Sommet Afrique – États-Unis : opération séduction de Biden ou pied de nez à Macron ?
Quelque 50 chefs d’État ou de gouvernement sont attendus à Washington pour trois jours de discussions bilatérales et multilatérales. Plus qu’un geste de Washington en direction des capitales africaines, c’est surtout une réaction américaine aux récentes déconvenues françaises sur le continent.
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Malcolm Biiga
Consultant senior en relations publiques, spécialiste des Etats-Unis
Publié le 12 décembre 2022 Lecture : 4 minutes.
Le 20 juillet dernier, le président américain Joe Biden annonçait la tenue de l’US-Africa Leaders Summit, sommet international qui rassemblerait pour trois jours l’ensemble des chefs d’État africains à Washington. Du 13 au 15 décembre, le sommet visera à rappeler « l’importance des relations américano-africaines et la coopération accrue sur des priorités globales partagées », selon un communiqué de la Maison-Blanche. Alors que le président français, Emmanuel Macron, prépare un voyage au Gabon pour le printemps 2023, le vif regain d’intérêt des États-Unis pour l’Afrique répond-il à un enjeu bilatéral avec la France ?
À l’heure où le sentiment anti-français se fait de plus en plus grandissant en Afrique, l’Amérique tente une opération de charme sur le continent. On se rappelle que la tournée africaine du président français Emmanuel Macron en juillet dernier avait été suivie, quelques jours plus tard, d’une visite officielle du Secrétaire d’État américain Antony Blinken, bien que les des deux délégations aient visité des pays différents. Cette concordance de calendriers démontre toutefois l’intérêt que portent la France et les États-Unis au continent africain, où les présences russes comme chinoises sont de plus en plus fortes.
Entre déclin et renouveau
Si la France a tenu des sommets franco-africains depuis 1973 (le dernier ayant eu lieu en octobre 2021 à Montpellier), le sommet des dirigeants Afrique – États-Unis n’en est qu’à sa deuxième édition. La première s’est déroulée il y a huit ans sous la présidence de Barack Obama, à la suite de sa tournée en Afrique de 2013. À l’époque, en annonçant la tenue d’un sommet américano-africain, le président américain avait insisté sur l’idée d’un « partenariat ancré dans la responsabilité et le respect mutuels ». L’année suivante, une délégation de 50 chefs d’État africains se réunissait à Washington pour échanger autour de la sécurité et de l’économie du continent africain. La situation militaire au Sahel ainsi que le virus Ebola s’étaient également ajoutés au programme de cette réunion internationale.
L’Afrique est – et a toujours été – une zone d’influence pour les différentes puissances occidentales, notamment lorsque le continent est en proie à la guerre. Il n’est donc pas anodin que le premier sommet des dirigeants Afrique – États-Unis se soit tenu quelques jours après le lancement de l’opération Barkhane au Sahel, en août 2014. Huit ans plus tard, cette nouvelle édition semble clore le chapitre de l’intervention militaire de la France au Mali : l’Élysée avait annoncé le retrait de la France au Sahel le 17 février, départ entériné le 15 août lorsque les dernières troupes quittaient la base militaire de Gao. Depuis lors, le sentiment anti-français n’a cessé de grandir au Mali et dans la région, dans laquelle les États-Unis espèrent désormais exercer une force d’équilibre face aux pays de l’ex-bloc de l’Est.
Continent non-aligné
La volonté de renforcer la relation américano-africaine ne constitue pas en soi une pique de Biden à l’endroit de Macron. Le sommet Afrique – États-Unis est davantage une réaction qu’une action de la part du gouvernement américain. La nature a horreur du vide et Joe Biden le sait bien : le départ de la France du Mali a permis à la Russie d’afficher au grand jour son entrée au Sahel.
À travers le groupe paramilitaire Wagner, le pouvoir russe dispose désormais d’un point d’accroche dans la région sahélienne. Ce changement de paradigme a fortement aggravé les relations franco-africaines et favorisé la place de la Russie comme allié de choix pour de nombreux pays africains.
À titre d’exemple, les manifestations pro-russes à Bangui témoignent du soutien qu’apporte la Centrafrique à la Russie dans sa conduite de la guerre en Ukraine. Si certains pays africains se refusent à afficher leur soutien univoque pour la Russie, d’autres sont tout autant frileux à l’idée de la condamner. Le 2 mars dernier, la majorité des pays africains s’étaient abstenus lors du vote de la résolution onusienne exigeant de la Russie de cesser le recours à la force contre l’Ukraine.
Même si cette résolution fut finalement adoptée grâce à l’approbation de 141 pays, « le silence africain » démontre la complexité des nouvelles relations qu’entretiennent les deux blocs à l’égard du continent. En période de crises internationales, le non-alignement ne devient-il pas désormais un aveu d’alignement ?
De la diplomatie en Afrique
En réaction à cette perte d’influence de la France au Sahel – et in fine de l’Occident en Afrique –, les États-Unis ont donc décidé de réagir pour contrecarrer l’emprise russe sur le continent africain. Le président américain, le président de l’Union africaine et les 49 chefs d’État qui seront présents au sommet couvriront un ensemble de sujets allant du respect de la démocratie et des droits humains à l’impact du Covid-19 en Afrique, sans oublier le renforcement des liens avec la diaspora.
Mais nul doute que l’enjeu sécuritaire sera également un thème prépondérant de cette rencontre, dont le Burkina Faso, la Guinée, le Soudan, et le Mali ont été paradoxalement exclus. Malgré la nécessité d’un tel sommet, on déplore toutefois l’organisation de cette rencontre États-Unis-Afrique alors que ni le président Joe Biden ni sa vice-présidente Kamala Harris n’ont encore visité le continent.
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