Côte d’Ivoire – Ghana : la guerre des nerfs continue

Entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, les relations sont depuis longtemps compliquées. On ne peut pas être si proches sans être aussi rivaux. Mais surtout, Abidjan ne pardonne pas à Accra d’héberger de virulents partisans de l’ancien président Gbagbo.

Camions bloqués au village d’Elubo, côté ghanéen de la frontière. © AFP

Camions bloqués au village d’Elubo, côté ghanéen de la frontière. © AFP

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Publié le 12 octobre 2012 Lecture : 7 minutes.

John Dramani Mahama avait tenté de se montrer rassurant. En visite à Abidjan début septembre, le tout nouveau chef de l’État ghanéen avait promis qu’il ne laisserait pas des partisans de Laurent Gbagbo monter un mauvais coup depuis le territoire ghanéen. Alassane Ouattara, avait-il poursuivi, ne devait pas s’inquiéter : son pays ne servirait pas de base arrière à des activités « subversives ».

Le 21 septembre pourtant, ce sont bien des assaillants venus du Ghana qui ont attaqué le poste-frontière de Noé, dans le sud-est de la Côte d’Ivoire – Alassane Ouattara en est convaincu. Le soir même, le chef de l’État ivoirien décidait de fermer la frontière : des opérations de déstabilisation seraient planifiées depuis le Ghana, qui héberge des anciens militaires ivoiriens, des cadres du parti de Laurent Gbagbo et plusieurs de ses fidèles. Les commandants Kacou Brou et Abéhi ainsi que le colonel Gouanou n’y ont-ils pas trouvé refuge ? Début août, les renseignements ivoiriens avaient déjà soupçonné les deux premiers de préparer un coup d’État. Pour ne rien arranger, Abidjan a engagé un bras de fer avec Accra pour obtenir l’extradition de plusieurs fidèles de l’ex-président ivoirien dont celle de son ancien porte-parole Justin Koné Katinan, inculpé de « crimes économiques » et de « crimes de sang » dans son pays.

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Et pour quelques (millions) de barils en plus

Entre Accra et Abidjan, le pétrole aussi pose problème. Depuis longtemps, les deux pays sont en désaccord sur le tracé de leur frontière maritime. Ils avaient donc décidé de ne pas exploiter les nappes qui pourraient se trouver dans la zone litigieuse (voir infographie).

Le Ghana, pourtant, a fini par passer outre et a accordé des permis d’exploration dans la zone. Tout se complique quand, en 2010, l’irlandais Tullow Oil annonce la découverte d’un gisement offshore sur le champ de Tweneboa. Les sommes en jeu sont considérables, les experts estimant qu’il y aurait là plus de 1 milliard de barils. Accra et Abidjan décident alors de la mise en place d’une commission bilatérale pour régler le différend, mais les premières réunions d’experts achoppent sur les critères techniques retenus pour la délimitation de la frontière. P.A.

En octobre 2011, les présidents Ouattara et Atta Mills avaient réitéré leur souhait de régler le problème à l’amiable. « Mais avec le décès du président ghanéen en juillet dernier et la perspective d’une nouvelle élection, les discussions sont au point mort, explique l’un des négociateurs. Une fois le scrutin passé et la passion sécuritaire retombée, ils devraient reprendre les pourparlers. Si la volonté politique est là, on pourrait s’accorder sur la mise en oeuvre d’une zone d’exploitation commune dont il restera à définir le contour et à répartir les retombées. »

Pour Mahama, cette crise survient au plus mauvais moment. Porté à la présidence le 24 juillet dernier après le décès brutal de John Atta Mills, il est le candidat du Congrès national démocratique (NDC) à la présidentielle du 7 décembre. Pour l’instant, son principal adversaire, Nana Akufo-Addo, candidat du Nouveau Parti patriotique (NPP), n’a pas exploité ce soudain refroidissement avec Abidjan. Mais Mahama doit éviter tout faux pas. Si la défaillance de ses services de sécurité était avérée ou si lui, le chef de l’État, décidait d’interférer dans des questions qui sont du ressort de la justice, les critiques pourraient fuser. Au Ghana, la séparation des pouvoirs entre exécutif et judiciaire est très nette. Les pro-Gbagbo ont introduit des demandes d’asile politique et bénéficient de titres de séjour provisoires, ce qui complique une éventuelle extradition. En définitive, Accra s’offusque autant de l’insistance des Ivoiriens qu’Abidjan peine à comprendre les réticences des Ghanéens.

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Sécurocrates

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Certes, le 26 septembre, à la tribune des Nations unies, Mahama a de nouveau affirmé qu’il n’accueillerait « aucun individu ou groupe ayant l’intention d’utiliser le Ghana comme une base d’opérations destinées à saper la sûreté et la sécurité d’une autre nation ». Ouattara et lui se parlent d’ailleurs régulièrement au téléphone. « Leurs relations sont plutôt bonnes, reconnaît un proche du président ivoirien. C’est en dessous que cela ne fonctionne pas : les services de sécurité ghanéens n’ont pas encore coupé les ponts avec les anciens sécurocrates de Gbagbo et ne ­coopèrent pas franchement. » À Abidjan, on s’inquiète notamment de l’influence qu’a conservée Jerry Rawlings sur l’appareil sécuritaire ghanéen et du soutien que l’ex-président pourrait apporter aux exilés comme Charles Blé Goudé, l’ancien leader des Jeunes patriotes ivoiriens. Présent au mariage de l’une des filles du couple Gbagbo, Rawlings n’a jamais caché sa sympathie pour le président déchu. Il s’est indigné quand il a été capturé, en avril 2011, et a dénoncé son transfert à La Haye. Dans l’entourage de Ouattara, on évoque aussi les réseaux religieux pentecôtistes, très puissants dans le sud du Ghana et qui sont autant de relais d’opinion pour les exilés ivoiriens.

