Exposition : mon cheveu, ma bataille

Une manifestation au musée du Quai Branly et un beau livre explorent les significations politiques, sociales, religieuses ou métaphysiques des modes capillaires dans le monde entier. Original.

Série Hair Style du Nigérian J.D.’Okhai Ojeikere, dédiée aux coiffures des Nigérianes. © J.D.’Okhai Ojeikere

Série Hair Style du Nigérian J.D.’Okhai Ojeikere, dédiée aux coiffures des Nigérianes. © J.D.’Okhai Ojeikere

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 10 octobre 2012 Lecture : 6 minutes.

Frisés ou défrisés, ordonnés ou en bataille, colorés ou naturels, raides ou rebelles, tantôt gominés, tantôt rasés ou tout bonnement absents, les cheveux se prêtent – avec plus ou moins de bonne volonté – à tous nos caprices. Choisir la raie au milieu, le chignon, la boule à zéro, les anglaises, la brosse, la permanente, les tresses ou l’accroche-coeur témoigne de notre état d’esprit, de notre humeur, de nos goûts, mais peut aussi revêtir bien des significations – politiques, sociales, religieuses, métaphysiques… Avec un certain courage, le musée du Quai Branly (Paris) s’est essayé à débroussailler le sujet et propose, jusqu’au 14 juillet 2013, une exposition intitulée « Cheveux chéris, frivolités et trophées », sorte de promenade esthétique dans la brousse capillaire.

Curiosités

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Le fil directeur ? Difficile de le trouver… Le commissaire de l’exposition, Yves Le Fur, écrit d’ailleurs en préambule : « La multiplicité des mises en oeuvre des cheveux et des coiffures crée un miroitement quasi infini d’agencements, autant que d’individus, qui pourtant se fige en conformités suivant des prescriptions d’ordre social, politique, religieux. Si le cheveu est une réalité naturelle et individuelle, les sociétés et les groupes à l’intérieur des sociétés en font en effet un vecteur de leurs représentations, différenciations et classifications. Ils en affichent la norme, voire sa contestation. » Dans un langage moins ampoulé, un peu plus loin : « Le crâne rasé peut dire le moine, le bonze ou le skinhead. » On pourrait ajouter : le militaire, le prisonnier, le jeune entrant dans l’âge adulte chez certaines populations…

C’est donc essentiellement pour le plaisir des yeux que l’on déambulera dans la mezzanine du musée ou que l’on tournera les pages du beau catalogue édité pour l’occasion. Si beaucoup de sujets y sont effleurés – les rites initiatiques, la mode, la vieillesse, la maladie, la religion, etc. -, aucun n’est réellement approfondi. Les raccourcis sont parfois même extrêmement brutaux et dépourvus de sens, notamment quand le spectateur passe d’un film sur l’humiliante tonte des femmes pour collaboration en France, en 1944-1945, à une très belle photo de l’écrivain William Burroughs saisi à la fin de sa vie par Annie Leibovitz…

Mieux vaut en prendre son parti et se contenter d’apprécier l’inventivité des hommes en matière de kératine. De ce point de vue, il y en a pour tous les goûts ! Un peu à la manière d’un gigantesque cabinet de curiosités, le parcours proposé par le musée offre de belles et étranges découvertes promptes à enflammer l’imagination, entre Éros et Thanatos.

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Les Bouffant Belles, athlètes texanes réputées pour leurs performances et leur coiffure, qui permettait de « mieux courir en empêchant les cheveux battus par le vent de revenir sur le visage. »

© Neil Barr

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Sortie du bronze grâce au sculpteur Charles Cordier (1827-1905), une femme noire coiffée de courtes dreadlocks, poitrine saillante, jette un regard hautain et troublant sur les visiteurs. Plus loin, une sublime métisse « tagalo-chinoise » photographiée aux Philippines à la fin du XIXe siècle jette au temps le défi de sa beauté. Sculptures du quotidien, les coiffures photographiées en noir et blanc par le Nigérian J.D.’Okhai Ojeikere donnent un aperçu de l’immense créativité humaine dans le domaine de l’apparat… Les plus fétichistes apprécieront les boucles blondes d’une certaine Emma, coupées avant d’entrer au couvent et achetées aux puces de Saint-Ouen par André Breton, ou encore une épingle à cheveux ayant appartenu à une victime du célèbre serial killer français Henri Désiré Landru.

