Chine : le couronnement du prince rouge, Xi Jinping
Quinze jours durant, sa mystérieuse disparition avait nourri les plus folles spéculations. Xi Jinping est réapparu le 15 septembre. Dans quelques jours, il devrait être, comme prévu, nommé à la tête du Parti communiste. Et à celle de la République populaire, l’an prochain.
Étrange jeu de cache-cache. Depuis le 1er septembre, Xi Jinping, le futur numéro un chinois, n’avait plus été vu en public et avait annulé in extremis plusieurs rencontres avec des responsables étrangers – Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine, notamment. Il n’en avait pas fallu davantage pour que, sur internet, rumeurs et spéculations, alimentées par le mutisme des autorités, se donnent libre cours. Certains le disaient cloué au lit par un mal de dos. D’autres évoquaient, au choix, une crise cardiaque, une attaque cérébrale, un cancer du foie ou un accident de la route. Les plus exaltés n’écartaient pas l’hypothèse de sa mort. Les plus politiques s’interrogeaient gravement sur une possible remise en question de la transition que le 18e congrès du Parti communiste – dont l’ouverture est imminente – est censé engager après le départ du président Hu Jintao.
Et puis, sans crier gare, l’agence officielle Chine nouvelle a, le 15 septembre, publié deux photos du « disparu » en visite à l’Université de l’agriculture, à Pékin. On l’y voit, tout sourire, serrer des mains et s’entretenir familièrement avec des interlocuteurs inconnus. Fin du suspense. L’actuel vice-président prendra bien la tête du Parti communiste chinois (PCC) dans quelques jours. Et celle de la République populaire l’an prochain. Ainsi va la vie politique en Chine, cet empire de l’opacité et du mystère. Faut-il y voir un signe de la fragilité du régime ? En tout cas, de son extrême complexité.
« Xi Jinping n’est pas un révolutionnaire, explique John Russel, directeur d’un cabinet d’intelligence économique. Il est l’homme du consensus entre les différentes factions qui se disputent le pouvoir. Il est arrivé au sommet en suivant sagement les règles et en nouant des alliances stratégiques. Il est le fruit d’un système. »
Tel père, tel fils ?
Xi Zhongxun, le père de Xi Jinping, entretenait une relation privilégiée avec… le dalaï-lama, qui, en 1954, lors d’une visite à Pékin, lui aurait même offert une montre de prix. Le chef spirituel des Tibétains s’en souvient comme d’un homme « très sympathique, assez ouvert d’esprit, très gentil ». Selon Reuters, le père de Xi était un défenseur des droits des Tibétains, des Ouïgours et, plus généralement, des minorités. En 1989, il s’était également opposé à la répression par l’armée du mouvement démocratique. Le dalaï-lama n’a jamais rencontré son fils, mais les experts espèrent que ces liens familiaux laissent présager un assouplissement de la position chinoise sur la question tibétaine.S.L.B.
Ambitieux et concentré
Né en 1953 dans la province du Shaanxi, Xi a fait des études d’ingénieur chimiste à l’université Tsinghua, à Pékin, puis obtenu un doctorat de « théorie marxiste ». C’est ce qu’indique sa biographie officielle. Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’il est tombé dans le chaudron de la politique dès son plus jeune âge. C’est un « prince rouge », comme on dit ici, le fils d’un héros de la révolution communiste. Pendant la Révolution culturelle (1966-1976), il commandait une brigade de Gardes rouges dans le Shaanxi. Envoyé à la campagne comme des millions de ses compatriotes, il jure en avoir bavé. Naturellement, la propagande officielle en rajoute : il était, paraît-il, capable de « porter des sacs de blé de 50 kg sur des sentiers de montagne, sans fatigue ». Mais il ne semble pas avoir gardé un très bon souvenir de cet épisode tragique et se méfie des partisans d’un retour au maoïsme pur et dur.
L’homme du consensus entre les factions qui se disputent le pouvoir.
Grâce à l’appui de Xi Zhongxun, son père, ancien vice-président de l’Assemblée populaire et ancien vice-Premier ministre, il fait alors ses premiers pas en politique. Une carrière à la chinoise, sinueuse et fragile, qui l’emmène de la province du Fujian au Zhejiang, puis à Shanghai et, pour finir, à Pékin. En mars 2008, il est nommé vice-président. À ce titre, il est chargé de deux dossiers sensibles : Hong Kong et la supervision de la phase finale des Jeux olympiques de Pékin.
Les rares indiscrétions concernant la personnalité de Xi Jinping viennent de diplomates américains. Dans un télégramme daté de novembre 2009 et rendu public par WikiLeaks, une source le décrit comme un homme « exceptionnellement ambitieux, confiant et concentré, […] qui vise le poste suprême depuis de longues années ». « Extrêmement pragmatique », il serait motivé non pas par une idéologie mais par une combinaison d’ambition et d’instinct de survie. La vive rivalité opposant les princes rouges aux responsables issus de la Ligue de la jeunesse communiste, au premier rang desquels Hu Jintao et le futur Premier ministre, Li Keqiang, n’a pas échappé au diplomate américain.
