Qatar 2022 : le Maroc, espoir du monde arabe et de l’Afrique
Les Lions de l’Atlas affrontent la Roja espagnole ce 6 décembre. Au-delà de l’exploit sportif que constituerait une victoire, le parcours de l’équipe marocaine revêt une dimension très politique.
Le royaume vit au rythme de la Coupe du monde : après une qualification historique des Lions de l’Atlas pour les 8e de finale, un exploit qui ne s’était plus produit depuis 1986 au Mexique, « tout s’est arrêté dans le pays, confie un conseiller ministériel, même au niveau de l’État où les réunions sont moins longues et nombreuses qu’auparavant. La généralisation de la couverture sociale vient d’être appliquée, l’OCP vient de présenter un ambitieux programme d’investissement devant le roi Mohammed VI et pourtant personne n’en parle, il n’y a plus que le foot ». Un propos à nuancer : le 4 décembre, des milliers de Marocains ont manifesté à Rabat contre « la vie chère et la répression », à l’appel de plusieurs organisations politiques de gauche.
David contre Goliath
Mais il est vrai que les victoires successives de l’équipe nationale (qui finit première de son groupe) insufflent beaucoup d’espoir. Dernier pays arabe et africain en lice dans cette compétition, le Maroc, qui s’apprête à affronter l’Espagne, ce 6 décembre « incarne presque malgré lui le combat de David contre Goliath, celui du Sud contre le Nord, des dominés contre les dominants. C’est un combat qui dépasse le football », souligne Abdellah Tourabi, politologue et animateur de l’émission politique Confidences de presse sur 2M. Les mèmes faisant allusion au protectorat espagnol et au retour de l’Andalousie dans le giron marocain fleurissent d’ailleurs un peu partout sur la Toile.
Depuis son ouverture, la Coupe du monde 2022 a apporté son lot de surprises : la qualification du Sénégal en 8e de finale, une première depuis 20 ans, la victoire de l’Arabie saoudite sur l’Argentine, celle du Cameroun sur le Brésil ou encore celle du royaume contre la Belgique (pourtant deuxième au classement Fifa), sans oublier celle de la Tunisie sur les Bleus de Didier Deschamps. De quoi nourrir le rêve d’un « nouvel ordre footballistique mondial », si ce n’est un nouvel ordre géopolitique. Pour la première fois depuis très longtemps, les Marocains croient fermement en leur chance de remporter la Coupe du monde.
Nouvel ordre mondial ?
Pourtant, le monde entier est un peu allé au Qatar en traînant des pieds. Quelques semaines avant le lancement de l’événement, plusieurs ONG et chancelleries occidentales ont appelé au boycott de cette grand-messe, dénonçant le non-respect des droits humains, l’ultra-conservatisme de la société qatarie, le coût écologique et financier exorbitant de l’événement. Or cela n’a trouvé que peu d’échos en Asie, en Amérique latine, en Afrique et dans le monde arabe. Au contraire, des milliers d’internautes ont à leur tour critiqué l’hypocrisie des pays occidentaux – qui ont largement contribué à ce que la Coupe du monde soit organisée au Qatar –, et dénoncé ce qu’ils estiment être un énième cas d’« arab-bashing ».
« Ce Mondial a été attribué au Qatar en connaissance de cause, certains aspects étaient bien connus et mettront de toute façon du temps à être résorbés. Au final, cette campagne de boycott a fait plouf et les opinions publiques arabes, africaines, même asiatiques, se sont retournées contre elle. De son côté, le Qatar a su y répondre par les faits, les actes : une organisation impeccable, une ambiance très festive », affirme le mordu de foot et responsable politique Nabil Benabdellah, entre deux vols pour le Qatar.
Envolées lyriques
Pour l’économiste franco-marocain, Abdelghani Youmni, galvanisé par les événements, le Mondial 2022 est un marqueur de renaissance pour le Maroc. « Le royaume a définitivement enterré le complexe d’ancienne nation colonisée, il ne veut plus être aligné, mais partenaire : le Maroc ne rentre pas dans l’histoire mais il y retourne », affirme-t-il.
