Nigeria : Femi Kayode, nouveau maître du polar
Avec « Les colliers de feu », son premier roman, Femi Kayode choisit la voie du polar pour décrire le Nigeria d’aujourd’hui. Une intrigue brillamment menée, à la manière de Truman Capote.
C’était il y a un peu plus de dix ans, le 5 octobre 2012 à Port Harcourt, dans le sud du Nigeria. Quatre étudiants de l’université locale se rendent dans le quartier d’Aluu, proche du campus. Pour une raison qui n’a jamais vraiment été élucidée, on les soupçonne d’être venus voler ou faire chanter un habitant du quartier. La rumeur enfle, une foule se masse dans les rues et se saisit des garçons.
La suite a été filmée et a fait le tour des réseaux sociaux. Frappés à coups de poing, de pied et de bâton, dénudés, les quatre étudiants sont déjà plus morts que vifs lorsque leurs agresseurs leur passent des pneus autour du cou et y mettent le feu. La scène horrifie tout le Nigeria, et au-delà. Plusieurs dizaines de personnes sont arrêtées, jugées et condamnées, mais les véritables motifs de ce déchaînement de violence collective gardent, et garderont sans doute, une bonne part de mystère.
Lynchage
C’est ce fait divers qui sert de point de départ au premier volume des enquêtes de Philip Taiwo, Les Colliers de feu. De retour depuis peu au Nigeria après avoir passé des années aux États-Unis, ce criminologue tente de comprendre les circonstances d’un lynchage qui ressemble beaucoup à celui survenu à Port Harcourt.
Pour autant, précise l’auteur, Femi Kayode, la décision d’écrire une version romancée de cette tragédie n’a été ni évidente ni immédiate. « À l’époque, quand j’ai entendu parler de cette affaire, j’étais simplement triste, traumatisé, se souvient-il. Je m’apprêtais à retourner à la faculté pour suivre une formation en média et en écriture, mais je n’avais pas du tout en tête d’écrire un roman policier, encore moins à partir de ce drame. »
Une histoire purement nigériane
La première graine qui va le mener à l’écriture des Colliers de feu germe pourtant à la même période. Alors qu’il suit un cursus universitaire en Californie, celui qui vit encore essentiellement de son travail pour des agences de publicité décortique, en cours, l’un des monuments du polar américain : De sang-froid, de Truman Capote (1966). « J’ai adoré la façon dont il bâtissait une histoire criminelle totalement américaine, une intrigue dont on n’imagine pas qu’elle puisse se passer ailleurs qu’aux États-Unis. Ça m’a parlé, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive une histoire purement nigériane », explique Femi Kayode.
« Parallèlement, poursuit-il, même si je ne pensais pas encore à écrire sur l’histoire de Port Harcourt, je m’interrogeais déjà sur l’impact qu’une histoire vraie pouvait avoir sur un écrivain qui s’en emparait. Avec le livre de Capote, plane cette idée que l’auteur a en quelque sorte profité de l’horreur, de la misère des gens… »
C’est finalement à près de 50 ans que le Nigérian se lance dans la rédaction de ce qui deviendra son premier roman. En essayant, comme l’a fait Truman Capote avant lui, de décrire son pays tel qu’il est, de souligner ses spécificités. « Le Nigeria est trop souvent réduit à quelques clichés : Boko Haram, le poids de l’industrie du divertissement… Je voulais montrer que c’est un pays complexe, moderne, avec ses forces et ses faiblesses. »
Corruption, omerta et passe-droits
Parmi ses problèmes, l’argent du pétrole, l’hystérie qui se répand sur les réseaux sociaux, la précarité des conditions de vie sur les campus, le poids de la religion et la façon dont elle est instrumentalisée par les politiciens. La corruption, également, que l’auteur évoque à maintes reprises. Ainsi, lorsque son enquêteur, Philip Taiwo, est reçu par un fonctionnaire portant des vêtements « que son poste ne devrait pas lui permettre de s’offrir ». Mais, poursuit le narrateur, « montrez-moi un fonctionnaire nigérian qui ne vit pas au-dessus de ses moyens et je vous l’échangerai contre une licorne ».
Cette manière de décrire la réalité n’est pas sans évoquer Dashiell Hammett, le pape américain du polar hard-boiled, qui, dans La Moisson rouge, brosse en quelques phrases le tableau d’une cité au bord de l’explosion : « Le premier policeman que j’aperçus aurait eu besoin d’un coup de rasoir. Le second portait un uniforme minable auquel il manquait deux boutons. Un troisième se tenait au milieu du principal carrefour de la ville, dirigeant la circulation avec un cigare au coin du bec. »
La corruption, l’omerta, les passe-droits et les réseaux d’influence qui permettent de court-circuiter la police et la justice sont omniprésents dans Les colliers de feu. Un autre thème revient aussi, de façon frappante : celui du statut des Nigérians rentrés au pays après avoir passé quelques années à l’étranger, en particulier aux États-Unis. C’est le cas du héros du livre, et, dans une moindre mesure, de Femi Kayode lui-même.
Couleur de peau
« Personne ne m’appelle “l’Américain” dans la rue, comme on le fait à mon personnage ; d’ailleurs, en général, on me dit plutôt que j’ai un accent européen. Je n’ai pas dû vivre assez longtemps en Amérique, s’amuse-t-il. Mais il est vrai que beaucoup de nos compatriotes sont dans ce cas. Cela ne provoque pas de jugement négatif ni d’hostilité de la part des Nigérians restés au pays. Simplement, parfois, certains de ceux qui sont revenus affichent une sorte de complexe de supériorité, qui agace les autres. C’est un peu le cas de mon héros, et cela peut irriter des personnes qui vont essayer de le remettre à sa place. »
Une réinsertion parfois difficile, d’autant qu’il arrive qu’elle succède à d’autres mésaventures, vécues, cette fois, lors du séjour américain. Dans le roman, Philip Taiwo a passé de longues années en Amérique en compagnie de sa famille, jusqu’à ce que son épouse lui lance un jour : « Chéri, les garçons auront 15 ans cette année. J’aimerais qu’on parte avant qu’ils pensent n’être qu’une couleur de peau. »
« La femme de mon personnage ne veut pas que ses fils soient amenés à concevoir leur humanité à travers leur couleur de peau, explicite Femi Kayode. Quand vous êtes Nigérian, ou Africain en général, vous ne réalisez que vous êtes noir que lorsque vous vous rendez sur un autre continent. Chez vous, vous êtes un être humain, tout simplement. Il y a du racisme dans beaucoup de pays, mais, généralement, on vous désigne comme “un Africain”. Aux États-Unis, on vous désigne par votre couleur de peau. Vous êtes “noir”. Je pense que c’est ce qui en pousse plus d’un à regagner le continent, même si c’est une décision très difficile à prendre quand on a vécu longtemps en Amérique. »
Les colliers de feu – Une enquête de Philip Taiwo (2 autres tomes à venir), de Femi Kayode, éd. Les Presses de la Cité, 2022.
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