Caricatures de Mohammed : bête et méchant
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 24 septembre 2012 Lecture : 2 minutes.
La dernière régurgitation des caricatures de Mohammed publiée en France par Charlie Hebdo et la version islamophobe du Juif Süss filmée à la tronçonneuse par un monomaniaque américain ont en commun la même et affligeante absence de talent avec, pour ce qui concerne l’hebdomadaire satirique, une circonstance aggravante : quoi qu’en disent les héritiers de Hara-Kiri (publication du même acabit, dont le sous-titre était « journal bête et méchant »), leur objectif n’a jamais été de tester les limites de la liberté d’expression jusqu’au seuil de l’intolérable, mais bien de vendre du papier quelles qu’en soient les conséquences. Rien de tel, dans la France d’aujourd’hui, que d’exhiber les seins d’une princesse anglaise ou de croquer les fesses d’un prophète de l’islam pour épuiser les tirages des journaux. C’est dans le caniveau qu’on trouve les meilleures recettes de com.
Le but de tout pyromane étant de jouir de l’incendie qu’il a allumé, mieux aurait valu que le feu ne prenne pas, qu’en l’occurrence ces caricatures pour potaches mal déniaisés et cette sitcom débile pour croisés bas du front rejoignent dans l’indifférence générale la poubelle des provocations ratées. Seulement voilà : de Benghazi à Tunis, de Sanaa au Caire, de Khartoum à Beyrouth, le piège a parfaitement fonctionné, à la secrète satisfaction de ceux pour qui en tout musulman sommeille un Ben Laden. Certes, le monde arabe ne s’est pas embrasé, et les orphelins d’Al-Qaïda qui se sont lancés à l’assaut des ambassades ne représentent qu’une infime minorité des croyants. Mais jamais le fossé d’incompréhension aura semblé aussi profond entre un Occident largement déchristianisé et laïcisé, où la liberté de tout dire ne se heurte qu’aux barrières fluctuantes du droit, et un monde arabo-musulman profondément religieux, où il ne viendrait à l’esprit d’aucun dessinateur de caricaturer Moïse et Jésus et où un film comme « Da Vinci Code », jugé blasphématoire pour les catholiques, demeure très largement interdit de diffusion.
Ne nous y trompons pas : si les atteintes au sacré paraissent, vues du Nord, relever de l’anecdote, elles sont, en terre d’islam, perçues comme autant de violations de cette même liberté, dont le droit élémentaire de ne pas être insulté dans ses valeurs et son identité est une composante existentielle. Cette exigence de dignité n’est pas une affaire de vieilles barbes ou de jeunes exaltés du jihad. Les révolutionnaires arabes, tant célébrés en Occident, étaient avant tout porteurs d’un impératif moral : le respect de la volonté populaire bafouée par des régimes jugés impies. Après Abou Ghraib, Guantánamo, les corans profanés, les drones tueurs de civils et bien d’autres agressions, quel musulman peut comprendre que les pouvoirs publics n’aient, en France et aux États-Unis, d’autre réaction que de fournir aux boutefeux une protection policière ? Pourquoi, si les seins de Kate Middleton ont valu à Closer une condamnation, aucune plainte contre Charlie Hebdo ou contre le producteur de L’Innocence des musulmans n’a-t-elle la moindre chance d’aboutir ? Seule réponse : la liberté est en Occident une norme intouchable, quitte à devenir elle-même liberticide. Et meurtrière.
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