Pour la première fois depuis longtemps, le sélectionneur des Lions de l’Atlas, Walid Regragui, est marocain. Et chacune de ses prises de parole, même s’il s’en défend, semble éminemment politique. Face à la presse avant le match Maroc-Canada, il a déclaré : « Nous, au départ, sans faire de politique, on va déjà parler football et on défend le Maroc et les Marocains. C’est la première des choses. Ensuite, forcément, on est aussi Africains et c’est la priorité. »
Quelques semaines auparavant, il annonçait déjà vouloir « changer les mentalités africaines » et vantait les mérites de son équipe, « une nouvelle génération, une nouvelle mentalité », qui dit « stop à la négativité du passé ». Prières sur la pelouse, louanges à dieu après la victoire contre le Canada, drapeau palestinien brandi par Jawad el Yamiq, les joueurs eux-même font très attention aux symboles.
Historiquement, le foot a toujours eu un fort impact dans le royaume. Les paroles de l’hymne national n’ont été écrites qu’en 1969, après que le pays a été qualifié pour la Coupe du monde organisée l’année suivante. Plus tôt, en 1958, la Fifa avait exclu et sanctionné le Maroc car il avait disputé un match avec le Front de libération nationale (FLN) pour soutenir l’Algérie dans sa lutte contre le colonialisme.
À la veille du match Maroc-Espagne, les pays arabes soutiennent bec et ongles le royaume. Un micro-trottoir réalisé en Algérie, et vu par 2 millions d’internautes, montre que la rue algérienne est elle aussi derrière le Maroc, car c’est un pays « arabe et musulman ». « Finalement, cette coupe ressuscite une idée qu’on croyait morte : le panarabisme », abonde Abdellah Tourabi.
Soft power
Du côté de Rabat, la Coupe du monde est scrutée avec la plus grande attention. Ancien joueur professionnel dans sa jeunesse, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch n’aurait manqué les matchs de l’équipe nationale sous aucun prétexte. Le 1er décembre, le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, le patron de la sécurité intérieure (DGSN-DGST), Abdellatif Hammouchi, ainsi que le directeur des renseignements extérieurs (DGED) Yassine Mansouri, ont assisté au match Maroc-Canada au stade Al Thumama, à Doha. Juste avant la rencontre, ces trois personnalités avaient été reçues par l’émir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al Thani.
Plusieurs photos inédites ayant circulé sur les réseaux sociaux ont montré le ministre des Affaires étrangères, connu pour sa retenue et son flegme, en train de siffler, crier, sauter, applaudir et encourager son équipe jusqu’au coup de sifflet final. « Le ministre n’a pas fait ça par hasard, il contrôle totalement son image, le moindre de ses faits et gestes, il a parfaitement conscience de l’impact politique et mobilisateur du football sur une nation. Il y a bien évidemment un coup à jouer en termes de soft power », estime une source au gouvernement.
« Le sport est une porte d’entrée pour déclencher une nouvelle donne politique, mais il faut savoir raison garder, la Coupe du monde ne va pas métamorphoser les équilibres mondiaux. Si les Lions vont plus loin, ce sera source de fierté nationale et ça aura un impact moral et probablement socio-économique sur le Maroc, comme en 1998 pour la France », souligne Nabil Benabdellah. Et le pays en a bien besoin : selon une récente note du Haut Commissariat au Plan, le Maroc est revenu « au niveau de pauvreté et de vulnérabilité » de 2014, principalement à cause de la pandémie, de l’inflation et de la sécheresse.
L’autre impact de cette Coupe du monde rejaillira sûrement sur Fouzi Lekjaa, le président de la Fédération royale marocaine de football et ministre du Budget. « Il prend de plus en plus de pouvoir au sein du gouvernement, confie une source politique. Lekjaa est déjà indispensable, il tient les cordons de la bourse, tout passe par lui. Cette Coupe du monde va lui servir directement, quelle que soit l’issue pour les Lions, le crédit lui reviendra. »
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