Scalps

Bien entendu, les divers usages du cheveu sont aussi présentés à travers des objets venus de tous les continents, tirés pour la plupart des collections du musée. Coiffe du Congo composée de cheveux, de terre, de pigments et de fibre végétale, coiffe de chef fang du Gabon décorée de boutons blancs, ornements de coiffure jivaro (Équateur) alliant mèches noires et plumes de toucan rouge et jaune, parure de jeune fille d’Ouzbékistan en tresses, soie et fils dorés, col de chemise indienne d’Amérique du Nord… vraisemblablement assorti de scalps d’ennemis tués au combat, tout comme ceux ornant cette tunique de chef sioux venue du Dakota (États-Unis). La mort n’est jamais loin, et les cheveux, réputés imputrescibles, se parent de pouvoirs magiques divers. Les scalps disent la valeur guerrière d’un homme, les ceintures en cheveux des Jivaros « sont utilisées comme talismans protecteurs », les fibres employées dans les parures, les statues, les bijoux, les masques peuvent relier les vivants aux ancêtres morts… Cette momie du Pérou, cette tête momifiée en Égypte et couverte d’or doivent en partie à leurs cheveux leur troublante présence – miroir déformant mais clairvoyant de ce qui nous attend.

Fascination ambiguë

De ce capharnaüm jouissif qui semble sorti des fantasmes d’un collectionneur obsessionnel, le travail du photographe Samuel Fosso (voir J.A. no 2478) émerge comme l’un des plus politiques. Dans sa série African Spirits (2008), l’artiste né au Cameroun se glisse dans la peau d’Africains célèbres, héros des indépendances ou du mouvement américain des droits civiques, comme Mohammed Ali, Martin Luther King, Malcolm X, Nelson Mandela, Haïlé Sélassié ou encore Angela Davis. Pour ce faire, il revêt bien sûr les costumes de ses personnages, mais adapte aussi sa coupe de cheveux – arborant ainsi une superbe tignasse « afro » pour devenir la célèbre militante. Cette dimension politique du cheveu africain, peu développée au musée du Quai Branly, est au coeur du livre de la journaliste française Katell Pouliquen intitulé Afro, une célébration.

Samuel Fosso rend hommage aux héros des indépendances africaines ou du mouvement des droits civiques. (Au premier plan : sainte Marie-Madelaine, dont les cheveux de séductrice vont se transformer, après sa conversion, en bure de pénitente.)

© Gautier Deblonde/Musée du Quai Branly

Richement illustré, proposant de constants allers-retours entre passé et présent, entre l’Afrique, le Nouveau Monde et le Vieux Continent, voguant allègrement entre arts – musique, danse, arts plastiques – et revendications identitaires, le livre part d’une simple coiffure pour raconter l’histoire d’une émancipation – de la Harlem Renaissance au Black Power, de Martin Luther King à Michelle Obama, de Miles Davis à Oxmo Puccino. Et loin d’en rester là, l’auteur prolonge la réflexion pour montrer non seulement comment les cultures s’interpénètrent et se fécondent, mais aussi comment le marketing et la mode digèrent tous les mouvements rebelles pour les recracher, bien souvent, en une bouillie fade et inoffensive. Dessinant « les contours d’une vivifiante histoire collective », Afro, une célébration envisage aussi « les pièges de l’exotisme et des bonnes intentions, la fascination ambiguë pour le corps noir et ses représentations parfois équivoques ».

Au bout de la visite, au bout de la lecture, un seul constat : ni l’exposition ni le livre n’épuisent le sujet. Gageons qu’ils auront une riche postérité.

Dans l’ "hair" du temps

En 1949, le Nigérian J.D.’Okhai Ojeikere a 19 ans. Sur les conseils d’un voisin, il achète un appareil Brownie D et se lance dans la photographie. Talentueux, il travaille pour la West Africa Publicity pendant plus de dix ans avant de créer son propre studio, Foto Ojeikere, en 1975. Mais dès 1968, il se lance dans un long processus : faire entrer toute la culture nigériane dans la petite boîte noire d’un Rolleiflex 6×6. Pour ce faire, il traverse le pays de long en large, approfondissant des recherches qu’il organise par thèmes. Hair Style rassemble près de 1 000 clichés de coiffures arborées par des femmes nigérianes au quotidien. Comme l’écrit André Magnin, qui le représente : « Son oeuvre, aujourd’hui riche de milliers de clichés, constitue, par-delà le projet esthétique, un patrimoine unique à la fois anthropologique, ethnographique et documentaire. »  N.M.

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