franlingala, si. Son sens ? Dormir. On peut notamment « phaser », dans son « palais », autrement dit sa maison. Mais, attention, le « phaseur » n’est pas pour autant quelqu’un qui dort tranquillement, encore moins dans son palais… puisque le terme « phaseur », lui, évoque en fait un enfant des rues.
Nous voici donc dans les rues de la capitale. Les transactions y vont bon train et y sont menées aussi bien en francs congolais qu’en dollars. Toutefois, si vous retirez de l’argent dans un distributeur, sachez que vous n’aurez que des billets verts. C’est peut-être à ce moment-là qu’on vous parlera de « feuille ». Entendez un billet de 100 dollars.
Autre partie de plaisir urbaine, la circulation à Kin, où les transports en commun ne sont pas une solution, mais un véritable casse-tête. La situation se complique quand s’en mêlent les « esprits de mort », ces fameux Minibus Mercedes 207 antédiluviens et déglingués, cause de nombre d’accidents. Mais les « faux têtes » (sic) n’en ont cure, ils continuent de resquiller malgré la vigilance des contrôleurs, qui, eux, à voir leurs « façades » (visages), finissent par « bâiller », c’est-à-dire par en avoir marre.
En tout cas si, dans la pagaille, un lingalaphone vous parle d’un « danger » (parfois on entend « danzé »), pas de panique, il n’y a pas péril en la demeure. C’est une façon d’exprimer toute l’admiration qu’on a pour une femme, un homme que l’on trouve « grave » (superbe) ou pour un objet sortant de l’ordinaire, le top du top. Le « pétrole » désignant un produit rare et le « bord », un objet ou un bien quelconque… ou un sexe. Un « faux bord » étant une femme de petite vertu.
Méfiez-vous aussi du « six-neuf ». C’est un détraqué. Quant au « trente-trois tours »… Évidemment, nostalgie oblige, vous pensez sans hésiter à nos bons vieux vinyles. Erreur ! C’est un antimoustique de couleur verte en forme de spirale (et made in China) dont on allume l’une des extrémités pour qu’il dégage une fumée censée chasser les terribles bestioles.
Enfin, sachez que quand un Kinois, sciemment ou non, donne un faux rendez-vous, ses victimes ne font allusion à aucun lapin, mais n’apprécient pas, en revanche, qu’on leur ait mis un… « poteau ».
Vous avez l’embarras du choix, le franlingala est plus vivant que jamais.
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