Israël – Iran : jusqu’où ira le poker menteur ?

À l’ONU, Benyamin Netanyahou semble avoir déclenché le compte à rebours d’une frappe contre les installations nucléaires de Téhéran. À moins que, d’ici là, un effondrement de l’économie iranienne, fragilisée par les sanctions, ne provoque la chute du régime.

Benyamin Netanyahou à la tribune de l’ONU, le 27 septembre. © Sipa

Benyamin Netanyahou à la tribune de l’ONU, le 27 septembre. © Sipa

perez

Publié le 16 octobre 2012 Lecture : 6 minutes.

Du discours tant attendu de Benyamin Netanyahou à la tribune de l’ONU, le 27 septembre, beaucoup ne retiennent que le grotesque dessin d’une bombe brandi par le Premier ministre israélien pour expliquer que l’Iran se rapproche dangereusement de son but ultime : l’arme atomique. Son explication, certes simpliste, a suscité l’amusement et inspiré sur la Toile de nombreuses répliques de la « Bibi Bomb ». Ses détracteurs l’ont analysée comme un nouvel exercice de communication politique aussi méprisant que ridicule, et sans réel fondement.

Pourtant, derrière ces appréciations mitigées, l’allocution de Netanyahou avait des allures d’ultimatum, comme si l’avertissement qu’il lançait à la communauté internationale était le dernier avant un passage à l’acte contre Téhéran. Il faut dire qu’après avoir maintes fois tiré la sonnette d’alarme, c’est bien la première fois qu’un leader israélien se risque à définir publiquement une « ligne rouge » sur le dossier du nucléaire iranien ; la première fois aussi qu’une échéance claire semble se profiler à l’horizon.

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L’équation israélienne est la suivante : d’ici au printemps prochain, si la République islamique ne renonce pas à ses activités d’enrichissement d’uranium, elle aura acquis suffisamment de combustible – soit 240 kg – pour fabriquer une bombe ou, plus exactement, faire un usage militaire de l’énergie nucléaire. C’est ce cap fatidique que Benyamin Netanyahou veut empêcher à tout prix l’Iran de franchir, quitte à précipiter l’État hébreu et son allié américain dans un conflit régional dévastateur.

Alarmisme

« Je n’ai jamais renoncé au droit d’Israël d’agir à tout instant, et ce droit est clair aux yeux de tous, confiera-t-il à la télévision israélienne au lendemain de son intervention remarquée à New York. L’Iran se trouve à un certain stade de ses activités d’enrichissement d’uranium, et j’ai transmis le message qu’il était hors de question que l’Iran puisse les mener à leur terme. Nous devons donc arrêter son programme nucléaire avant cela, ce qui, au rythme où vont les choses, ne nous laisse pas beaucoup de temps. »

Tout en maintenant un alarmisme de circonstance, le chef du gouvernement israélien estime avoir rempli ses objectifs en replaçant le dossier du nucléaire iranien au coeur des préoccupations internationales. Netanyahou est-il pour autant crédible et, surtout, a-t-il réellement l’intention de lancer son armée à l’assaut des centrales iraniennes ? Le ton employé le suggère, d’autant que, en fixant une période butoir au-delà de laquelle il sera trop tard pour neutraliser les ambitions nucléaires de Téhéran, le Premier ministre israélien engage plus que jamais sa crédibilité et, au passage, celle de son pays. Par conséquent, à moins d’un étonnant coup de bluff, le voici condamné à joindre in fine les actes à la parole.

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Secret bien gardé

Mais il existe une autre grille de lecture de la position israélienne. D’abord, les observateurs noteront que, en repoussant l’heure de vérité au printemps prochain, l’État hébreu éloigne le spectre de frappes préventives avant l’élection présidentielle américaine de novembre, longtemps redoutées par la Maison Blanche. « Des lignes rouges ne mènent pas à la guerre, elles servent à l’empêcher », a martelé Netanyahou à l’Assemblée générale de l’ONU. Dans le cas présent, elles lui seraient utiles pour rallier à sa cause l’administration américaine, en premier lieu le président Barack Obama, pour qui la voie diplomatique n’a pas encore été épuisée.

