Afrique du Sud : Zuma dans de sales draps
La fusillade de Marikana a traumatisé le pays, mais pas forcément anéanti les chances du président. Il espère encore être reconduit à la tête de son parti et donc de l’État. Verdict en décembre.
C’est à un accueil triomphal qu’a eu droit le président sud-africain dans le centre des conventions de Midrand, près de Johannesburg, le 17 septembre. La Cosatu, grande centrale syndicale alliée au Congrès national africain (ANC, au pouvoir), s’y réunissait comme tous les trois ans. Les applaudissements réservés à Jacob Zuma ont pu surprendre : beaucoup avaient encore en mémoire la virulence des critiques de Zwelinzima Vavi, le secrétaire général de la Cosatu, contre la corruption du gouvernement. Mais quand Jacob Zuma a achevé son discours et entonné Umshini Wami (« Apporte-moi ma mitrailleuse »), le chant de sa campagne pour prendre la direction de l’ANC en 2007, la salle a repris en choeur.
Le drame de Marikana n’arrange pas ses affaires
Difficile d’imaginer, à cet instant, qu’à quelques dizaines de kilomètres de là, aux abords de la mine de platine de Marikana, la plus violente grève de l’histoire de l’Afrique du Sud démocratique se poursuivait. Le 10 août, des mineurs y cessaient le travail sans préavis pour demander le triplement des salaires les plus bas, à 12 500 rands (1 160 euros) mensuels ; des violences éclataient ensuite contre les syndicalistes affiliés à la Cosatu, accusés d’être « complices » des patrons, faisant dix morts, dont deux policiers. Le 16 août, trente-quatre mineurs grévistes étaient tués par la police.
Le drame s’est déroulé au pire moment pour Zuma, qui doit affronter en décembre la conférence de Mangaung, où le parti va décider de le reconduire ou non à sa tête pour cinq années de plus. L’ANC ne courant aucun risque de perdre les élections de 2014, cette « primaire » recèle un véritable enjeu : celui qui prend la direction du parti est assuré de diriger l’Afrique du Sud.
Les réactions maladroites des autorités face à la situation n’ont guère aidé Zuma : le procureur a fait le choix d’inculper 270 mineurs pour l’assassinat de leurs collègues et de les placer en détention, selon une disposition du code pénal datant de l’apartheid et non appliquée depuis 1989. Le 12 septembre, les bases de l’armée ont été mises en état d’alerte – une mesure elle aussi inédite depuis 1994 -, laissant penser que le gouvernement était en état de siège.
Féroce
Des réactions disproportionnées auxquelles Julius Malema n’est pas étranger. L’ancien chef de la Ligue de la jeunesse de l’ANC, exclu du parti et devenu le plus féroce détracteur de Zuma, avait annoncé son intention de rencontrer des militaires mécontents de leurs conditions de travail. Il avait été le premier à se rendre auprès des mineurs après la fusillade, soufflant sur les braises comme à son habitude, annonçant que « beaucoup allaient mourir dans [leur] combat pour la liberté économique ». Il avait même appelé à rendre les mines « ingouvernables » – un écho au mot d’ordre de l’ANC dans les années 1980 visant à forcer le régime de l’apartheid à négocier.
Comme à son habitude, Julius Malema en a profité pour souffler sur les braises de la contestation.
Zuma a été pris au dépourvu. Arrivé sur les lieux bien après le jeune tribun, il a reçu un accueil mitigé de la part des mineurs et a préféré temporiser : « J’ai décidé d’instituer une commission d’enquête [sur] les causes réelles de l’incident », a-t-il lancé. Opportunément, celle-ci ne doit rendre ses conclusions qu’en janvier, ce qui le dispense de faire tomber des têtes avant Mangaung. Mais elle n’a pas calmé la contestation : cinq autres mines ont été bloquées, mettant à l’arrêt un secteur vital de l’économie.
Le 14 septembre, Zuma a changé de tactique et opté pour la fermeté. Malema a été empêché manu militari de s’adresser aux mineurs, lesquels ont été dispersés par les forces de l’ordre et ont subi une descente de police nocturne spectaculaire – mais sans bavure cette fois – pour saisir leurs armes et arrêter leurs meneurs.
Finalement, le 18, les mineurs de Marikana ont accepté de retourner au travail contre une augmentation salariale (de 11 à 22 % selon les postes, avec une prime de 2 000 rands). C’est moins que les revendications initiales, mais après cinq semaines de lutte acharnée, l’accord a été fêté comme une victoire, et il pourrait donner des idées au reste de la corporation.
En rangs serrés
Marikana aura aussi révélé de profondes dissensions entre les grévistes et les syndicats traditionnels, proches de l’ANC. Celles-ci auraient pu conduire à un large remaniement des dirigeants de la Cosatu, mais c’est tout le contraire qui s’est produit : les délégués ont resserré les rangs et l’ensemble de ses chefs, au premier rang desquels Sdumo Dlamini, son président pro-Zuma, a été réélu sans opposition.
Le 17 septembre, la puissante Cosatu a malgré tout maintenu son soutien au chef de l’Etat.
Lors de l’élection interne de 2007, le soutien de la Cosatu, dont de nombreux membres voteront aussi à Mangaung, fut l’une des clés du succès de Zuma. Évincé de la vice-présidence de l’ANC deux ans plus tôt par Thabo Mbeki, il était alors un rival déclaré et préparé. Mais, cette année, Zuma doit défendre un bilan plombé par la crise économique.
Toutefois, ses possibles rivaux peinent à se démarquer, alors que le dépôt des candidatures débute le 1er octobre. L’aile syndicale de l’ANC n’a pas d’autre favori et il paraît exclu qu’elle soutienne l’un des ambitieux cadres du parti qui ont fait fortune dans les affaires, comme Tokyo Sexwale ou Cyril Ramaphosa. Ces dernières semaines, ce dernier est devenu un symbole de leur « trahison » : ancien meneur de grève, il siège aujourd’hui au conseil d’administration de Lonmin, propriétaire du site de Marikana.
Une seule personne semble capable de faire de l’ombre à Jacob Zuma : Kgalema Motlanthe, son vice-président. Mais rien ne dit que cet homme discret et consensuel prendra le risque de se dresser contre le chef de l’État. Présent au congrès de la Cosatu, Motlanthe est resté en retrait avec la délégation du parti, sans prendre la parole. Pas de quoi inquiéter Zuma.
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