Mali : opération Tombouctou

Une intervention internationale dans le Nord-Mali paraît inéluctable. Prendra-t-elle la forme de frappes ciblées ou d’une guerre conventionnelle ? Quels sont les moyens mis en oeuvre, les stratégies envisagées et les pays volontaires pour prêter main-forte à l’armée malienne ?

Éléments de l’armée malienne près de Mopti, en août 2012. © Marco Gualazzini/The New York Times

Éléments de l’armée malienne près de Mopti, en août 2012. © Marco Gualazzini/The New York Times

Christophe Boisbouvier

Publié le 5 octobre 2012 Lecture : 7 minutes.

Ce 26 septembre, à l’Assemblée générale de l’ONU, à New York, ils ont sonné la charge. « Nous sollicitons l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité pour la mise en place d’une force militaire internationale », a déclaré Cheick Modibo Diarra, le Premier ministre malien, tandis que François Hollande, le président français, reconnaissait que « la situation dans le Nord-Mali [était] insupportable, inadmissible, inacceptable », qu’il n’y avait « pas de temps à perdre ». Si les négociations échouent, la guerre se profile donc. À quelle échéance ? Dans le scénario express, le Conseil de sécurité vote un texte d’ici à la mi-octobre et la force internationale se déploie fin 2012. Dans le scénario au long cours – relayé par un diplomate américain à New York -, l’intervention militaire met « des mois, voire un an » à se matérialiser. Pronostic d’un conseiller militaire français : « Pour la mise en place de cette force, il faut compter entre quatre et six mois. »

Le premier écueil, c’est l’armée malienne. Depuis le putsch du 21 mars à Bamako et la déroute du 31 mars à Gao, d’où elle s’est enfuie sans combattre, cette armée est en mille morceaux. De nouveaux équipements sont attendus. La vingtaine de blindés qui étaient bloqués dans le port de Conakry doivent enfin être acheminés dans la capitale malienne. « Mais le vrai problème, c’est celui du commandement », confie le conseiller militaire. « La junte n’est pas l’élite de l’armée, ajoute un expert malien. Elle a écarté beaucoup de personnes compétentes, uniquement parce qu’elle n’avait pas d’affinités avec elles. »

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La restructuration de cette armée est donc prioritaire. Premiers concernés : les quelque 2 000 soldats regroupés à Sévaré, sous le commandement du colonel Didier Dacko. Jusqu’à présent, les experts militaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) n’ont pas eu accès à cette base toute proche de l’aéroport de Mopti – doté d’une piste de 3 000 mètres. Quatre officiers supérieurs de la « Force en attente » de la Cedeao espèrent être autorisés à s’y rendre début octobre pour évaluer l’état des troupes. Le deuxième écueil, c’est le financement de l’opération. Aboudou Touré Cheaka, le représentant spécial de la Cedeao à Bamako, est lucide. « La France, l’Europe, les États-Unis et tous les autres contributeurs traditionnels ont besoin de temps pour mobiliser les moyens. Il ne faut pas oublier que c’est la crise. Si les Maliens n’avaient pas tergiversé, on aurait pu gagner plusieurs mois », assure-t-il.

Le troisième écueil, c’est bien sûr la constitution d’une force africaine d’environ 3 100 hommes, la future Mission de la Cedeao au Mali (Micema). À l’origine, il y a quatre mois, tout le monde était partant. Mais, depuis, la Côte d’Ivoire et le Liberia se sont désistés – il est vrai qu’ils font face à de sérieux problèmes intérieurs. Restent surtout trois pays, le Niger, le Nigeria et le Togo, qui sont prêts à fournir 600 hommes chacun (500 pour un bataillon d’infanterie, 100 pour une force de police). Le Bénin, le Burkina et le Sénégal promettent également d’envoyer chacun une unité – 100 à 500 hommes, selon les pays.

Hors Cedeao, le Tchad semble d’accord pour contribuer à cette force. Analyse du conseiller militaire français : « L’armée tchadienne est solide. Elle a l’habitude de combattre dans le désert. Et n’oubliez pas son potentiel aérien [six avions bombardiers Soukhoï et trois hélicoptères d’attaque MI-17 et MI-24, NDLR]. Il peut être précieux. » La Mauritanie, en revanche, renonce. Pour les stratèges de l’opération, c’est évidemment une mauvaise nouvelle, mais le président Mohamed Ould Abdelaziz juge prioritaire le contrôle de son propre territoire. Si les jihadistes tentent de se réfugier dans le désert mauritanien, il bouclera sa frontière. Pour la Micema, c’est déjà une bonne chose.

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L’Algérie soulève beaucoup plus d’interrogations. Selon les services de renseignements occidentaux, le carburant et la nourriture des jihadistes viennent en très grande partie de Tamanrasset. « C’est la source d’une totale incompréhension, souffle un diplomate français. C’est presque de la bienveillance et du soutien. En cas de conflit, nous espérons que les Algériens maintiendront un dispositif fort à leur frontière pour faire barrage aux islamistes. »

Soutien logistique

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Que feront les Occidentaux ? « Notre soutien s’effectuera sur le plan logistique, simplement sur le plan logistique », affirme François Hollande. Pas si simple. Bien sûr, les avions gros-porteurs nigérians ne suffiront pas à acheminer toutes les troupes. L’US Air Force et l’armée de l’air française seront mises à contribution. Les Américains et les Français joueront aussi un rôle capital dans le renseignement et les attaques ciblées. À côté du satellite et du gros avion Breguet Atlantic, le drone est un vecteur efficace pour espionner l’adversaire. C’est aussi une arme redoutable pour procéder à des assassinats ciblés, comme on le voit au Pakistan et au Yémen. Depuis quelques mois, les Américains déploient des drones et des petits avions de reconnaissance de type Pilatus – une vingtaine au total – dans la sous-région, notamment à Ouagadougou. Et les Français ? Dans leur arsenal, ils n’ont que quatre drones – « Nous avons un trou capacitaire », reconnaît un officier de l’état-major à Paris. Et, à la différence de leurs cousins américains, les drones français ne sont pas équipés d’armes et ne font que de la surveillance.

