Olivier Barlet : « Les films africains d’aujourd’hui sont décomplexés »

Grand connaisseur de la situation du cinéma sur le continent, le directeur des publications du site Africultures, Olivier Barlet, analyse l’évolution de ces dix dernières années.

Lors d’une projection du Cinéma numérique ambulant, au Mali. © Meyer/Tendance Floue

Lors d’une projection du Cinéma numérique ambulant, au Mali. © Meyer/Tendance Floue

Renaud de Rochebrune

Publié le 28 septembre 2012 Lecture : 4 minutes.

Olivier Barlet, c’est, par excellence, le « Monsieur cinéma africain », une encyclopédie vivante sur ce sujet. Difficile d’imaginer un festival impliquant les réalisateurs du continent où on ne le verrait pas, promenant, toujours attentif et souriant, son crâne dégarni et sa bonne humeur inaltérable. Directeur des publications du site internet Africultures, il y est également le principal auteur de critiques, rarement assassines mais toujours pertinentes et documentées, sur tous les films africains. Auteur de l’ouvrage de référence Les Cinémas d’Afrique noire, le regard en question, publié en 1996 chez L’Harmattan (traduit en anglais, en allemand et en italien), il publie aujourd’hui, chez le même éditeur, où il dirige la collection « Images plurielles », Les Cinémas d’Afrique des années 2000 (442 pages, 36 euros). L’occasion de faire avec lui le point sur l’état actuel du septième art sur le continent.

Jeune Afrique : On a longtemps accusé le cinéma africain de n’être qu’un cinéma de festival. Mais il a aujourd’hui presque totalement disparu des grands rendez-vous. Faut-il s’en alarmer ?

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OLIVIER BARLET : Ce n’est pas une bonne nouvelle, bien sûr. Parler de films de festival, c’était reprocher à la production africaine de se cantonner au cinéma d’auteur, sans toucher véritablement le public local. Or il n’y a pas de raison a priori d’opposer cinéma d’auteur et cinéma populaire : les deux peuvent coexister. On peut donc se demander s’il ne s’agissait pas surtout de manifester un certain mépris, et même un rejet, pour le cinéma africain. La question centrale, c’est celle de la diffusion des films. Surtout en Afrique subsaharienne, où la plupart des salles ont fermé. Les festivals constituent une niche pour montrer les films, en particulier ceux qui sont exigeants et entendent développer l’esprit critique du public. Ces oeuvres ont aussi besoin d’être vues à la télévision.

Dans votre livre, vous parlez « des » cinémas d’Afrique au pluriel. Pourquoi ?

Le singulier dénie l’énorme diversité culturelle de tout un continent. Sans parler de l’existence des très nombreux réalisateurs de la diaspora qui sont en mouvement permanent entre leur pays d’origine et leur lieu d’habitation.

Mais vous considérez quand même l’Afrique comme un tout, traitant autant du nord que du sud du continent…

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Ce n’est évidemment pas pour m’enfermer à mon tour dans une perspective territoriale. Il y a des ponts entre le nord et le sud du Sahara, que ce soit en termes de stratégie esthétique ou de thématique. Ce qui n’empêche pas l’existence de différences, tenant aux sociétés que décrivent les films et aux structures des cinématographies nationales, en général mieux soutenues au Maghreb qu’en Afrique subsaharienne.

Ce qui explique que les cinémas du Maghreb ont gardé une certaine visibilité hors de leurs frontières contrairement à ceux du Sud ?

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La différence n’est pas si évidente. Même au Maghreb, seuls quelques réalisateurs ont réussi à émerger. Si l’on regarde le pays le plus prolifique, le Maroc, avec une bonne quinzaine de films par an, la plupart ne sortent pas à l’extérieur. On connaît un peu Faouzi Bensaïdi, Daoud Aoulad-Syad, Nabil Ayouch ou, depuis peu, Leïla Kilani… et, sauf erreur, on a fait le tour.

Olivier Barlet

© Frédéric Lecloux/Africultures

Qu’est-ce qui fait la spécificité des années 2000 ?

Les nouveaux réalisateurs évoquent à la fois le cinéma et l’Afrique de façon nouvelle. Leur manière d’aborder le réel est vraiment différente. On n’est plus dans le projet de Sembène Ousmane de film pédagogique pour faire évoluer la communauté dans le sens du progrès et de l’émancipation. On ne propose plus de solutions, de héros emblématiques. On s’inscrit dans le doute, l’incertain ; ce qui se retrouve dans les thèmes mais même aussi dans la structure des films : on ne sait plus où tout cela nous mène. Le spectateur est mobilisé pour être en prise avec le monde, mais il n’y a plus de voie à suivre, de prophète, de programme.

Ce qui signifie qu’on en a fini avec la période où l’essentiel était de décoloniser les imaginaires ?

Certainement. Car on ne se situe plus en opposition à l’autre. Il s’agit d’un cinéma décomplexé. L’important, désormais, c’est soi dans le monde et ce qu’on peut apporter au monde.

Qu’apporte le cinéma africain au monde ?

Il fait apparaître mieux que tous les autres la force de la mondialisation. Comme les Africains ont vécu presque toujours dans des entre-deux culturels, ils sont bien placés pour apprendre aux autres ce que peut être un homme planétaire. Et parce qu’ils vivent souvent en situation de précarité, ils ont un sens aigu de l’imprévisible. Donc de ce que tout reste possible même quand on ne sait pas ce qui va advenir. En ces temps de crise, où l’on a peur du lendemain, on sent cela à travers les histoires que racontent les films et la façon dont les personnages vivent les situations qu’ils rencontrent.

Malgré toutes ces difficultés, peut-on rester optimiste ?

Il le faut ! Parce que les auteurs, les talents existent. Mais la situation n’évoluera vraiment que lorsque les États auront enfin des politiques culturelles. Et que l’on arrêtera d’attendre la solution des coopérations avec le Nord, où l’on distribue de moins en moins d’argent, d’ailleurs.

L’Afrique doit se rendre compte qu’à part ses matières premières c’est surtout sa culture qu’elle peut vendre au monde. Il faut qu’elle la considère enfin comme un facteur de développement et un secteur créateur d’emplois. En particulier en matière de cinéma, art total et art populaire par excellence.

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Propos recueillis par Renaud de Rochebrune

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