France : hésitations sur le droit de vote des étrangers
Quand les étrangers voteront aux élections municipales, c’est que la majorité de gauche aura réussi à convaincre les deux tiers des parlementaires ou, à défaut, la majorité de l’opinion du bien-fondé de cette réforme. C’est encore loin d’être gagné.
Faut-il autoriser les étrangers à voter lors des élections municipales ? Oui, répondait sans ambages le candidat François Hollande. Dans son « agenda du changement », il fixait même une date limite pour la tenue de cet engagement : juin 2013 (le prochain scrutin aura lieu l’année suivante). La mesure était censée concerner tous les étrangers non communautaires résidant en France depuis au moins cinq ans. Oui, peut-être, rien ne presse, semble dire le président François Hollande. Son gouvernement cherchant manifestement à gagner du temps, l’incertitude gagne jusqu’aux rangs du Parti socialiste (PS). Conscient du danger, Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur, a tenté d’enrayer la spirale du doute. « Cet engagement doit être tenu », a-t-il plaidé le 20 septembre.
L’Europe entre pour et contre
L’Union européenne autorise les ressortissants de pays qui la composent à voter, s’ils le souhaitent, dans celui de leur choix. Dix-sept d’entre eux ont choisi d’étendre ce droit aux résidents non communautaires. Mais les modalités d’application diffèrent d’un pays à l’autre. Le Royaume-Uni n’autorise à voter que les citoyens des pays du Commonwealth. Le Portugal fait de même pour les lusophones, mais exige une durée minimale de résidence sur son territoire de deux ans. Même chose en Espagne, en Belgique, au Danemark, au Luxembourg, en Bulgarie, aux Pays-Bas, en Suède, en Finlande, en Lituanie, en République tchèque, en Estonie, en Hongrie, en Slovaquie et en Slovénie, où la durée de résidence exigée varie de quelques mois à cinq ans. Le pays le plus tolérant en la matière est l’Irlande, qui autorise à voter tout étranger justifiant d’une résidence dans le pays, sans limite dans le temps. Le Portugal et l’Espagne associent à cette condition de résidence une exigence de réciprocité du droit de vote dans le pays d’origine, le plus souvent une ancienne colonie (lire encadré). Hors de l’Union européenne, la Norvège, l’Islande et plusieurs cantons suisses autorisent eux aussi les non-nationaux à participer aux scrutins locaux. Outre la France, le « front du refus » se compose de l’Italie, où plusieurs projets de loi sont néanmoins à l’étude (à Milan, la mairie de gauche propose que les immigrés résidant dans la ville depuis au moins un an puissent voter), de l’Allemagne, en raison de l’inflexible opposition de la CDU d’Angela Merkel (le SPD y serait plutôt favorable), de l’Autriche (sauf à Vienne), de Chypre, de la Grèce, de la Lettonie, de Malte, de la Pologne et de la Roumanie. Marie Villacèque.
Le droit de voter aux élections locales est reconnu depuis 1998 aux ressortissants des pays membres de l’Union européenne. Le nombre d’électeurs non communautaires virtuels est estimé à 1,8 million. Si la mesure est finalement adoptée, les bénéficiaires pourront donc voter et être élus conseillers municipaux. Les fonctions de maire et de grand électeur (pour l’élection des sénateurs) leur resteront, en revanche, interdites
À droite, l’UMP n’a jamais eu une position unanime et immuable sur cette question. Nicolas Sarkozy, par exemple, a été tour à tour pour, puis contre. Là, elle tente de tirer profit des embarras socialistes – c’est de bonne guerre politicienne. Le 19 septembre, elle a lancé sur son site internet une pétition contre le vote des étrangers qui a déjà recueilli plus de 40 000 signatures. Principal argument : la menace d’éventuelles dérives communautaires. Claude Guéant, l’ancien ministre de l’Intérieur, avait donné le ton dès le mois de mars : « Nous ne voulons pas que des conseillers municipaux étrangers rendent obligatoire la nourriture halal dans les repas des cantines ou réglementent les piscines à l’encontre des principes de mixité. »
Peurs communautaires
L’argument est jugé « au mieux stupide, au pire odieux » par Pouria Amirshahi, député socialiste des Français de l’étranger : « A-t-on déjà vu, dit-il, des communautés religieuses françaises créer des listes communautaires ? » Quant à l’exigence de réciprocité entre les pays concernés évoquée par Sarkozy en 2008, elle ne convainc pas – mais ce n’est pas une surprise ! – Razzy Hammadi, député de la Seine-Saint-Denis et représentant de l’aile gauche du PS : « Je ne pense pas souhaitable de mettre en place un droit à géométrie variable. Cela signifierait que les étrangers originaires de pays non démocratiques ne pourraient jamais se voir accorder le droit de voter en France. »