Le Ghana aurait-il délibérément manqué à sa parole pour des raisons quasi « sentimentales » ? C’est aller un peu vite en besogne. « Qu’il y ait des affinités, c’est une chose. De là à dire qu’elles peuvent influer sur la position ghanéenne, je ne crois pas », estime Franklin Cudjoe, directeur du think-tank Imani, à Accra. Mais Mahama peut-il contrarier l’influent Jerry Rawlings alors que celui-ci n’a pas encore dit s’il allait soutenir le candidat du NDC à la présidentielle ? Peut-il lui préférer son épouse, Nana Konadu Rawlings, qui pourrait également se lancer dans la course ?

Quoi qu’il en soit, les ressorts psychologiques de la crise ivoiro-ghanéenne sont anciens. Entre Félix Houphouët-Boigny et Kwame Nkrumah, les relations étaient exécrables. Le chef de l’État ghanéen effectua sa première visite en Côte d’Ivoire en avril 1957, alors qu’elle était encore dans le giron français. Auréolé du prestige de celui qui a conduit son pays à l’indépendance (proclamée le 6 mars 1957), Kwame Nkrumah afficha ses divergences de vues avec Houphouët-Boigny, partisan du maintien d’un lien fort avec l’ancienne puissance coloniale. Le contentieux s’aggrava à partir de 1959, quand le président ivoirien accusa son voisin d’héberger les indépendantistes du Sanwi.

Entre Félix Houphouët-Boigny et Kwame Nkrumah, les relations étaient exécrables.

Zizanie

La discorde perdura jusqu’au renversement de Nkrumah, en 1966. Ensuite, Abidjan s’est inquiété de la multiplication des coups d’État (1966, 1972, 1979 et 1981) et de la montée en puissance du lieutenant Rawlings, alors considéré comme un dangereux révolutionnaire communiste. À l’époque, c’est le président ghanéen qui accuse la Côte d’Ivoire d’héberger les opposants à son régime.

Des années plus tard, c’est le sport qui va de nouveau semer la zizanie. Le 1er novembre 1993, l’Asec Abidjan affronte l’Ashanti Kotoko en demi-finale de la Coupe d’Afrique des clubs champions. À Kumasi, au Ghana, où se joue le match, les supporteurs ivoiriens sont pris à partie. Du coup, à Abidjan, les Ghanéens sont victimes d’une véritable chasse à l’homme et plusieurs milliers d’entre eux sont évacués.

Après septembre 2002, le président John Kufuor et son ministre des Affaires étrangères, Akufo-Addo (qui parle parfaitement le français), s’impliquent personnellement dans la résolution de la crise ivoirienne en organisant les pourparlers entre la rébellion et les leaders politiques à Accra. En 2011, sollicité par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) lors de la crise postélectorale, John Atta Mills privilégie la solution diplomatique et s’oppose à l’envoi de troupes régionales en Côte d’Ivoire. On murmure alors qu’il doit beaucoup à Gbagbo, qui l’aurait aidé financièrement à mener campagne pour l’élection présidentielle.

Alassane Ouattara (à g.) et John Dramani Mahama s’entendent plutôt bien. C’est entre leurs services de sécurité que le courant passe mal.

© AFP

Frauduleux

Après le 11 avril 2011 et l’arrestation de Gbagbo, Atta Mills va toutefois aider Paul Yao N’Dré, le président du Conseil constitutionnel ivoirien, à rentrer à Abidjan pour légitimer le nouveau chef de l’État. Ouattara apprécie le geste et se rend au Ghana dès le mois d’octobre pour resserrer les liens. Sont à cette occasion évoqués le projet d’autoroute entre Abidjan et Accra, les passages frauduleux de cacao entre les deux pays, la coopération dans le domaine agricole et la sécurisation de la frontière terrestre. Ouattara souhaite faire de son voisin un allié, d’autant que la Côte d’Ivoire et le Ghana sont tous deux riches en hydrocarbures et en cacao. Fini les années postindépendance où l’on se voyait en concurrents ; fini l’époque où le Ghana était le premier producteur mondial de fèves et où Nkrumah rêvait de surpasser économiquement la Côte d’Ivoire.

Aujourd’hui, le Ghana a rattrapé son retard pendant que la Côte d’Ivoire se perdait dans une interminable crise politique. Les investisseurs y affluent, les activités se développent et le pays s’équipe en infrastructures. Depuis 2010, l’exploitation du pétrole lui offre de nouvelles perspectives, même si, là encore, les deux pays ont trouvé de quoi aiguiser leur rivalité (lire encadré).

Dans le cacao, l’heure est à la coopération. Des experts réfléchissent à la manière d’harmoniser les politiques en vigueur. À eux deux, le Ghana et la Côte d’Ivoire représentent plus de 60 % des exportations mondiales. Une Bourse des produits agricoles est même à l’étude, et le Nigeria y serait associé. « On attend les résultats de la présidentielle pour dynamiser la coopération, conclut un ministre ivoirien. Mais rien ne pourra se faire si le pouvoir ghanéen ne nous aide pas à régler nos problèmes de sécurité. » 

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Par Pascal Airault, avec Vincent Duhem

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