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Jusqu’ici, seul le candidat républicain Mitt Romney a ouvertement défendu l’idée d’une action militaire israélienne contre le régime iranien. Mais, dans son ensemble, l’appareil sécuritaire américain y reste fermement opposé. En témoigne la dernière étude du très sérieux magazine Foreign Policy, qui, à l’aide des têtes pensantes du Pentagone, démonte un à un les scénarios d’attaque d’une aviation israélienne dépourvue d’appui logistique ou de base arrière proche. De l’avis de très nombreux généraux américains, toute tentative serait vouée à l’échec où, du moins, ne causerait que des dommages limités aux installations nucléaires iraniennes pour une prise de risque maximale.

Le président Ahmadinejad dénonce une "guerre cachée" de l’Occident contre Téhéran.

© AFP

Parallèlement, tout semble indiquer qu’Israéliens et Américains sont engagés dans une partie de poker menteur. « Le partage de renseignements sur l’Iran est extraordinaire et sans précédent », affirme une source proche du dossier à Washington, tout en admettant une faille, et non des moindres : « Dès qu’il s’agit de plans d’attaque, les Israéliens ne nous communiquent rien. C’est leur secret le mieux gardé. » Du coup, bien que peu disposés à se retrouver engagés dans une nouvelle guerre après leurs délicates campagnes irakienne et afghane, les États-Unis n’ont d’autre choix que de se préparer au pire. En cas d’escalade, leurs troupes stationnées dans les régions du Golfe et du Caucase sont promises à une violente riposte iranienne. Le maintien de trois porte-avions près du détroit d’Ormuz ne paraît pas étranger à cette perspective.

Mais tandis que les spéculations vont bon train, une autre éventualité est évoquée avec insistance : un effondrement brutal de l’économie iranienne. Fortement dépendante du pétrole, celle-ci affiche pour la première fois des signes de fléchissement sous la pression des sanctions occidentales. Ainsi, à en croire un rapport interne du ministère israélien des Affaires étrangères, les exportations d’or noir auraient lourdement chuté au cours du premier semestre 2012, entraînant des pertes colossales évaluées à près de 50 milliards de dollars (environ 40 milliards d’euros). Ce manque à gagner pénalise directement les ressources budgétaires du gouvernement iranien.

Étranglement

Conjuguée à la hausse vertigineuse du chômage, à l’inflation galopante et à la dégringolade du rial à son plus bas niveau historique, cette nouvelle donne écorne sérieusement l’image d’une « économie de résistance » bâtie par les dignitaires du régime pour contourner les sanctions. Le président Mahmoud Ahmadinejad a, dans un premier temps, imputé la crise à une mauvaise gestion des autorités, suscitant des tensions internes qui se seraient cristallisées autour du soutien à la Syrie. Depuis le début de la révolte, pas moins de 10 milliards de dollars ont été accordés à Bachar al-Assad. Mais Ahmadinejad a fini par reconnaître, le 2 octobre, que son pays rencontrait des « difficultés » pour vendre son pétrole en raison de « la guerre cachée » menée par l’Occident contre Téhéran.

À l’évidence, la stratégie d’« étranglement » économique voulue par les Occidentaux semble enfin porter ses fruits. « Nous allons maintenant intensifier les sanctions », a promis un diplomate européen impliqué dans les négociations avec l’Iran, comme pour asséner le coup de grâce à son programme nucléaire. Désormais, Israël nourrit secrètement l’espoir de voir les Iraniens se retourner contre leur régime et, pourquoi pas, provoquer son renversement. « Les manifestations de l’opposition qui ont eu lieu en juin 2009 vont revenir avec plus de force, a prédit le chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman. Il va y avoir une révolution de la place Al-Tahrir à la mode iranienne. » 

La crainte d’un Tchernobyl iranien

Quels dégâts humains provoqueraient des frappes contre les centrales nucléaires iraniennes ? À cette question largement occultée par le débat public, un rapport scientifique américain donne pour la première fois des réponses alarmantes. D’après le Hinckley Institute of Politics, dans l’Utah, plus de 80 000 Iraniens pourraient être tués, blessés ou contaminés des suites d’un bombardement israélien. Pour le professeur Khosrow Semnani, qui a enquêté durant deux ans, le danger le plus grave proviendrait de la libération dans l’atmosphère de matières hautement toxiques qu’abritent les sites iraniens. Un risque démultiplié par le fait que la République islamique a dispersé ses installations nucléaires à proximité de grands centres urbains. Ainsi, à Bouchehr, considéré comme l’une des cibles prioritaires de Tsahal, les nuages radioactifs pourraient facilement atteindre les pays du Golfe, voisins de l’Iran. Les populations se retrouveraient alors exposées à des problèmes de santé similaires à ceux rencontrés après la catastrophe de Tchernobyl. M.P.

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