Sénégal : la rupture, c’est pour maintenant ?

Près de 90 % de nouveaux élus, deux fois plus de femmes, douze sièges pour l’ex-parti majoritaire… Les députés ont changé. Reste à savoir s’ils s’affranchiront des travers de leurs aînés.

Macky Sall. © AFP

Macky Sall. © AFP

Publié le 25 septembre 2012 Lecture : 5 minutes.

Barthélémy Dias n’est pas du genre à se taire. Avant même son incarcération, en décembre 2011, pour le meurtre d’un nervi qui, avec d’autres gros bras payés par le Parti démocratique sénégalais (PDS), était venu le menacer devant sa mairie de Mermoz-Sacré-Coeur (arrondissement de Dakar), la réputation de ce jeune socialiste de 37 ans n’était plus à faire. C’était le « bad boy » de la politique sénégalaise. Un fort en gueule doublé d’un sacré tribun, qui emploie les mêmes artifices qu’Abdoulaye Wade et ne croit qu’aux rapports de force. À peine sorti de prison (il est en liberté conditionnelle depuis le mois de mai), Dias est devenu député. En bonne place sur la liste de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY), qui a soutenu Macky Sall lors du second tour de la présidentielle et a largement remporté les législatives en juillet, il occupe aujourd’hui le poste (symbolique) de secrétaire élu de l’Assemblée nationale. Mais ce n’est pas un titre qui va le changer. "J’estime que les députés doivent se faire respecter, dit-il dans son bureau de maire. C’est fini, le temps où ils exécutaient sans discuter les ordres du président. Nous ne sommes pas au garde-à-vous. Accompagner le gouvernement, oui, mais cela ne doit pas nous forcer à voter des lois scélérates."

Symbole. Dias pourrait être le symbole de cette assemblée que les Sénégalais ont élu le 1er juillet. Le nouvel hémicycle est jeune, hétéroclite, inexpérimenté, et c’est pour cela, disent les nouveaux élus, qu’il compte jouer son rôle en toute indépendance. "Ce serait une première", s’enorgueillit un conseiller de Macky Sall. En juillet, le président avait appelé à "une rupture", censée correspondre à la montée en puissance des attentes des Sénégalais quant à une meilleure pratique démocratique. "Le temps des députés godillots, c’est du passé !" s’enflamme un proche de Moustapha Niasse, le président de cette assemblée new look.

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Doit-on les croire ? "Pour l’heure, il n’y a rien de concret, mais l’Assemblée vient tout juste de s’installer », constate le professeur de droit constitutionnel et analyste politique Babacar Gueye. Ce qui est sûr, poursuit-il, c’est que sur le papier la rupture est actée. Une rupture politique, d’abord. Le PDS de Wade, qui monopolisait 131 sièges sur 150 dans la précédente législature, n’en compte plus que 12, et la coalition Bokk Gis Gis (BGG, du président du Sénat, Pape Diop), issue d’une scission au sein de la famille libérale, seulement 4 sièges. Absente de l’hémicycle ces cinq dernières années en raison du boycott des législatives de 2007, l'(ex-)opposition y est entrée en force, la coalition BBY occupant une confortable majorité de 119 sièges.

La rupture est aussi générationnelle. Sur les 150 sortants, seuls une dizaine ont été réélus. "Aujourd’hui, il y a tout un tas de nouvelles têtes à l’Assemblée. Certains sont très jeunes !" sourit un fonctionnaire de l’institution. Parmi les nouveaux, les femmes, qui ont bénéficié d’une loi sur la parité extrêmement contraignante, font une entrée remarquée (lire interview p. 76). "C’est une nouvelle donne importante", analyse Babacar Gueye.

Reste à mettre en pratique cette rupture tant annoncée. Les élus de 2012 arriveront-ils à se débarrasser des oripeaux d’une démocratie sénégalaise dont l’unique centre de gravité se situait jusqu’à présent à la présidence ? Auront-ils le cran d’affronter l’exécutif, de mettre en place des commissions d’enquête et d’exiger que les ministres viennent sur place leur rendre des comptes – ce qui n’était pas le cas sous Wade ?

Babacar Gueye, comme d’autres observateurs, le croit. D’abord parce qu’il y a dans cette nouvelle génération de fortes têtes et quelques néophytes gonflés d’idéaux, comme Idrissa Diallo, élu sur la liste de BBY. "Je me considère comme le député des causes perdues. Je veux être indépendant, n’avoir de comptes à rendre qu’à mes électeurs et avoir ma conscience pour seul moteur", dit-il.

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Ténors

Il y a aussi une opposition, certes réduite, mais de qualité, avec "des ténors, des anciens ministres [comme Oumar Sarr, Djibo Kâ, NDLR], un ex-Premier ministre [Souleymane Ndéné Ndiaye]… Ce sont des gens qui connaissent leurs dossiers. Ce seront de bons sparring-partners [partenaires d’entraînement], qui nous permettront d’avoir des débats sérieux", espère la socialiste Aïssata Tall Sall, une "bleue".

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La personnalité du président de l’Assemblée lui-même "est un signal important", juge un proche de Sall. "Jusqu’à présent, on avait surtout eu droit à des seconds couteaux. Niasse, c’est une très forte personnalité. Un vrai homme d’État", estime Babacar Gueye. À 72 ans, Moustapha Niasse, qui fut Premier ministre, ministre des Affaires étrangères et représentant du secrétaire général des Nations unies, a sa carrière derrière lui. Il n’aura aucun complexe lorsqu’il s’agira d’affronter l’exécutif, même si son entourage reconnaît qu’il a été littéralement séduit par la personnalité de Macky Sall. Lors de son accession au perchoir, il a ainsi parlé d’une "étape nouvelle" dans l’histoire de la démocratie sénégalaise, mais a aussi vanté "la loyauté" envers le gouvernement.

Idéaux

Au-delà des hommes, et des femmes, un simple calcul permet de croire en la rupture. Si la coalition BBY dispose d’une majorité confortable, l’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall, ne compte que 65 députés et n’a donc pas la majorité absolue. "Il nous faudra sans cesse négocier", convient un cadre de l’APR. "Contrairement à la législature précédente, où l’on avait un parti tout puissant aux ordres d’un seul homme, nous sommes en présence d’une majorité "plurielle"", convient Babacar Gueye.

Or aucune des composantes de la coalition présidentielle n’entend renier ses idéaux, sociaux-démocrates pour certains (les députés du Parti socialiste et ceux de l’Alliance des forces de progrès de Niasse), libéraux pour d’autres (les élus de l’APR et ceux de Rewmi, le parti d’Idrissa Seck). Sur ce point, Barthélémy Dias est d’ailleurs très clair : "Il ne s’agit pas d’une fusion, mais d’une coalition. Le jour où nous ne serons plus d’accord, les députés socialistes, nous le dirons. Il en va de la survie de notre parti."

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