Dans le passé, l’octroi de ce droit a souvent été évoqué par les socialistes. Sans suite, par crainte d’un rejet de l’opinion. François Mitterrand fut le premier à aborder la question. En 1981, la mesure figurait même dans son programme électoral. Elle n’a jamais été mise en oeuvre. Réélu en 1988, il finira par se faire une raison : « L’état de nos moeurs […] ne nous permet pas » d’engager une telle réforme. En 2000, l’Assemblée nationale vota une proposition de loi en ce sens, mais Lionel Jospin, alors Premier ministre, renonça à la soumettre au Sénat. Début décembre 2011, six mois avant la présidentielle, la réforme, tel un serpent de mer, ressortit des cartons… avant d’y retourner aussitôt. Un texte fut adopté par la nouvelle majorité de gauche au Sénat, mais n’a jamais été mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Si François Hollande paraît aujourd’hui marcher sur des oeufs, c’est que la Constitution lie explicitement le vote à la nationalité française. Et qu’il faudra donc la modifier. Qu’elle soit confiée au Congrès (qui réunit, à Versailles, l’ensemble des parlementaires, députés et sénateurs) ou qu’elle donne lieu à un référendum, l’opération s’annonce délicate. D’une part, le gouvernement ne dispose pas au Congrès de la majorité des trois cinquièmes requise ; de l’autre, seuls 39 % des Français, selon un sondage Ifop du 19 septembre, se déclarent favorables au vote des étrangers. Ils étaient 55 % dans ce cas en décembre 2011.
Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls.
© AFP
Droit de parole
Hollande ne risque-t-il pas d’être tenté, comme beaucoup d’autres avant lui, d’enterrer la réforme en douceur ? « Pas du tout ! proteste Pouria Amirshahi. Nous travaillons à obtenir une majorité au Congrès qui dépasse le clivage gauche-droite. » Ce dernier est signataire avec 74 autres jeunes parlementaires socialistes d’une tribune publiée le 18 septembre par le quotidien Le Monde exhortant le chef de l’État à tenir sa promesse. « Nous avons voulu mettre le sujet à l’ordre du jour, car l’affaire ne se réglera pas en un jour », explique Razzy Hammadi, l’un des initiateurs de l’opération.
Un coup d’éclat qui a agacé jusque dans les hautes sphères du PS. « Les cons ! », aurait grincé Manuel Valls, qui, dans un premier temps, avait estimé que cette mesure n’était ni « une revendication forte de la société française » ni un « élément puissant d’intégration ».
En l’absence de sondages (les statistiques ethniques sont interdites), difficile de savoir ce qu’en pensent les premiers concernés. Patrick, un Camerounais de 35 ans installé en France depuis onze ans (il est en formation banque-assurance), compte bien aller voter : « Les étrangers qui participent à la vie de la société en payant des impôts doivent avoir un droit de parole, mais la laïcité doit en être la condition. » Même son de cloche du côté d’Amal, 23 ans, assistante financière de nationalité tunisienne établie dans la banlieue parisienne depuis trois ans, qui reconnaît cependant que des « garde-fous » sont nécessaires. Pour Jean-Philippe, 22 ans, étudiant en économie ivoirien qui vit en France depuis très longtemps, « octroyer de nouveaux droits aux étrangers est toujours une étape difficile, mais le risque de dérives extrémistes est minime ».
Jean-Marc Ayrault, le Premier ministre, a promis qu’un projet de loi serait soumis au Parlement l’an prochain.
Quand le Maroc, le Burkina ou la Guinée montrent l’exemple
Seuls 8 pays africains (sur 54) accordent aux étrangers le droit de voter aux élections locales, certains sur la base de la réciprocité. C’est par exemple le cas du Cap-Vert (depuis 1997) et de la Guinée (1991). L’exemple le plus marquant est celui du Maroc, qui, sous l’influence de l’Espagne, a introduit ce principe dans l’article 30 de sa Constitution, en juin 2011. Sans appliquer la réciprocité, d’autres pays accordent le même droit à tous les étrangers, quelle que soit leur nationalité. C’est le cas du Burkina depuis 1993 avec une obligation de résidence de dix ans, du Rwanda depuis 2001 (un an minimum), de la Zambie depuis 1992 (trois ans) et de l’Ouganda depuis 1997. Le Malawi est le seul à autoriser le vote lors des élections nationales, mais il exige une résidence de sept ans. M.V.
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