RDC : un sommet nommé désir…
Du 12 au 14 octobre, Kinshasa accueille les délégations des 75 États et gouvernements de la Francophonie. Une première qui n’a pas été simple à mettre sur pied.
RDC : Mbote changement ?
Dans toute l’histoire de la Francophonie, jamais un sommet n’aura suscité autant d’attention ni cristallisé tant de tensions diplomatiques. « Depuis la première édition, en 1986, nous sommes allés dans toutes les régions francophones, mais jamais en Afrique centrale. Celle de 1991 devait se tenir à Kinshasa [cela n’a pas été le cas en raison de la crise dans le pays, NDLR], je suis donc heureux que ce projet aboutisse », explique Abdou Diouf, le secrétaire général de la Francophonie, qui se dit tout à la fois heureux et soulagé. Il y a de quoi, tant l’accouchement fut difficile. La lente agonie du Zaïre, la guerre dans une RDC sortant péniblement du chaos, puis une laborieuse reconstruction ont eu jusqu’alors raison d’une évidence démographique. Cet immense espace allant des forêts du bassin du Congo jusqu’aux savanes de l’Afrique australe, des côtes de l’océan Atlantique jusqu’aux rives du lac Tanganyika, est le pays francophone le plus peuplé au monde, avec plus de 70 millions d’habitants. Il se devait donc d’accueillir cette grand-messe. L’invitation a été finalement lancée par le président, Joseph Kabila, lors du précédent sommet de Montreux, sur les bords du lac Léman, en octobre 2010.
Sauf que depuis, les scrutins présidentiel et législatifs de novembre 2011 ont douché l’optimisme de Montreux. À l’Élysée, le président français, Nicolas Sarkozy, avait effacé le sommet de son agenda. Après sa victoire à l’élection présidentielle de mai 2012, François Hollande semblait être sur la même ligne que son prédécesseur. Depuis ses bureaux parisiens, avenue Bosquet, Abdou Diouf se mue alors en arbitre. « Un sommet de la Francophonie sans le chef de l’État français était impensable », reconnaît-il aujourd’hui. « L’inquiétude a été vive », ajoute un fonctionnaire de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Hollande reçoit Abdou Diouf
Début juillet, Raymond Tshibanda, le ministre congolais des Affaires étrangères, entreprend une tournée européenne. Et déclare à Jeune Afrique : « Hollande à Kinshasa, j’y crois. » Sauf qu’au même moment un communiqué du Quai d’Orsay dresse la liste des conditions : « des progrès concrets » dans le domaine des droits de l’homme et la transparence électorale. Le 7 juillet, dans son bureau du Palais de la nation, Joseph Kabila se fâche et laisse entendre qu’il préfère renoncer à cet événement plutôt que d’obtempérer aux oukases parisiens. « De toute façon, j’ai la guerre dans l’Est », conclut-il. Le 8 juillet, le réalisateur belge Thierry Michel, qui venait présenter son film sur l’affaire Chebeya, est refoulé à l’aéroport de Kinshasa. Aussitôt, Paris « regrette profondément » cette décision. Le 9 juillet, François Hollande reçoit à l’Élysée Abdou Diouf et lui rappelle ses exigences pour envisager un déplacement. Deux jours plus tard, le secrétaire général de la Francophonie rencontre à Bruxelles le président de l’Assemblée nationale congolaise, Aubin Minaku. « La balle est dans le camp congolais », explique un proche de Diouf.
Les précédents sommets africains de l’OIF
1989 3e – Dakar (Sénégal)
1995 6e – Cotonou (Bénin)
2004 10e – Ouagadougou (Burkina)
C’est durant cette séquence que le calendrier législatif congolais commence à se caler. Objectif : envoyer des signaux positifs. La réforme de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), tant décriée durant les scrutins de novembre 2011, est lancée. Elle doit conduire à l’éviction de son président, Daniel Ngoy Mulunda, dont la tête est demandée par les bailleurs de fonds du processus électoral. « Avec lui, nous savions que nous allions à la catastrophe », explique un ambassadeur en poste à Kinshasa. La création d’une Commission nationale des droits de l’homme est également promise. Ces deux lois doivent être votées tout prochainement.
De quoi rassurer et satisfaire Paris ? Apparemment oui. Le 27 août, le président français annonce qu’il se rendra au sommet de la Francophonie. Hollande vient, mais il prononcera, au Palais du peuple, un discours qui pourrait faire grincer quelques dents kinoises (à l’instar de sa récente déclaration sur la situation en RDC « tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie, et de la reconnaissance de l’opposition »), et rencontrera en tête à tête l’opposant Étienne Tshisekedi. Le 29 septembre, son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), a indiqué qu’il ne manquerait pas de donner de la voix pendant la durée du sommet « pour dire au monde » son refus du résultat de la présidentielle de novembre 2011. L’UDPS n’assistera pas à la cérémonie d’ouverture, mais appelle à une « journée ville morte » le 9 octobre et à une opération « occupation des rues » le 12.
De son côté, la présidence congolaise s’apprête, et cherche des appuis. Les présidents Jacob Zuma (Afrique du Sud), José Eduardo dos Santos (Angola) et Jakaya Kikwete (Tanzanie) – trois pays non membres de l’OIF – pourraient être les trois invités surprise. Quant aux équipes de l’OIF, elles mettent les bouchées doubles.
Ordre du jour
À l’ordre du jour, du 12 au 14 octobre : la situation internationale, la place de l’Afrique dans la gouvernance mondiale, l’environnement, le développement économique et bien évidemment la langue française. « Mais il va de soi que les chefs d’État parleront beaucoup de la crise malienne et de la situation en RDC », avance un proche collaborateur du secrétaire général de la Francophonie. À propos du Mali, au même moment à New York, les diplomates onusiens plancheront sur un projet de résolution prévoyant le déploiement d’une force internationale. Sur la situation en RDC, tous les regards seront braqués sur le Nord-Kivu. Le 1er octobre, les mutins du mouvement M23 ont menacé de prendre la ville de Goma. Pour entrevoir une sortie de crise, Abdou Diouf espère obtenir la présence du président rwandais, Paul Kagamé. Ce serait un joli coup pour une francophonie dont l’avenir se situe sur le continent.
En 2050, 85 % des francophones seront africains, soit 700 millions de personnes. « Si le sommet avait été reporté ou déplacé, cela aurait été un affront fait à l’ensemble du continent. La francophonie aurait en quelque sorte tourné le dos à son avenir », explique un responsable de l’OIF. « Et Kabila aurait tout misé sur les Chinois et les Sud-Africains pour le business », ajoute un opérateur économique français, qui reconnaît qu’un lobbying a été mené dans les bureaux des palais de la République. Ce dernier argument a convaincu notamment Stephen Harper, le Premier ministre du Canada, pays comptant quelques champions miniers. « François Hollande n’y a pas été non plus insensible », assure le même interlocuteur qui rappelle, entre autres, que le français Areva dispose en RDC d’une convention de prospection d’uranium.
Silencieux comme à son habitude, Joseph Kabila avait certainement évalué la force de ces différents paramètres. Dans la langue de Shakespeare, cela donne : business as usual.
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