Cameroun : mesure et démesure de la Justice

Marafa Hamidou Yaya a été condamné à vingt-cinq ans de prison pour détournement de fonds. © AFP

Marafa Hamidou Yaya a été condamné à vingt-cinq ans de prison pour détournement de fonds. © AFP

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 3 octobre 2012 Lecture : 3 minutes.

Si la justice consiste à mesurer la peine et la faute puis à adapter la première en fonction de la seconde, il n’est pas sûr qu’elle ait trouvé au Cameroun sa meilleure illustration. La condamnation le 22 septembre à l’aube par le tribunal de grande instance du Mfoundi de l’ancien ministre de l’Administration territoriale Marafa Hamidou Yaya et de l’ex-patron de la Camair Yves Michel Fotso à vingt-cinq ans de prison ferme pour détournement de fonds publics laisse pantois tant le verdict apparaît disproportionné au regard de la jurisprudence appliquée en la matière par les États de droit.

À titre de comparaison, aucun des condamnés de l’affaire Elf en France n’a écopé de plus de cinq ans de détention. Depuis le début de l’opération de lutte anticorruption Épervier, une forme de justice extrême, parfois proche de l’extrême injustice, est à l’oeuvre au Cameroun, avec des verdicts couperets où les peines de dix, vingt, trente, quarante ans, voire la perpétuité, tombent comme une lame de guillotine à l’issue de procès systématiquement contestés tant par les avocats des prévenus que par les organisations de défense des droits humains. Le plus souvent, l’appel alourdit la sentence et les maintiens en détention après exécution de la peine – sous prétexte de l’ouverture d’une autre procédure – ajoutent au malaise et au côté absurde de l’affaire.

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Si la justice, en tant qu’institution, fonctionne à plein régime au Cameroun à en juger par le nombre des condamnations, elle a, en tant que concept, pris beaucoup de plomb dans l’aile. Comment expliquer autrement qu’aucun sursis, aucune remise de peine, aucune mise en liberté provisoire et aucune grâce présidentielle n’ait jamais été accordé dans le cadre de cette opération ? Le tableau de chasse de l’épervier, qui a pris dans ses serres un ancien Premier ministre, deux ex-secrétaires généraux de la présidence, une demi-douzaine de ministres en disgrâce et une cohorte de directeurs généraux de sociétés d’État, est certes impressionnant.

À trop chercher l’exemplarité, la justice camerounaise n’échappe pas au soupçon d’instrumentalisation politique.

Chaque arrestation, chaque condamnation se fait sous les vivats d’une partie de l’opinion, qui a trouvé dans le spectacle de la déchéance des puissants un exutoire à ses frustrations quotidiennes. À la limite, les peines infligées sont jugées trop clémentes tant est grande la soif de vengeance contre des hommes (et des femmes) dont la fortune rimait souvent avec une forme d’arrogance. Mais à trop chercher l’exemplarité, la justice camerounaise n’échappe pas au soupçon d’instrumentalisation politique, et à frapper trop lourdement, elle s’expose à ce que les justiciables – en l’occurrence, le peuple camerounais – exigent toujours plus de têtes sur l’air bien connu du « tous pourris ». De ce jeu pervers, la fragile démocratie camerounaise pourrait ne pas sortir vainqueur.

Bien sûr, au Cameroun comme ailleurs, ce n’est pas la justice qui rend la justice. Ce sont des juges, femmes et hommes sensibles aux pressions, à l’air du temps et capables de commettre des erreurs. À cette nuance près que, lorsqu’il s’agit de prison, l’erreur est forcément inhumaine. Raison de plus pour que, après six années de justice d’exception et de justice-spectacle, on en revienne à un fonctionnement serein, équitable et ordinaire de cette institution. Ferme certes avec les puissants, tous les puissants, mais mesurée dans ses sentences. L’opération Épervier doit laisser la place à un fonctionnement dépassionné de l’État de droit. Faute de quoi, à force de réclamer toujours plus de chair, le rapace changera de nature. Il deviendra vautour. 

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