Tomber la veste
Xi Jinping ne tweete pas comme Barack Obama et ne va pas travailler à vélo comme David Cameron, mais il est sans doute le plus « cool » des hommes politiques chinois. N’a-t-il pas épousé en secondes noces la sculpturale Peng Liyuan, chanteuse célèbre et, accessoirement, générale de l’Armée populaire de libération (APL) ? À l’inverse d’un Hu Jintao éternellement engoncé dans son costume sombre, il n’hésite pas à tomber la veste, et même – tout arrive – à sourire. Il promène son mètre quatre-vingts avec assurance et parle d’une voix posée de baryton. Il est fan de basketball, aime les films d’action américains et a souvent voyagé à l’étranger, aux États-Unis notamment. Sa fille est même étudiante à Harvard.
Cela ne l’empêche nullement de fustiger à l’occasion les Américains et tous les contempteurs de la Chine. « Des étrangers au ventre plein n’ont rien de mieux à faire que de nous montrer sans cesse du doigt », a-t-il un jour déclaré au cours d’un séjour au Mexique. Mais quand il le faut, il renonce sans remords à l’épaisse langue de bois en vigueur à Pékin. Interrogé récemment par des étudiants américains, il s’est – un peu – laissé aller : « Bien sûr que nous aimerions tous avoir davantage de temps à consacrer à notre famille. Mais comme on dit, c’est mission impossible ! »
Les mystères de Pékin
Si la disparition de Xi Jinping a fait couler beaucoup d’encre, les dirigeants chinois sont coutumiers du fait :
– Lin Biao En 1971, le numéro deux du régime n’apparaît plus. Pendant deux mois, aucune nouvelle n’est donnée jusqu’au jour où l’on apprend sa mort dans un accident d’avion.
– Mao Zedong Pendant la Révolution culturelle, il lui arrive de ne plus faire d’apparitions publiques, laissant planer des doutes sur sa santé.
– Li Peng Le Premier ministre n’apparaît plus en public pendant sept semaines en 1993. Officiellement grippé, des rumeurs laissent entendre qu’il a été victime d’une attaque cardiaque. Aujourd’hui encore, personne ne connaît les véritables raisons de sa disparition.
Ce changement de style suffira-t-il à changer la Chine ? « Le croire, ce serait oublier que, dans ce pays, la politique n’est pas le fait d’un seul homme, explique John Russel. C’est une direction collégiale. Xi ne pourra agir sans l’assentiment des différents clans. Il lui faudra d’abord asseoir son pouvoir, puis lancer par petites touches des réformes qui lui semblent importantes, comme la lutte contre les inégalités sociales. On ne devrait pas en voir les résultats avant quatre ou cinq ans. »
Reste l’argent. La corruption est, comme l’on sait, la (grosse) zone d’ombre du système politique chinois. « Xi n’est pas corrompu, estime une source à l’ambassade des États-Unis à Pékin. Mais il pourrait être corrompu par le pouvoir. » En 2004, lors d’une conférence sur le sujet, à Pékin, l’intéressé avait exhorté en ces termes les cadres du parti : « Contrôlez vos épouses, vos enfants, vos proches, vos amis et vos employés. Et prenez l’engagement de ne pas utiliser votre pouvoir à des fins personnelles. »
Réformiste raisonnable
Avant l’été, Bloomberg, l’agence américaine d’information financière, a pourtant révélé que la famille Xi était à la tête d’une fortune estimée à 376 millions de dollars. Mais ni Xi Jinping, ni son épouse, ni sa fille n’y sont apparemment pour quelque chose. Le problème viendrait de Qi Qiaoqiao, sa soeur aînée, qui aurait des parts dans plusieurs grands groupes d’État chinois et posséderait six villas et appartements à Hong Kong. Depuis quatre mois, le site internet de Bloomberg est bloqué en Chine.
La lutte contre la corruption sera l’un des principaux chantiers du futur président. Depuis plusieurs mois, les scandales impliquant des dirigeants de premier plan se multiplient. Personne n’a oublié l’affaire Bo Xilai, cet autre « fils de prince » dont l’épouse a été condamnée à la prison à vie pour le meurtre d’un de ses associés britanniques. Pour ne rien arranger, la croissance économique ralentit, ce qui, à terme, pourrait déboucher sur une remise en question du contrat social.
« Il faut faire en sorte que la croissance repose moins sur les exportations, et davantage sur le marché intérieur. Donc redistribuer la richesse produite : moins pour l’investissement des entreprises, plus pour le pouvoir d’achat, explique l’universitaire français Jean-François Huchet. Hu Jintao avait la volonté de réduire les inégalités, mais celles-ci n’ont cessé de croître. Or le rythme des réformes a ralenti depuis 2004-2005. Un peu partout, des grèves éclatent. Le parti envoie ses responsables locaux jouer les pompiers et consentir des hausses de salaire pour éviter la propagation. Il va falloir régler tout cela au niveau institutionnel. »
Le futur président a donc du pain sur la planche. Il faudra à ce « réformiste raisonnable », selon les termes d’un diplomate, beaucoup de doigté pour maintenir à flot la deuxième économie du monde. Reste une question pour l’instant sans réponse : pourquoi Xi Jinping a-t-il, en septembre, mystérieusement disparu, quinze jours durant, de la scène publique ?
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