« Nous n’avons pas du tout l’intention d’avoir des troupes au sol », jure Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères. Il n’empêche. Quelque 80 membres des forces spéciales équipés d’hélicoptères de combat circulent entre la Mauritanie, le Burkina et le Niger. Leur priorité : les six otages français aux mains d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Depuis 2010, ces forces sont déjà intervenues à trois reprises pour tenter de libérer des otages dans le Nord-Mali. A priori, elles ne participeront pas aux opérations antijihadistes. Mais qui sait ?

La crainte des services de renseignements: un raid kamikaze sur un bâtiment public ou un hôtel de la sous-région.

Frappes ciblées ou attaque conventionnelle ? C’est la question. Pour reconquérir le Nord, les stratèges ont deux options : lancer des drones tueurs sur quelques chefs jihadistes – « À Gao et à Tombouctou, on sait où ils logent ; quand ils se déplacent, on les suit à la trace car, dans le désert, tout est apparent… » -, ou bien mener une triple offensive pour prendre l’adversaire en tenaille. Dans cette seconde option, deux « colonnes Dacko » partiraient de Sévaré vers Gao et Tombouctou. Sur leur flanc gauche, la « colonne Ould Meidou » – du nom du colonel dont les quelque 600 hommes se sont réfugiés un temps en Mauritanie et stationnent aujourd’hui au camp de Nkorobougou, près de Koulikoro – roulerait vers Tombouctou. Et sur leur flanc droit, la « colonne Ag Gamou » – du nom du colonel réfugié au Niger avec 400 hommes – marcherait sur Gao. Les bataillons étrangers interviendraient en appui.

À vrai dire, les deux options peuvent se compléter. Pronostic de l’expert malien : « Si on arrive à infiltrer des hommes à Gao et à Tombouctou et si on peut éliminer deux ou trois têtes jihadistes, ça peut changer beaucoup de choses. Qui sait si les islamistes d’Ansar Eddine ne changeront pas de camp ? Dans ce cas, il n’y aura peut-être pas besoin de tous ces bataillons pour reconquérir le Nord. Cela dit, il faudra des effectifs pour tenir ensuite le terrain reconquis. »

400 combattants fanatisés

Quelle est la capacité de riposte des jihadistes ? « Leur principale force, c’est la mobilité », estime un membre de l’état-major de la Micema. Les 3 000 à 4 000 hommes qui occupent le Nord-Mali, dont un noyau dur de 400 combattants fanatisés, disposent de nombreux pick-up équipés de mitrailleuses 12.7 et 14.5. « Une 14.5, quand ça vous prend une colonne, ça fait du dégât », note le conseiller militaire français. En revanche, les jihadistes ont curieusement des problèmes de munitions. « C’est parce qu’ils tirent à tout bout de champ, commente une source proche d’un service de renseignements occidental. En ce moment, dans le Nord-Mali, les prix des munitions montent en flèche. » Ont-ils des missiles sol-air ? « Sans doute. Après le pillage des arsenaux de Kadhafi, on a retrouvé beaucoup de SA-7 sur les "marchés" de la sous-région. En revanche, les SA-18 ont disparu. Ce n’est pas bon signe. Aqmi se serait procuré aussi quelques missiles Anza MK-II de fabrication pakistanaise. »

Le colonel Didier Dacko au milieu de ses hommes, dans la région de Sévaré.

©Marco Gualazzini/The New York Times-Redux-Rea

Surtout, les groupes jihadistes du Nord-Mali représentent une menace terroriste pour les grandes villes du Sahel, qui sont vulnérables. En janvier 2011, Aqmi a enlevé deux Français à Niamey. En février de la même année, elle a failli faire exploser une voiture piégée devant l’ambassade de France à Nouakchott. Dans quelques jours, à la fin de la saison des pluies, les routes vont redevenir praticables, et beaucoup redoutent un raid kamikaze sur un bâtiment public ou un grand hôtel de la sous-région. C’est pourquoi, parmi ses 3 100 hommes, la Micema comptera plusieurs centaines de policiers chargés de protéger les arrières de la force multinationale – en priorité le QG stratégique et le pôle de soutien logistique de Bamako, ainsi que le QG de théâtre de Sévaré, « hub » de l’opération.

« On n’est pas dans un scénario conventionnel, estime l’expert malien. Ce qui compte le plus, c’est la formation d’unités spéciales et un travail d’infiltration chez l’ennemi, d’autant que le fanatisme des occupants et l’arrivée de jihadistes égyptiens et pakistanais braquent de plus en plus les populations maliennes ». Quel rôle joueront les habitants dans le conflit ? « Mariages, trafics… Beaucoup de gens ont tissé des liens avec les islamistes. J’ai peur qu’ils ne se rangent à leurs côtés », s’inquiète un notable de Tombouctou. « Le discours de François Hollande a suscité la joie ici, je vous le dis ! Les islamistes ne sont pas tranquilles, on le sent. Ils doivent être en réunion quelque part, parce qu’ils ne sont plus aussi nombreux à patrouiller le soir », se réjouit un transporteur de Gao. 

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