Sénégal : l’espoir ou le regret
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 3 octobre 2012 Lecture : 3 minutes.
Macky Sall peut-il changer le Sénégal ?
S’il est une chose que les Sénégalais n’accepteront plus jamais, c’est la déception. Le wax waxeet (« dire et se dédire », en wolof), c’est fini. Il faut se souvenir de l’espoir qu’incarnait le sopi (« changement ») d’Abdoulaye Wade en 2000. Se remémorer la ferveur populaire au lendemain d’une victoire qui constituait, déjà, une leçon de démocratie si rare sur le continent. Les fruits n’ont cependant jamais passé la promesse des fleurs. Et le style Wade, savant mélange de détermination, de vision mais aussi de morgue et de gouvernance erratique où tous les coups étaient permis, a fini par convaincre les Sénégalais qu’il était grand temps de tourner une page qui aurait dû l’être cinq ans plus tôt.
Macky Sall, qui connaît parfaitement son pays, sa classe politique, son administration et les écueils qui ne manqueront pas de se dresser sur son chemin, sait bien qu’il n’a pas droit à l’erreur et que la patience de ses compatriotes s’est réduite comme peau de chagrin. Mais savoir et pouvoir sont deux choses différentes. Il a besoin de temps, de moyens et, aussi, d’hommes et de femmes autour de lui qui sauront privilégier l’intérêt général. Autant de denrées rares de nos jours…
Contre-pied
Au cours de ses six premiers mois à la tête de l’État, "Macky" a essentiellement installé le socle de son pouvoir.
Une fois encore, il a pris le contre-pied de son prédécesseur et ex-mentor, érigeant la concertation et le partage des responsabilités avec ses alliés en mode de gouvernance, souvent au détriment de sa propre formation politique. Wade, lui, avait brisé une à une les chaînes de ses alliances, cet insupportable carcan pour un homme persuadé de sa supériorité et peu enclin aux concessions.
Guère obsédé par le fait de régler ses comptes, Macky conserve des compétences issues du vivier Wade.
Le chef de l’État a également imposé un style en adéquation avec celui qui avait séduit les Sénégalais durant sa traversée du désert puis son ascension – sobriété, calme et constance -, et pris des mesures drastiques censées donner corps à sa politique de rupture, de la réduction du train de vie de l’État (tout en cherchant à en récupérer les deniers « évaporés ») aux mesures sociales, en passant par la très symbolique affaire Habré. Sans vouloir faire de l’anti-Wade à tout prix : contrairement à une idée reçue, il a conservé certaines compétences issues du vivier Wade, accréditant ainsi la thèse qu’il demeure un homme de compromis nullement obsédé par le fait de régler ses comptes, pour qui rupture n’implique pas obligatoirement faire table rase du passé. Le Sénégal n’a en effet plus les moyens de remettre vingt fois sur le métier un ouvrage jamais achevé.
Équation complexe
Macky trace donc patiemment son sillon, sans véritables faux pas. Sa réserve naturelle donne à certains l’impression qu’il ne sait pas où il va. D’autres lui reprochent de ne pas avoir de « grande vision », contrairement à Wade, pour son pays. Comme François Hollande en France, ses qualités d’hier pourraient, aux yeux d’une opinion impatiente, devenir ses faiblesses de demain.
Macky n’a donc d’autre alternative que de résoudre une équation pour le moins complexe : réformer en profondeur un pays qui s’est longtemps contenté de panser des plaies qui nécessitaient des traitements plus lourds, obtenir des résultats concrets dans l’urgence, tout en fixant un cap à moyen et long terme pour que, enfin, le Sénégal pèse sur la scène africaine pour ce qu’il serait – économiquement, culturellement ou diplomatiquement – et non grâce à la seule personnalité de son chef. Une gageure, certes, mais surtout une nécessité.
Un seul mandat n’y suffira évidemment pas. Les Sénégalais devront donc décider, en 2017, si le chemin emprunté est le bon et s’il mérite d’être poursuivi. Raison de plus pour ne pas les décevoir.
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